CONTRE-ENQUÊTEPANORAMA

Endettement : le Cameroun dans le piège chinois

Yaoundé éprouve des difficultés à rembourser sa dette. Pékin essaie de profiter de la situation pour faire main basse sur les infrastructures et les ressources naturelles du pays.

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Au-delà des apparences et de la langue de bois diplomatique, la coopération entre le Cameroun et la Chine connait en ce moment un grand malaise. Eximbank, le principal prêteur chinois du pays, est en colère. Depuis juin 2018, la banque d’import-export de l’Empire du Milieu a suspendu les décaissements de fonds au profit du Cameroun. Elle reproche au gouvernement camerounais le non-respect des clauses contractuelles (voir article ci-dessous).

Lors de leur séjour au Cameroun en fin novembre 2018, les responsables d’Eximbank ont signifié leur courroux aux autorités du pays. Parmi les problèmes qui reviennent le plus, il y a les lenteurs dans le remboursement de la dette. À titre d’illustration, jusqu’au 21 janvier 2019, le Cameroun n’avait pas toujours réglé le principal et les intérêts courus chiffrés à 64 milliards de francs CFA. Les sommations du créancier chinois n’ont rien changé à la situation.

Restructuration

Les difficultés sont telles que le gouvernement camerounais a même introduit, l’année dernière, une requête en restructuration de sa dette envers la Chine. La restructuration fait référence à plusieurs types de mesures. Il peut s’agir d’une baisse des taux d’intérêt, d’un prolongement des délais de remboursement, d’une annulation partielle ou totale d’une créance ou d’une combinaison de ces possibilités.

En réponse à cette demande, la présidence de la République du Cameroun a annoncé la semaine dernière que le gouvernement chinois a décidé d’annuler la dette issue des prêts sans intérêt, arrivés à échéance en fin 2018, et dont le montant est d’environ 45 milliards de francs CFA. Pour sa part, Eximbank se dit prête « à concéder un rééchelonnement du remboursement du principal des prêts concessionnels et préférentiels crédits acheteurs pour la période 2019-2021 ».

On ignore pour l’instant les contours de cette opération. Tout ce que l’on sait, c’est que le ministre de l’Économie de la Planification et de l’Aménagement du territoire (Minepat) a marqué son accord pour l’option « rembourser 30 % du principal dû à la période  2019-2021 ». Il l’a fait savoir dans un courrier adressé à l’ambassadeur de Chine au Cameroun, le 16 janvier dernier. Il a par ailleurs indiqué que « ce choix est sans préjudice de la poursuite de l’examen de la requête en restructuration de la dette soumise par le gouvernement du Cameroun, sur très hautes instructions du chef de l’État ».

Prédation

La situation n’est pas pour déplaire à Pékin. L’Empire du Milieu essaie d’en profiter pour faire main basse sur les infrastructures du pays. Il l’a fait déjà au Sri Lanka (voir colonne) et au Mozambique. Déjà, la société CHEC, qui a préfinancé la contrepartie du Cameroun pour la construction de l’autoroute Kribi-Lolabé, à hauteur d’environ 38,6 milliards de francs CFA, fait pression pour participer à sa gestion. Cela s’appelle «la diplomatie du piège de la dette», indique un sinologue qui   sollicité l’anonymat pour préserver ses bonnes relations avec les autorités chinoises.

À l’en croire, le stratagème consiste à financer (sans compter et sans se soucier de leur rentabilité et donc de leur capacité à générer des fonds capables d’assurer le service de la dette) des projets souvent surfacturés avec pour seule exigence qu’ils soient réalisés par des entreprises chinoises. Une fois que les difficultés de remboursement du crédit se présentent, il manœuvre pour obtenir des concessions sur l’infrastructure réalisée, des terres ou des matières premières. Une stratégie à la Sun Tzu, auteur de «L’Art de la guerre».

