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Dolisane-Ebosse Cécile : Sus au néant historique sur le monde Noir

Il y a dans ce soubassement, un travail d’aliénation afin de brouiller les repères historiques et de créer une certaine dépendance, laquelle débouche sur le Brainwash, c’est-à-dire apprendre aux Africains à se désapprendre et partant, consolider le néant historique

La cheffe du département de Littératures et Civilisations africaines à la faculté des Arts, Lettres et Sciences humaines de l’Université de Yaoundé I invite à un questionnement de fond sur l’identité Noire dans le monde, à l’heure des mutations sociales, des dérégulations institutionnelles et de la montée de l’incertitude. En même temps, elle met en valeur les schémas tracés en faveur du processus d’intégration en Afrique.

Dolisane-Ebosse Cécile : «Nous devons apprendre à nous connaître pour la survie du continent»

 

Aux États-Unis d’Amérique, et désormais partout dans le monde, le mois de février est consacré au Monde Noir. Quels sont les tenants et les aboutissants de ce concept ?
Le mois de l’histoire des Noirs (Black History Month), inauguré en 1976, mais mis en pratique aux États-Unis en 1995, est la commémoration de l’histoire des africains déportés dans les Amériques. Depuis l’esclavage, ces Afro-descendants qui se font appeler Africains-Américains, par la fierté de leurs racines, n’ont jamais renié leur identité, malgré la douloureuse et humiliante histoire.

Cet événement est célébré en Amérique du Nord (Canada et États-Unis), en Europe, ainsi que dans les Caraïbes. Mais au Cameroun, l’on confinait cet événement à l’ambassade des États-Unis où j’ai moi-même été invitée pour donner plusieurs conférences et animer des séminaires. J’ai également eu à délocaliser les étudiants par les services culturels pour parler des personnalités noires célèbres (Booker T. Washington, James Baldwin et Colson Whitehead pour ne citer que ceux-là) avec une intervention proactive avec un public restreint, trié par l’ambassade. Mais il faut reconnaître que cette commémoration n’est pas exempte de critiques venant de la part des Noirs eux-mêmes, en l’occurrence, Morgan Freeman (sur Huffpost, Canada, 10 Février 2017) et James Baldwin (National Club Press, décembre 1986).

Voici déjà cinq années que le mois de février est consacré au Monde Noir. Pourtant le Cameroun et l’Afrique semblent à la traine de la célébration. Pourquoi cet état des choses?
Disons que pour ce qui est de l’aire francophone, ce type d’événement, en relation avec l’émancipation des peuples dominés et la reconnaissance de leur héros, se veut toujours stratégiquement à la traîne à cause de la politique assimilationniste de la République. Par exemple en France, Bordeaux a commencé sa célébration en février 2018 alors que dans les Caraïbes, à l’instar de la Guadeloupe, on est à la onzième édition.

Il y a dans ce soubassement, un travail d’aliénation afin de brouiller les repères historiques et de créer une certaine dépendance, laquelle débouche sur le Brainwash, c’est-à-dire apprendre aux Africains à se désapprendre et partant, consolider le néant historique.

Pour revenir au cas du Cameroun, qu’est-ce qui est prévu à votre niveau ce mois de février pour mettre en lumière le Monde Noir?
Merci de vous intéresser aux activités et animations scientifiques du département de Littérature et Civilisations africaines de l’Université de Yaoundé I. Je vous ai dit plus haut que depuis plusieurs années, on nous invite systématiquement à l’ambassade des États-Unis. Mais cette année, avec la disparition de Tony Morrison, icône de la littérature africaine-américaine, le 5 août 2019, nous avons décidé de lui rendre hommage au département, car elle était aussi bien écrivaine qu’enseignante, directrice de la Chaire de littérature américaine à Princeton University jusqu’à sa retraite en 2006.

Le département de littératures et civilisations africaines subit une cure de jouvence depuis quelque temps sous votre impulsion. Vous achevez de lui donner un coup de neuf et d’autres innovations sont en vue en cette année 2020. Peut-on en savoir davantage?
Merci de reconnaître ce que nous faisons malgré nos modestes moyens. Effectivement, nous avons entrepris la rénovation de notre département aussi bien sur le plan académique que logistique, tout en luttant contre l’insalubrité. Cette cure de jouvence apporte une certaine convivialité et un air de gaieté pour l’ensemble des collègues, car il faut un esprit saint dans un corps saint. Il faut également remercier les collègues et les doctorants qui m’épaulent dans la mesure où je ne suis pas seule dans cette entreprise.

Pour ce qui est des activités académiques à proprement parler, il faut savoir que le département était très peu connu. Donc il fallait un travail de sensibilisation. Pour ce faire, nous avons institué, depuis septembre 2017, deux séminaires en littérature et civilisations africaines et un séminaire numérique. Nous avons mis en lumière les thèmes qui structurent et auréolent notre département. Nous avons ouvert le bal avec le Pr Jean Emmanuel Pondi sur la jeunesse camerounaise et le panafricanisme ; l’oralité et le développement avec le Pr Nol Alembong et Charles Binam Bikoi. Nous avons invité et lu plusieurs auteurs tels que Ahmadou DJaili Amal, Armand-Claude Abanda, Rodney On et la poésie de Bekale. En 2020, nous allons rendre hommage à Toni Morrison, première femme noire, prix Nobel de la Littérature pour l’ensemble de son œuvre. Et au mois de mars, nous ferons une conférence avec l’écrivaine Marlyse Tongo Doo-Bell avec son premier roman, la trahison du prince Kotoko. Cette conférence s’intitulera : « la femme africaine et la pensée multiculturelle ».

