Ebebiyin: la « seguridad »… à tout va

Teodoro Obiang Nguema, l’homme fort de Malabo.

Convaincues de l’idée que, pour attenter au pouvoir actuel de Malabo, des oiseaux de mauvais augure entrent par cette ville de la province de Kié – Ntem via Kyé – Ossi, les autorités ont choisi de militariser la localité située dans le Nord-est de la région continentale de Guinée équatoriale.

Textos. Messages vocaux. Le poste frontalier équato-guinéen a subi pendant une demi-journée un intense pilonnage par nos soins afin de comprendre si oui ou non, il serait possible de voir le commandant Danielo. Finalement, quelqu’un a décroché (par mégarde ?) son téléphone, annonçant durement que «imposible!» Pas plus. Dans ce genre de cas de figure, on ne peut donc pas l’approcher. Au mieux, on peut l’observer à partir du Cameroun. A près de 200 mètres au loin, on voit juste un homme apparemment investi d’un pouvoir et d’une compétence supérieurs. Ceux qui, ici à Kyé – Ossi, prétendent le connaître, murmurent qu’il serait investi d’une intuition mystique dopée à la folie militaire. Il n’écoute personne, sauf peut-être sa hiérarchie au bout du fil. Il ne parle à personne, sauf peut-être quand il tonne face à sa constellation de subalternes.
Ce 11 février 2018, le «Comandante Danielo» tient un escadron d’environ 300 hommes et deux blindés. Ce dispositif a pris ses quartiers en face de Kyé – Ossi très tôt. «Depuis une heure du matin précisément», renseigne le capitaine Walter Anyouzoa. Rompu à ce type de manœuvres, cet officier de l’armée camerounaise présume que «la fête de la jeunesse côté camerounais serait à l’origine de ce déploiement sans précédent». Dans le périmètre frontalier de la Guinée Equatoriale, Danielo fait des allers et retours le long d’une grosse barre de métal. C’est ici l’un des points névralgiques de l’ «Operacion Seguridad» («Opération Sécurité»), décrétée au lendemain du putsch avorté dans la nuit du 27 au 28 décembre 2017.

Batterie

A gratter un peu, l’on apprend que, depuis la découverte du complot contre son pouvoir, Malabo a choisi, de manière unilatérale et asymétrique, de «contrôler autrement» la frontière avec le Cameroun. La nouvelle démarche des autorités équato-guinéennes s’appuie sur la convergence du civil et du militaire. Le fait est que, dans le cadre de l’«Operacion Seguridad», des liens entre soldats et citoyens anonymes ont été institutionnalisés à tous les niveaux d’intervention. Quelques quidams soulignent d’ailleurs que la symbiose est parfaite. «Cela s’appelle combiner projection militaire et activités civiles dans les zones sensibles», décrypte Walter Anyouzoa, scrutant les mouvements à partir de ses jumelles. Pour lui, cette combinaison place le civil en priorité pour des rôles de témoignage et de dénonciation des hommes jugés dangereux, ou encore des situations illégales ou en dérogation aux directives du haut-commandement équato-guinéen. Une sorte de chasse à l’homme permanente. Une sorte de spectacle qui se joue sans relâche. Une sorte de cirque où la passion du commentaire suspicieux remplace parfois la soif de vérité. Après tout, l’«Operacion Seguridad» se trouve des proies. Des témoignages assurent que c’est un fumier sur lequel prospèrent des arrestations de migrants téméraires. En début janvier dernier, allègue-t-on, deux Maliens ont été capturés. Quelques minutes après l’interpellation des infortunés, le grotesque l’a disputé à l’ignoble au moindre soupçon de collusion avec les putschistes présumés.
Et si la suspicion est forte, c’est parce qu’ici à la frontière avec le Cameroun, l’armée de Guinée Equatoriale est coutumière de ce genre de manœuvres. Sauf que ces derniers temps, Malabo brandit tous les spectres tout en assurant «seulement répondre à un éventail d’objectifs : sécuriser, fermer et surtout bien contrôler la frontière avec le Cameroun», tel que le relaie La Gazetta, un quotidien privé proche du pouvoir de Malabo. Aussi nobles qu’elles puissent paraître, ces visées dessinent une autre réalité. «Là, on est passé à une dimension complètement différente», souligne une bonne source militaire camerounaise. Si l’éventualité d’un remake du putsch est bien envisagée par les hauts responsables de l’armée équato-guinéenne, l’ampleur des moyens mis en œuvre a surpris ici à Kyé-Ossi. «Il n’y a pas eu de gradation, ils ont d’emblée employé l’arsenal lourd», explique la même source.