Mais à Yaoundé, les officiels ont tellement le nez dans le guidon qu’ils semblent ne pas percevoir le danger. Dans la politique de densification du portefeuille de coopération avec la Chine, des fonctionnaires au Minepat proposent même que le Cameroun songe à financer ses infrastructures contre l’exploitation des ressources naturelles. Une option qui devrait contribuer à faire davantage de la Chine un prédateur, plutôt qu’un investisseur.

 

Financement des grands projets

Pourquoi Eximbank a fermé le robinet

Au Minepat, on estime à plus de 110 milliards de francs CFA le volume d’appels de fonds envoyés à Eximbank et restés lettre morte (voir tableau page 11). Cette situation est en partie responsable du niveau élevé du montant des soldes engagés et non décaissés (Send’s) auprès de la Chine. À date, les Send’s s’élèvent à 1393 milliards, pour un volume cumulé de lignes de crédits ouvertes de plus 3282 milliards de francs CFA. La banque chinoise d’import-export motive sa décision par le non-respect des engagements pris dans le cadre de l’exécution des projets par le gouvernement camerounais. Quatre d’entre eux sont particulièrement indexés. Revue des problèmes par projet.

 

  • Projet d’acquisition des avions MA60

Ici, l’absence du «Control Account (compte de contrôle)» est le problème. L’ouverture de ce compte par la CAA, gestionnaire camerounais de la dette, est notamment conditionnée par la tenue à Camair-Co d’une comptabilité permettant de retracer les recettes et les charges inhérentes à l’exploitation des avions MA60.

 

  • Projet de construction de l’autoroute Kribi-Lolabé

Pour lever la suspension des décaissements pour ce projet, il faut désigner l’opérateur/concessionnaire chargé de l’exploitation et de la gestion des ressources issues de cette autoroute. Mais tout est suspendu aux conclusions des séances de travail initiées dans les services du Premier ministre, et qui doivent définir la forme juridique à adopter pour l’exploitation de cet investissement.

 

  • Projet de construction de l’autoroute Yaoundé-Douala

Ici, Eximbank exige le paiement de la portion congrue de la contrepartie camerounaise, relativement aux décomptes présentés par l’entreprise CFHEG, évalués actuellement à près de 3 milliards de francs CFA.

 

  • Projet de construction du port en eau profonde de Kribi (phase II)

L’accord sur le mécanisme de remboursement des prêts contractés pour la construction de cette infrastructure, conclu entre le Minepat et le Port autonome de Kribi, ne semble pas au goût d’Eximbank. En tout cas, l’institution financière chinoise a retourné, sans signature et sans motif, les trois exemplaires dudit document à lui envoyés par le gouvernement camerounais.

 

 

‘’Il faut sortir de la surexposition à l’endettement pour une coopération offensive’’

Le Sri Lanka parle au Cameroun 

À cause des défauts de remboursement de sa dette, le pays a dû céder le port de Hambantota à Pékin.

 

L’histoire de la coopération entre la Chine et le Sri Lanka est similaire à celle du Cameroun. C’est au milieu des années 2000 que ces deux pays décident de donner de l’allant à leur partenariat économique avec l’Empire du Milieu. Accusé de violation de droit de l’Homme pendant la guerre civile qui secoue son pays, Mahinda Rajapaksa, arrivé au pouvoir en 2005, est isolé sur la scène internationale et se tourne vers la Chine. Paul Biya, à la tête de l’État depuis le 6 novembre 1982, anticipant sur la brouille qu’il pourrait avoir avec ses partenaires traditionnels au sujet de sa volonté de rester au pouvoir après 2011 (contrairement à ce que prescrit la Constitution du pays en ce moment-là), fait de même.

À la suite, Pékin finance sans compter des projets dans les deux pays qui ont tous des positions stratégiques. Le Sri Lanka est situé au cœur de l’océan Indien sur les routes d’approvisionnement entre le Moyen-Orient et l’Asie orientale. Avec plus de 70% du trafic pétrolier et plus 50% de celui des containers qui transitent par ce pays, il est au centre du projet pharaonique de la Chine de «route de la soie». Le Cameroun est considéré comme le pays pivot du golfe de Guinée. Cette zone, riche en pétrole, a été déclarée depuis plusieurs années déjà « zone d’intérêt vital » par les autorités américaines.