Le mois d’avril sera consacré au théâtre. Nous allons mettre l’accent sur la place du théâtre d’aujourd’hui dans les études littéraires africaines, ses enjeux et défis. Notre invitée serait Rabiatou Njoya, la grande princesse du théâtre au féminin. Elle serait accompagnée par deux universitaires spécialistes du théâtre.

À votre avis, l’intégration régionale/africaine est-elle porteuse d’avenir pour nos pays et notre continent ?
Bien évidemment, cette question est un truisme ! L’unité du continent est primordiale et c’est un impératif catégorique. Nous devons croiser nos champs culturels, nos champs disciplinaires et fonctionner dans la transversalité des pays physiques, psychiques, psychologiques et politiques. Nous devons apprendre à nous connaître pour la survie du continent et même de la planète. Et cela doit s’effectuer dans tous les domaines comme je l’ai énuméré tantôt. En ce qui concerne l’université, nous avons un service de coopération sous régionale ; et au sein de notre département, le panafricanisme littéraire et culturel sert de fil d’Ariane, rehaussé à travers les Diasporic Studies, la littérature et la globalisation, et l’oralité et la globalisation. En ce sens, les romans de Tierno Monenembo et d’Abdourahmane Waberi sont en bonne place. Sans oublier le prestigieux rang qu’occupe la littérature des Amériques (Etats-Unis, Caraïbes) dans nos curricula. Tout ceci pour vous dire que notre département travaille pour le développement intégral de l’Afrique par le biais de la connaissance et de l’éducation des grandes figures mythiques, légendaires, historiques, pouvant servir de repères et de modèles pour la jeunesse africaine.

Votre département est-il intéressé par des problématiques d’intégration régionale et continentale?
Bien évidemment, c’est même la pierre angulaire ; c’est sur cette donne que le département tire son souffle, pour ne pas dire qu’elle en est même le fondement. Autrement dit, les travaux académiques effectués comme les thèses, les mémoires, les séminaires, les conférences, sont focalisés sur les stratégies à adopter pour sortir l’Afrique de «la raque de l’histoire», pour reprendre Césaire, et davantage pour valoriser le patrimoine culturel africain et ses diasporas. Nos rencontres, nos voyages au Brésil et précisément à Salvador de Bahia montrent à quel point les passerelles doivent s’établir entre le microcosme camerounais et les autres pays d’Afrique et entre l’Afrique et ses diasporas à travers le monde.

Comment cet intérêt se manifeste au quotidien et dans votre feuille de route 2020?
Ma feuille de route est assez claire et rigoureusement établie. Au département de Littérature et Civilisations africaines, nous menons un travail d’éducation, de transmission et de pérennisation de l’histoire et la culture à partir de la littérature et les civilisations. Nous divulguons, conscientisons et sensibilisons la jeunesse africaine, en présentant les publications des anciens et nouveaux écrivains, en organisant les séminaires et les conférences et en gardant la même ossature pour les thèses et les mémoires. Tous ces travaux doivent avoir pour finalité d’abord la connaissance de soi et ensuite, de son patrimoine pour l’estime de soi et s’épurer de toutes formes de complexe du colonisé avant d’aller à la rencontre de l’autre, car le respect des valeurs de l’altérité commence par une introspection, une meilleure valorisation de soi, de son propre héritage. D’où les actions menées dans le département à savoir, la lecture et la relecture de la nouvelle moisson du livre africain (nous sommes intéressés par tous les nouveaux ouvrages : essais, romans, interviews des auteurs du monde noir). C’est cette estime de soi, l’affirmation de sa personnalité qui incite à la créativité. Pour tout dire, la jeunesse camerounaise doit de plus en plus s’atteler à une réflexion approfondie sur l’Afrique à partir d’un paradigme africain.

À votre avis, qu’est-ce qu’il faut attendre des universitaires et des intellectuels dans la promotion et la valorisation de l’intégration régionale et africaine?
Je ne prêche que dans ma chapelle ; je n’ai pas de recette miracle et ne peut prétendre parler au nom des intellectuels et universitaires africains, car chacun a ses motivations, son programme et surtout son arrière-boutique. Aimé Césaire, le chantre de la négritude, nous disait dans son poème «moi laminaire» qu’il y a plusieurs types de volcans : les pantins et d’autres qui sont proches de l’antique déchirure de l’histoire. Le département LCA est dans le deuxième camp. Pour cela, il exhorte alors nous autres africains, à nous montrer plus sincères et plus engagés à la cause du continent humilié et avili. Cette unité ne se fera qu’avec ses fils du terroir et de ses diasporas. C’est la raison pour laquelle nous devons plus que jamais être solidaires. Et penser à Haïti qui a payé et continue à payer le lourd tribut de son insolence salvatrice pour le peuple noir.

Propos rassemblés par
Thierry Ndong

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