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Eaux non facturées en Afrique : des enjeux ruissellent, des défis coulent

Le chiffre témoigne à suffire des effets pervers de l’eau non facturée (Enf) sur les sociétés en charge de production et de distribution de l’eau potable en Afrique.

Photo de famille à l’ouverture du colloque

Du 26 au 27 janvier 2023, s’est tenu à Yaoundé le Colloque international sur la gestion des sociétés d’eau potable. Il a mobilisé les pays membres de l’Association africaine de l’Eau (AAE). À l’instar du Cameroun, du Gabon, Congo, République Démocratique du Congo, Burundi, Guinée Équatoriale, et Sao Tomé et Principe. Ces pays se sont penchés sur le thème: «Viabilité financière des sociétés d’eau en Afrique: maîtrise des pertes commerciales et des fraudes sur le réseau d’eau potable». Une occasion idoine d’échanges sur les défis communs relatifs à l’eau non facturée (Enf).

Au cours de ces assises, il était question pour les acteurs de faire l’autopsie des eaux non facturées et d’en dégager les effets pervers sur les sociétés. Puisque l’Afrique enregistre «60% des pertes dont 30% des pertes commerciales et 30% également des pertes réelles», révèle Aimé Loukou de la Côte d’Ivoire. Il est le directeur de l’Assainissement des grands comptes et des activités industrielles. Cet état de choses n’est pas sans effets sur les recettes des entreprises. «Plus de 32 milliards FCFA sont perdus à cause des fuites dans les réseaux, et en plus, 16 milliards FCFA par an sont fournis aux clients sans être facturés. Ceci pour des raisons de vols, de compteurs défectueux ou de corruption», ajoute-t-il.

Dans la même veine, le directeur général de la Cameroon water utilities corporation, Blaise Moussa, en a profité pour présenter les pertes de la société dont il a la charge. En effet, le rendement de distribution à date se situe autour de 46,61%. C’est dire que «la Cameroon water utilities perd plus de la moitié de l’eau qu’elle produit», fait-il savoir. «Il en résulte ainsi un déséquilibre entre les charges et ses recettes», a-t-il souligné.

Causes
Après l’autopsie des pertes commerciales et réelles observées sur les réseaux de distribution de l’eau potable, les causes ont été identifiées. Il s’agit de manière spécifique et pour le cas du Cameroun du faible rendement. Celui-ci s’explique davantage par la vétusté des canalisations et des équipements de comptage. Le mauvais fonctionnement des ouvrages de stockage et l’augmentation des cas de fraudes est également pointé du doigt. De nombreuses conséquences en découlent. Parmi lesquelles les effets pervers non seulement sur la gestion durable de la ressource, mais également sur la viabilité financière de l’entreprise. Lesdits effets pervers s’amplifient lorsqu’on combine à ces contraintes «les aspects liés à l’écart entre le coût de production estimé à 870 FCFA et le prix de vente de 324 FCFA du mètre cube d’eau, ainsi qu’au recouvrement timide des créances chez les particuliers et les administrations», souligne Blaise Moussa, Vice-président de l’Association africaine de l’Eau pour l’Afrique centrale.

Enjeux
Selon le directeur général de la Camwater, Blaise Moussa, le Colloque international sur la gestion des sociétés d’eau potable poursuit plusieurs enjeux. Et l’accès à l’eau potable pour tous occupe une place de choix dans les politiques et stratégies au Cameroun. Au regard de la Stratégie nationale de Développement 2020-2030 (SND30). Il est question de «s’assurer l’accès universel et équitable à l’eau potable et à un coût abordable à tous les ménages, de veiller à une bonne planification de l’extension du réseau d’eau potable selon l’évolution démographique et de développer les capacités techniques en mobilisant le secteur privé de façon concurrentielle», explique-t-il. Plus loin, en ce qui concerne la politique nationale de l’eau, il est prioritairement question de promouvoir «Les services d’alimentation en eau potable (AEP) et d’assainissement dans les villes camerounaises en partenariat avec les collectivités territoriales décentralisées (CTD)», conclut le Vice-président de l’AAE pour l’Afrique centrale.