Une dizaine d’années plus tard, Maithripala Sirisena, qui a remplacé Mahinda Rajapaksa à la magistrature suprême, se retrouve face à une montagne de dettes accumulées par l’État. En décembre 2017, sous forte pression et après des mois de négociations, le nouveau gouvernement cède le port d’Hambantota aux Chinois pour quatre-vingt-dix-neuf ans, avec 6 000 hectares de terrains autour en échange de l’effacement d’un peu plus de 1 milliard de dollars d’emprunt chinois. Au regard des difficultés actuelles rencontrées par le Cameroun pour rembourser sa dette envers la Chine, si les autorités n’y prennent garde, le pays pourrait bien se retrouver dans la même situation.

Aboudi Ottou

 

‘’Il faut sortir de la surexposition à l’endettement pour une coopération offensive’’

Roger Ngaya

La restructuration de la dette n’est pas un repas gratuit. Il faudra bien payer les frais de “la générosité chinoise” 

Cet expert financier est le patron de Strategy, une agence de communication financière et corporate, proche des milieux chinois. Il analyse l’attitude du Cameroun dans sa coopération avec la Chine.

 

Les autorités camerounaises assurent que «le service de la dette est entièrement assuré». Qu’est-ce qui peut donc justifier la demande de restructuration de la dette du pays envers la Chine ?
Selon la note sur l’exécution budgétaire du ministère des Finances, le service effectif de la dette se chiffrait à 260 milliards de francs CFA en septembre 2018, contre 138,8 milliards à la fin septembre 2017, soit une augmentation de 121,2 milliards de francs CFA (+87,3%). Son taux de réalisation s’établissait à 100,4% sans accumulation d’arriérées sur la dette extérieure.
Au regard du rythme de l’évolution du service effectif de la dette et des contraintes budgétaires inhérentes à son paiement, l’option de restructuration était devenue évidente pour le Cameroun. La Chine, par l’intermédiaire de ses grandes banques d’État, est le premier bailleur de fonds du Cameroun. Une réduction de la valeur nominale du stock de la dette existant ou un refinancement de la dette par la baisse des taux d’intérêt, couplée à une extension des maturités pour diminuer le service de la dette, ne peut qu’être une bouffée d’oxygène pour les finances publiques du Cameroun.

La restructuration est un terme générique. Savez-vous ce que veut exactement le Cameroun ?
Le Minepat a communiqué, le 16 janvier 2019, a l’ambassadeur de la République populaire de Chine au Cameroun, l’option du remboursement de 30% du capital dû à la période 2019-2021, pour parvenir à un allègement substantiel de 184 milliards en valeur nominale et de 151, 5 milliards en valeur actualisée.

Que peut lui concéder la Chine ?
Ces derniers temps, les banques à capitaux publics comme la banque chinoise d’import-export Eximbank, la Banque agricole de Chine, la Banque de développement de Chine, la Banque chinoise du commerce et de l’industrie sont plus prudentes dans leurs politiques de prêt. C’est ce qui explique que l’allègement de 45 milliards ne résultait que des prêts du gouvernement chinois sans intérêts arrivés à échéance en fin 2018.

…Le financement des infrastructures contre l’exploitation de ressources naturelles a montré ses limites dans la pratique angolaise de coopération avec la Chine. Pékin pourrait devenir prédateur plutôt qu’investisseur. Les cours des matières premières connaissent des variations erratiques sur les marchés financiers qui peuvent grever la capacité de remboursement en cas de baisse drastique…

Le rééchelonnement s’impose comme la concession la plus prévisible. On peut donc comprendre, qu’en réponse à la requête du Cameroun relativement à la demande de restructuration de sa dette envers la Chine, Eximbank s’est montrée favorable à un rééchelonnement du remboursement du principal des prêts concessionnels et préférentiels, crédits acheteurs pour la période 2019-2021.

