Entraves à la liberté de la presse : l’autocensure aux premières loges

Elle relève du choix et de l’orientation des sujets d’actualité à traiter au sein des rédactions.

 

«Je ne peux pas répondre sinon on va m’envoyer au quartier». Telle est la réponse d’un journaliste camerounais à la question de l’existence de sujets tabous au sein de son media. Cette affirmation a le mérite de ne pas nier la pratique au sein des rédactions. Mais plus encore, elle met au goût du jour toute la sensibilité de la question.

Nous sommes aux lendemains de la célébration du 3 mai, Journée dédiée à la défense de la liberté de la presse. Toute la semaine durant, des voix sont élevées pour dénoncer ces actes qui entravent l’exercice de la profession de journaliste. Violence sur les professionnels, meurtre et arrestations arbitraires, systèmes répressifs et censure, le chapelet des tares est bien fourni en perles. Dans les cercles des journalistes camerounais, l’heure était aussi aux réflexions sur les causes sociales à défendre, à l’instar de la lutte contre la désinformation. Aucune programmation en cette journée du 3 mai 2023 ne donne place à l’examen du fonctionnement interne des rédactions.

«Chez nous, il y a des gens dont il faut parler seulement en bien. On vous désigne clairement celui qui signe votre chèque à la fin du mois et vous précise de ne jamais y toucher. Si vous parlez d’eux, c’est seulement pour les valoriser ou les défendre si ils sont au cœur d’une polémique», continue ce même journaliste sous anonymat. Les intérêts économiques figurent en bonne place des motivations recensées par Intégration pour expliquer cette situation. Ce, d’autant plus que les personnalités et institutions jouissant de cette protection sont des mécènes ou des partenaires. Il apparait également que chaque traitement d’une actualité se rapportant à elles doit faire l’objet d’une orientation particulière de la hiérarchie. Et même, en fonction des enjeux, la rédaction des articles fait l’objet d’une désignation spécifique du rédacteur.

Aucun média ne s’épargne le recours à l’autocensure. Même pas le média d’Etat. Seule change la raison d’être de cette pratique en son sein. Ici, la priorité est accordée à la ligne éditoriale. «J’ai connu cela juste au début de ma carrière. Je savais qu’on ne parlait pas mal du chef de l’Etat. Qu’on ne disait rien de mauvais sur le gouvernement. Il ne fallait même pas y penser peu importe les circonstances», déclare Alain Georges Lietbuo. Il est suivi dans cette lancée par une consœur. «Il est arrivé qu’on coupe des pans de reportage de certains collègues parce que le ton qu’ils avaient employé n’était pas apprécié. Sinon, il y a des sujets qu’on ne cite même pas en conférence de rédaction», raconte la jeune femme sous anonymat.

Sanction bien sentie
Les sanctions ne tardent pas en cas de non-respect de l’ordre établi. Celles-ci apprend-on, vont du refus de publier l’article querellé à des coupes sur le salaire. «Un jour j’ai écrit un article dans lequel j’ai été un peu critique vis-à-vis du chef de l’Etat. J’ai mis le texte en ligne, il a fait deux jours avant d’être retiré. Je n’en savais rien jusqu’à ce que mon patron m’appelle pour m’adresser un blâme. Comme quoi, il quêtait un contrat auprès de la présidence de la République. Moi je n’en savais rien mais il m’a quand même coupé 15000 FCFA à la fin du mois. J’avais porté préjudice à l’entreprise avait-il dit», raconte Valerie D. cyberjournaliste.

Louise Nsana

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