Technologie

Depuis sa mise en place, l’«Operacion Seguridad» a provoqué un «bouclage» optimal et militarisé de la frontière. Les jeeps se relaient jour et nuit, les hélicoptères survolent la forêt environnante. On s’est même lancé dans une surenchère technologique, considérant probablement qu’il est devenu indispensable de doubler cette démarche d’un ensemble de systèmes plus sophistiqués, plus élaborés et plus complexes. Un jeune Congolais, expulsé de Guinée Equatoriale et réfugié à Kyé -Ossi, raconte: «grâce à des appareils, des militaires traquent les étrangers suspects sur leurs écrans comme dans un jeu vidéo. Ces informations sont transmises à des policiers sur le terrain, équipés de radios et leur permettent de localiser les clandestins». Sans trop flâner sur des détails, Timothée Dooh Elamé (un Camerounais expulsé de Mongomo il y a juste trois jours) dit qu’à son «retour» au pays, il a vu des appareils fixés dans des buissons. «C’est comme des appareils photos», balance-t-il candidement. Plus aguerri, un haut-gradé des forces camerounaises soupçonne des caméras thermiques de haute sensibilité, capables de faire le point à quelques kilomètres de distance. A côté, un autre parle de détecteurs sismiques permettant de déceler les moindres mouvements.

Arrière-plan

«Surtout pas se fier à ce que vous voyez à partir du Cameroun», avise un Timothée Dooh Elamé. A l’en croire, les soldats en faction ici à la frontière sont appuyés par une brigade d’ingénierie interarmées et des mansardes réservées aux services spéciaux. Rapidement, on le comprend, la mission de surveillance s’est transformée en appui militaire direct aux troupes vues à partir du Cameroun. «Dans un contexte de grosse fébrilité, ces unités en retrait appuient de facto celles qu’on voit ; il est logique que l’objectif de la sécurité frontalière les rassemble», tente d’éclaircir un officier de l’armée camerounaise. «Depuis que le projet d’attentat contre le président Obiang Nguema a été déjoué, on suspecte tout maintenant… Même les voisins», ajoute-t-il.

 

 

Malabo se dit menacé. Selon des informations recoupées par le pouvoir local, des individus mal intentionnés ambitionnent de renverser le régime chapeauté par Teodoro Obiang Nguema Mbasogo. Le branle-bas des rumeurs et contre-rumeurs nées de cette situation survenue en fin d’année dernière, amène les autorités équato-guinéennes à glisser -sans retenue- vers leur penchant d’antan: restreindre au maximum les entrées des personnes et des biens dans leur pays. Cette fois-ci, on ne s’est plus caché sous la moquette diplomatique. Désormais, toute personne désireuse de fouler le sol équato-guinéen doit passer un contrôle militaire (et non plus présenter une simple carte d’identité ou un passeport en cours de validité). Elle ne peut plus s’y installer pour plus d’un mois, sauf si elle est «hautement qualifiée». Sous le manteau, on parle d’un nouveau projet de «plan de libre circulation». Pour le moment, Malabo se garde bien de le confirmer.
A ce jour, sous le compas de Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, la Guinée Equatoriale dessine son schéma par rapport à la libre-circulation qu’elle avait pourtant fait fleurir au cours du dernier trimestre de l’année dernière. A travers l’«Operacion Seguridad» entrée en vigueur en début de cette année, cela est étouffé. Comme pour obscurcir la clarté. Conséquence: le «Marché Mondial», qui a connu une croissance extraordinaire, suscitant bien des espérances en matière de mouvements des biens et des personnes en zone Cémac, est retombé. Plombé par le sort très commun qui le lie aux actualités sur la libre-circulation, cet espace commercial, enfoui à la confluence de trois pays (Cameroun, Gabon et Guinée Equatoriale) joue son destin au ralenti. On pensait que la situation n’était que de simples éclairs d’orage. On se surprend à entendre le tonnerre de la hausse des prix et diverses spéculations. Les faits sur le terrain tendent à montrer que c’est à cause d’un pays cadenassé dans ses frontières que cela est arrivé. C’est l’objet du présent zoom.

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