Tout cela envoie évidemment un mauvais message aux prêteurs. Doit-on s’attendre à un durcissement des conditions d’endettement pour le Cameroun ?
La restructuration est considérée comme une prime à l’insolvabilité voire à l’irresponsabilité. Lorsqu’elle est significative, elle entraine une perte de confiance des futurs et actuels créanciers. Il en résulte une difficulté à emprunter dans le futur, et donc à financer son économie.

Toutefois, elle peut aussi avoir un effet positif. L’annulation ou de la restructuration permet de dégager de nouveaux moyens financiers et de retrouver une nouvelle capacité d’investissement, en éloignant la situation quasi irrémédiablement compromise de la cessation de paiement. Pour le Cameroun, il ne faut cependant pas s’inquiéter sur les prochaines émissions de titres publics, la restructuration demandée n’étant que marginale.

La Chine a commencé à donner suite à la demande de restructuration du Cameroun en annulant la dette sans intérêt, échue en fin 2018. Comme on a pu le voir par le passé, une restructuration de la dette a toujours une contrepartie. Que veut la Chine et que peut-elle tirer de cette opération ?
En effet, la restructuration de la dette n’est pas un repas gratuit. Il faudra bien payer les frais de «la générosité chinoise», soit par un accès aux matières premières pour nourrir la croissance chinoise en plein essoufflement, soit par la conclusion de nouveaux contrats avec des entreprises chinoises. Enfin, le Cameroun, bénéficiant d’une position stratégique au carrefour de l’Afrique de l’ouest et de l’Afrique centrale, la Chine espère étendre son influence dans le golfe de Guinée, potentiel détour de son projet «Nouvelle route de la soie».

Le président Paul Biya annonce la poursuite d’«une politique active de coopération économique avec la Chine». Au regard des difficultés actuelles, est-ce vraiment opportun ?
La Chine est une chance pour le Cameroun, une opportunité à saisir si l’on cesse d’être suiveur, mais plutôt co-guide. Face au volontarisme chinois, le Cameroun reste figé dans un rôle plus d’observateur que d’acteur. Désormais, le Cameroun doit plus agir qu’il ne réagit.

La Chine est susceptible de lui offrir de belles perspectives, une alternative commerciale intéressante dans la diversification des partenaires. De nombreux produits camerounais intéressent les consommateurs chinois. Il faut sortir du spectre de la surexposition à l’endettement pour une coopération offensive.

En seulement un demi-siècle de relation sino-camerounaise, notre pays s’est doté de nombreuses infrastructures pour son développement. La présence chinoise au Cameroun suscite plus d’espoirs que d’inquiétudes.

Dans sa stratégie de densification du portefeuille de coopération avec la Chine, des fonctionnaires au ministère de l’Économie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire conseillent d’explorer de nouveaux modes de financement tels que les Partenariats public-privé (PPP), les Built-Operate-Transfert(BOT). Ils suggèrent même de proposer à la Chine le financement des infrastructures, en échange de l’exploitation des ressources naturelles. Au regard des expériences du Congo Brazzaville, de l’Angola, du Sri Lanka… le Cameroun ne se jette-t-il pas lui-même dans la gueule du loup ?
Les nouveaux modes de financement envisagés sont des alternatives à un éventuel assujettissement économique par la dette. Cependant, il faut relever que pour les PPP et les BOT, les couts globaux sont souvent plus élevés, en raison du transfert de l’essentiel des risques au concessionnaire. Le gouvernement peut être amené à accorder des exemptions fiscales et douanières, lorsque le flux de trésorerie de l’exploitation de la société en charge du projet ne couvre pas l’ensemble des charges.
Par ailleurs, le financement des infrastructures contre l’exploitation de ressources naturelles a montré ses limites dans la pratique angolaise de coopération avec la Chine. Pékin pourrait devenir prédateur plutôt qu’investisseur. Les cours des matières premières connaissent des variations erratiques sur les marchés financiers qui peuvent grever la capacité de remboursement en cas de baisse drastique. Si la diversification peut réduire les risques, elle en fait de même pour la rentabilité.

Interview réalisée par
Aboudi Ottou

Appels de fonds non exécutés par Eximbank 

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