Olivier Mbessité

 

Plaidoyer pour la disponibilité de l’eau

L’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest éprouvent d’énormes difficultés à fournir de l’eau potable à leurs populations. Une situation qui se justifie par le fait que les sociétés de distribution d’eau potable sont confrontées à des défis majeurs, notamment celui de l’eau non facturée (ENF). L’eau non facturée se définit comme étant la différence entre le volume d’eau potable émis dans le réseau de distribution et celui effectivement facturé par les consommateurs. De façon concrète, il s’agit des pertes techniques, commerciales et de la fraude. Une étude de la Banque mondiale estime les pertes à près de 32 milliards de mètres cubes par an, dont la moitié dans les pays en développement. La Cameroon Water utilities Corporation (Camwater), société publique en charge de la distribution de l’eau potable au Cameroun à l’instar d’autres sociétés d’eau d’Afrique centrale (Centrafrique, Congo, Gabon, République Démocratique du Congo et le Tchad) n’échappe pas à cette problématique. C’est ce qui justifie la tenue du colloque sous-régional ouvert du 26 au 27 janvier 2023 à Yaoundé par les responsables de l’Association africaine de l’Eau (AAE), les partenaires au développement, les experts de question d’eau et d’assainissement, les élus locaux, les investisseurs et autres acteurs du secteur. Lesquels ont après échange sur les défis communs ont d’une part tracé les sillons d’un nouveau modèle de sociétés de production et de distribution de l’eau potable et des questions liées à l’assainissement. D’autre part, il était question de partager les bonnes pratiques en matière de réduction des ENF et de promouvoir les efforts de plaidoyer en faveur d’une meilleure gestion des réseaux d’eau potable.

Le colloque organisé au Cameroun intervient quelques semaines après l’élection de Blaise Moussa, directeur général de la Camwater au poste de Premier vice-président de l’Association africaine de l’Eau pour l’Afrique centrale. C’était au cours des 90èmes assises du Conseil scientifiques et technique (SCT) de l’AAE tenues en novembre 2022 à Abidjan en Côte d’Ivoire. En effet, le colloque en terre camerounaise a pour objectif global de booster la performance des sociétés d’eau par la maîtrise des pertes techniques, commerciales et des fraudes sur les réseaux de distribution d’eau potable des sociétés en Afrique centrale et à fournir un aperçu sur les défis spécifiques des sociétés d’eau et sur les expériences de réussite à travers des solutions innovantes. Lire notre zoom.

Olivier Mbessité

Initiatives

L’AAE au front contre les pertes des eaux non facturées

 

Elle a mis en place des programmes à l’échelle continentale pour s’attaquer à ce problème dévastateur qui met à mal les sociétés publiques de distribution de l’eau.

Face aux pertes techniques, commerciales et des fraudes sur le réseau d’eau potable, l’Association africaine de l’Eau (AAE) n’est pas restée insensible. Puisque l’Afrique perd par an environ 45 millions de m3 d’eau. Elle a mis en place un programme entre 2014-2015 pour essayer d’attaquer ce problème de fond. Avec l’appui des partenaires techniques, elle s’est associée à un programme ambitieux visant à réduire l’augmentation constante des pertes d’eau. «L’AAE a travaillé avec 19 compagnies d’eau nationales qui opèrent dans 16 pays d’Afrique du centre, de l’est, de l’ouest et du sud», fait savoir Sylvain Usher, directeur exécutif de l’AAE. «Le programme a été la première tentative à l’échelle continentale pour s’attaquer à ce problème dévastateur d’une manière sérieuse et soutenue», poursuit-il.

Selon le directeur exécutif de l’AAE, le programme s’est concentré sur «la détermination de l’ampleur réelle et des causes des pertes au niveau des compagnies d’eau et la conception et la réalisation des programmes d’action, pour inverser la tendance des pertes et le renforcement de l’expertise africaine pour résoudre ce problème maintenant et pour l’avenir», souligne-t-il. Le continent regorge de 5000 milliards de m3 d’eau dans ses nappes phréatiques et ses eaux de surface. «Mais à peine 320 millions d’habitants ne bénéficient toujours pas de l’eau potable», s’indigne Sylvain Usher.

ODD
Selon le sixième Objectif du développement durable (ODD), l’Organisation des Nations unies (Onu) vise un accès universel et équitable de l’eau potable et à l’assainissement d’ici 2030. En particulier pour les populations vulnérables. Ce qui appelle à une gestion durable de nos ressources. Certes des progrès ont été réalisés au cours de ces dernières années pour améliorer l’accès des populations à l’eau potable. Mais «le taux d’urbanisation et l’augmentation de la taille des populations africaines donne l’impression que le secteur recule», précise le directeur exécutif de l’AAE. Et de conclure «les efforts restent à faire, et c’est à cela que se juge l’importance des organisations comme la nôtre, car elles permettent aux experts de partager leurs expériences et d’apprendre des uns des autres». Une posture entérinée par Blaise Moussa. Le directeur général de la Camwater déclare en effet que «les deux jours de colloque nous ont permis à travers les exposés et échanges, de capitaliser sur nos différentes expériences et compétences dans la gestion des pertes en eau en vue d’en tirer des enseignements idoines pour améliorer la performance et la viabilité financière de nos structures en charge des questions d’approvisionnement en eau».

OM

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