Fabien Eboussi Boulaga ou la saga d’un génie de la philosophie

Philosophe, homme de lettres, théologien, chercheur engagé dans le domaine des sciences sociales, prêtre, puis père de famille, auteur de divers ouvrages à succès, Fabien EBOUSSI BOULAGA, Professeur hors échelle, a rendu l’âme ce 13 octobre, après une vie riche et fructueuse tant du point de vue humain que scientifique.

Lors de sa sortie sur le plateau de Club d’Elites du dimanche 14 octobre 2018, le Pr. C. Gabriel MBOG, en rendant hommage au « Philosophe du Muntu », dira qu’il « est de ceux qu’on ne remplace pas ». Selon ses propos encore, il est un « chevalier de la pensée ». Qui pourrait dire n’avoir jamais entendu parler de cet Okumé de la pensée philosophico-théologico-politique camerounaise et africaine ? Assurément personne, si tant est que l’on a au moins fait ses classes de Philosophie en Terminale.

Vincent Sosthène FOUDA pour sa part, faisant une confidence à son propos, dira : « Sa première vocation avait été de faire de la politique ! Pourtant il est devenu en premier Jésuite et enfin philosophe, il est resté un penseur particulièrement attentif au caractère conflictuel de la raison. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que, très tôt déjà, il se soit choisi Hegel et Heidegger pour maîtres ».

Philosophe assurément hermétique, il faut reconnaître que le lire n’était point une sinécure. Ceux qui s’y sont frottés sont la preuve vivante du fait qu’une seule de ses pages pouvait vous donner le tournis. Prenons par exemple cette publication, longuement citée et évoquée en classe de Terminale : Le Bantou Problématique (1968). Lors d’une de ses sorties publiques au début des années 2010, donnant alors une conférence sur le contenu de sa pensée de manière générale, il brillera de nouveau par sa marque de fabrique : l’hermétisme. Au terme, il répondra à un journaliste qui sollicitait de lui qu’il décodât son message, et il lui dira simplement qu’il s’adressait « aux initiés », à comprendre ici dans le sens de ceux qui ont fait leurs humanités dans les classes de la pensée pure. N’allez-y pas comprendre par là qu’il fut un homme prétentieux, que non ! Car qui l’avait côtoyé aurait certainement noté l’absolu contradictoire : sa déconcertante simplicité.

Grand philosophe Africain, Fabien EBOUSSI est tout d’abord un citoyen Camerounais, natif et originaire du MBAM, plus précisément de BAFIA, ville qui le voit naître le 17 janvier 1934. Il fera ses humanités au Petit Séminaire d’Akono, ville voisine de Ngoumou et de Mbalmayo (rendu célèbre par une autre sommité des œuvres de l’esprit : EZA BOTO, Ville Cruelle). Il poursuivra ses études supérieures dans l’univers sacerdotal, en intégrant la Société des Jésuites, avant d’être solennellement appelé aux ordres en 1969. Il sera donc définitivement greffé à la Compagnie des Jésuites en 1973.

Comme tout philosophe digne de ce nom, le professeur EBOUSSI était un libre penseur, un Homme équilibré et mesuré qui tenait à la fidélité de sa pensée. En cela, il suscitera de l’émoi à l’intérieur même de la Compagnie des Jésuites dont il reste membre, clerc ad vitam aeternam. L’une de ses sorties (La Démission, 1974) en est la preuve. Plus tard à la demande du Penseur, il quittera la Compagnie des Jésuite et sa réduction à l’état laïc sera prononcée. L’on peut ainsi comprendre pourquoi après coup, il prendra femme et fondera une famille. Selon ses propres termes, ce fut une décision murie et nourrie qui l’aura emmené à aboutir à ce constat simple qu’il avouera lui-même : avoir « perdu la foi » dès 1969.

Le registre de ses publications est richement fourni d’ouvrages, d’articles et d’études scientifiques qu’il aura chaperonnés. Dans l’ordre des études dirigées, il faut citer celle commandée par Friedrich ERBERT STIFFUNG : Les jeunes et la politique au Cameroun, parue en 2014. Parmi les ouvrages publiés, hormis ceux déjà cités plus haut, nous pouvons noter : La crise du Muntu, Authenticité africaine et philosophie, Présence africaine, Paris, 1977 et 1997 ; Christianisme sans fétiche, Présence africaine, Paris, 1981 (édité deux fois en langue anglaise dans deux Etats différents : Christianity without fetishes, Orbis, New York , 1985 ; Christianity without fetishes, Lit Verlag, Germany , 2002) ; À contretemps, L’enjeu de Dieu en Afrique, Karthala, Paris 1992 ; Les conférences nationales en Afrique, Une affaire à suivre, Karthala, Paris, 1993 ; La démocratie de transit au Cameroun, L’Harmattan, Paris, 1997 ; Lignes de résistance, Éditions CLE, Yaoundé, 1999 ; Le génocide rwandais – Les interrogations des intellectuels africains, (Sous dir.), Éditions CLE, Yaoundé, 2006 ; La dialectique de la foi et de la raison (Sous la direction), éditions terroirs, Yaoundé, 2007 ; L’Affaire de la philosophie africaine. Au-delà des querelles, Karthala-éditions terroirs, Paris-Yaoundé, 2011.

Fabien EBOUSSI BOULAGA, le très grand, aura donc influencé le mouvement de pensée Africain et redoré à sa manière l’univers philosophique continental. Le Philosophe du Muntu, mieux, le Chevalier de la pensé (pour reprendre les termes du Professeur C. Gabriel MBOG, aura contribué à l’essor de nombreux auteurs et penseurs Africains tant de sa génération que de celles après lui, ce qui aura conduit à la création de cette structure dont il était le parrain et président honoraire : « The Muntu Institute ».

Fabien EBOUSSI BOULAGA, qui a rendu sa copie définitive ce 13 octobre 2018 à l’âge de 84 ans, a fait ses premiers travaux philosophico-théologiques sur Hegel et Platon. L’on citera sa dissertation de Licence en Philosophie dont le titre est « La Section religion dans la Phénoménologie de l’Esprit de Hegel », sa Thèse de Philosophie (obtenue à l’Université Catholique de Lyon) qui porte sur Le Mythe du dialogue chez Platon : Essai sur le mythe et dialogue comme formes du discours. Docteur en Philosophie, puis en Lettres, il partagera sa science avec des étudiants des Universités de Yaoundé I et d’Abidjan, sans oublier l’Université Catholique d’Afrique Centrale qu’il intègre en 1994. Il s’illustrera aussi sur le terrain des droits de l’Homme en s’engageant des associations éponymes.

Barthélemy ELOUNA, Etudiant-chercheur en

Coopération Internationale et Développement Durable.

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