Education inclusive: les écoles face à l’impérieux besoin d’accompagnement

La question d’un appui technique et financier reste problématique dans des établissements scolaires accueillant des enfants présentant des besoins spéciaux.

À première vue, Hermine ne présente aucune différence avec ses camarades de la Section d’initiation à la lecture (Sil). Elle semble suivre avec attention la lecture que font à tour de rôle ses semblables ce vendredi 9 septembre 2022. Rien cependant ne garantit que ce soit réellement le cas. « On n’est jamais sûr de rien. Elle est toujours silencieuse dans son coin. Quelques fois elle est souriante, parfois absente ou elle peut se fâcher sans explication », explique Solange L, enseignante à l’école maternelle et primaire bilingue Unity, à Nkolmesseng dans le 5ème arrondissement. C’est qu’à son arrivée dans cette école, il y a trois ans, l’écolière présentait plusieurs troubles. Notamment l’incapacité à parler, une fatigue constante, des accès de colère et l’incapacité à reproduire des signes écrits et une incapacité à sociabiliser.

Elle faisait uniquement ce qui lui passait par la tête. Non seulement, elle ne parvenait pas à reproduire les signes, mais en plus, elle refusait tout bonnement d’écrire, que ce soit à l’école ou à la maison. Pour qu’elle essaye ici, il fallait beaucoup la flatter. Souvent, je devais la porter sur mes genoux, lui faire des câlins pour qu’elle accepte au moins d’essayer d’écrire». Hermine parvient désormais à reproduire certains symboles et lettres de l’alphabet. Elle entretient aussi des rapports plus cordiaux avec ses camarades et parvient même à dire quelques mots.

C’est la recherche de tels progrès qui justifie l’inscription d’Hermine dans cette école non spécialisée. Conformément à la norme de l’éducation nationale en vigueur au Cameroun. Laquelle consacre l’intégration des élèves présentant des déficiences dans les écoles non spécialisées.

Enseignants impuissants
Solange L. n’a pas toujours obtenu de résultats positifs face à des cas spéciaux. Ce fut le cas avec Nathan, un garçon de huit ans qu’elle a encadré les deux années scolaires précédentes. Elle reconnaît bien volontiers avoir souvent été impuissante. « Je ne savais pas ce que je devais exactement faire pour aider Nathan. Le seul mot qu’il pouvait dire c’était « mama ». Il ne pouvait pas s’empêcher de marcher. Tu le renvoyais à sa place que trois secondes après, il te comprend la blouse en disant tout souriant mama. Il n’écrivait pas.

Pourtant, il en avait envie et voulait faire comme ses camarades. Il voulait lire, écrire, il assurait le bâton et pointait le tableau, mais il était incapable de parler ou même de se concentrer», se souvient-t-elle. Aucune solution n’a été trouvée pour fournir un appui pédagogique à cet enfant. «On n’a rien pu faire, il venait donc juste ici parce que sa grand-mère espérait toujours qu’à force d’entendre les autres enfants parler qu’il parvienne aussi à le faire. C’était son seul souhait». Au sein de son école, Nathan a cependant appris quelques règles de savoir-vivre. Il avait arrêté de se faire pipi dessus, ne volait plus les goûters de ses camarades pour assumer sa famine constante.

Solidarité oblige
Pour les pédagogues, l’encadrement mixte représente un défi supplémentaire aux exigences habituelles du métier. Ceux-ci ont alors la contrainte liée au respect des programmes et du temps en même temps qu’ils doivent assurer une éducation de qualité pour tous les jeunes dont ils ont la charge. « Il m’est arrivé cette semaine de lire mon cours et d’oublier qu’il y a un aveugle dans ma classe. Ce sont les élèves qui m’ont interpellée pour me rappeler que j’allais trop vite pour leur camarade», raconte Marlyse K, enseignante d’histoire. Et pour décrire leurs épopées, des exemples sont nombreux. « Le problème des aveugles c’est avant la classe de 4e, parce que tous les cours sont écrits. Il faut donc écrire tout en lisant. Parfois tu te concentres à écrire et tu oublies».

Ressources humaines
La problématique de la formation des enseignants pour ce qui est de l’encadrement des enfants déficients est une problématique pour les établissements scolaires. Les autorités éducatives fournissent quelques formations au personnel enseignant. Cela est cependant jugé superficiel et insuffisant. «On nous a formés une fois pour le langage des signes. On avait appris à mimer l’hymne national», précise Reine Anaba, enseignante des collèges. Le besoin de formation urge pourtant, soutenez Boniface Tatou, responsable des activités Sports et périscolaires au Collège Adventiste de Djoungolo. «Il se pose un problème de ressources humaines qualifiées. Face aux insuffisances, certaines écoles sont obligées de consommer à des enseignants spécialisés et cela à un coût», martèle-t-il.

Le professeur spécialisé dans l’encadrement des auditifs déficients a été recruté par le collège pour couvrir les besoins d’interprétation de plus en plus élevés. Cette année, l’établissement confessionnel reçoit en son sein des enfants autistes, des déficients visuels, des déficients auditifs et des handicapés moteurs. Différents stratagèmes ont été trouvés pour répondre à ces différentes situations. «On a souvent délocalisé certaines salles de classe pour faciliter la mobilité des moteurs handicapés. Pour ce qui est des enfants autistes, chaque élève est assisté de son accompagnateur psychologique tout au long de la journée et le collège fait des réductions sur les frais de scolarité pour appuyer les familles. Pour les non-voyants, nous avons des instruments pour traduire les textes imprimés en braille et vice-versa».

Sensibilisation
Dans l’éducation mixte, chacun joue sa partition pour faciliter l’intégration des jeunes présentant des besoins spéciaux. Des professeurs aux agents de sécurité, tout le monde est mis à contribution y compris les élèves. «Les élèves sont le plus souvent compatissants et patients envers leurs camarades. J’ai eu deux enfants déficients auditifs l’année dernière. Ce sont leurs camarades qui leur prêtaient leurs cahiers pour qu’ils puissent compléter leurs cours. Mais l’un des deux lisait très bien sur les lèvres ce qui faisait que lorsque je dictais une phrase, il traduisait à son camarade et là je pouvais avancer dans le cours», déclare Reine Anaba.

La cause nécessite bien souvent de gros efforts de sensibilisation. «En début d’années, nous organisons souvent une campagne de sensibilisation dans les salles de classe où nous expliquons aux élèves qu’ils ont à leurs côtés d’autres jeunes qui ont besoin de leur compréhension et de leur aide», confie Boniface Tatou . En insistant sur le fait que la sensibilisation est également tournée vers certains enseignants qui, quelquefois se sont montrés réfractaires à cet exercice.

Louise Nsana

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