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DGI – Gicam : Liens sans l’autre

Entre le patronat et l’administration fiscale camerounaise, des signes avant-coureurs de l’affaiblissement du partenariat se faisaient sentir; tant les priorités stratégiques des deux parties n’en finissaient pas de s’éloigner les unes des autres. Évocation.

C’était le 28 mai 2018. Célestin Tawamba recevait Louis-Paul Motaze au siège du Groupement inter-patronal du Cameroun (Gicam) à Douala. Petite phrase du chef de file du patronat camerounais adressée au ministre des Finances (Minfi): «La fiscalité est un obstacle au développement du Cameroun». Dans une interview accordée à Jeune Afrique, le président de l’Union des patronats d’Afrique centrale (Unipace) le claironnait encore de manière plus appuyée. «Aujourd’hui, le régime fiscal camerounais se caractérise par un taux de fiscalisation effectif du secteur formel qui, pour certains secteurs, va bien au-delà de la norme. Ce, alors même que le taux de mobilisation des recettes est insuffisant. D’où un glissement vers un système fiscal confiscatoire -un système de taxation sur la base du chiffre d’affaires- qui n’est pas corrélé au bénéfice réel des entreprises», avait confié Célestin Tawamba sur le site internet de l’hebdomadaire panafricain, le 18 juillet 2018. Dans les mêmes colonnes, il proposait «un changement de paradigme fiscal, avec la mise en place d’une fiscalité qui dépasse les légitimes contraintes des finances publiques, pour tendre vers des objectifs résolument économiques et sociaux».

C’était entendu: le patronat s’irritait contre le modèle de gouvernance à la Direction générale des impôts (DGI). Entre les milieux d’affaires et l’administration fiscale, des signes avant-coureurs de l’affaiblissement du partenariat se faisaient sentir; tant les priorités stratégiques des deux parties n’en finissaient pas de s’éloigner les unes des autres.

Ainsi donc, Célestin Tawamba a décidé de cracher le morceau à Paul Biya. En adressant une lettre au président de la République, le 16 janvier 2020, le président du Gicam n’a pas pris de distance. Au fil des lignes, il dénonce et alarme sur les «dérives» managériales de Modeste Mopa Fatoing. À charge contre le directeur général des impôts, la correspondance s’accroche sur 7 griefs («sa relation avec les entreprises et les organisations qui les représentent; sa vision et sa pratique de l’administration fiscale; son inaptitude à dialoguer et faire face à la contradiction; le climat délétère qu’il a instauré à la Direction générale des impôts et qui a entraîné le départ de hauts cadres compétents vers d’autres cieux; le refus de délivrer des documents administratifs qui a entraîné des retards considérables dans la réalisation des investissements; son incapacité à concevoir une politique fiscale sur court et moyen termes, de nature à impulser la croissance tout en assurant un niveau appréciable des recettes de l’État et, facteur aggravant, sa méconnaissance des réalités de l’entreprise»).

Désirs et pulsions
De manière plus profonde, on pourrait écrire, sauf à craindre les mots, que le spectacle auquel assiste l’opinion publique nationale ne date pas de ce matin. «Depuis juin 2017, les choses étaient claires, carrées et prévisibles», confie une source de première main au ministère des Finances. Notre interlocuteur explique sans détour que, pris d’un vertige inexplicable, Célestin Tawamba travaille à rompre une tradition: le dialogue entre l’administration fiscale et le secteur privé.

Durablement établie depuis 2013, cette tradition commence à se désagréger avec l’arrivée de l’industriel à la présidence du Gicam. Dans un style managérial qu’il assume, le nouveau «patron des patrons» se montre distant; entraînant avec lui quelques affidés. Dès sa première rencontre avec Alamine Ousmane Mey (alors ministre des Finances) en août 2017, il annonce que son mandat sera essentiellement axé sur la réforme fiscale. Bien plus, il assure que l’organisme dont il vient de prendre les rênes fera des propositions visant à réorienter la politique fiscale du Cameroun. Curieusement, il met un terme à la cadence des rencontres entre le Gicam et la DGI. «C’est la fin des très courus dîners-débats organisés par le Gicam sur les innovations fiscales de la loi de finances», déplore une autre source.

Selon d’autres indications, la déconnexion entre la DGI et le patronat est exacerbée au moment où Célestin Tawamba installe un groupe de travail en charge de l’élaboration du projet de réforme fiscalo-douanière du Gicam. Pour rendre sa démarche symétrique, il sollicite officiellement la participation de la DGI et de la Direction générale des douanes (DGD). À en croire nos informations, les deux administrations lui font noter qu’elles ne peuvent pas participer à une initiative privée de réforme fiscalo-douanière, mais qu’elles restent très ouvertes à l’analyse des propositions pertinentes de réforme qui découleraient des travaux du groupe de travail cité supra. Toutefois, à titre informel, deux inspecteurs principaux des impôts -Ngolle V Isaac Richard (alors chargé d’études à la DGI) et Émile Francis Bitoungui (en attente de sa décision de mise en disponibilité)- participent de façon très active aux travaux du comité de réforme du Gicam.

Commentant la lettre de Célestin Tawamba à Paul Biya, un cadre du ministère des Finances doute de la capacité du président du Gicam à gagner la bataille contre le fisc. Et pour cela, le fonctionnaire brandit une avalanche de preuves (voir ci-dessous) que le dialogue n’a jamais été rompu entre les deux parties. «Ce dont il s’agit, dit-il, c’est davantage le choix du président du Gicam de rompre avec la tradition de dialogue établie par ses prédécesseurs et de le substituer par un dialogue de plus haut niveau, au niveau ministériel et plus certainement au niveau présidentiel; Célestin Tawamba a affirmé à plusieurs reprises, par médias interposés (nationaux et internationaux) que son seul véritable interlocuteur c’est le président de la République».

Jean-René Meva’a Amougou

Dialogue plutôt fertile

Au ministère des Finances, l’on qualifie les charges contre Modeste Mopa Fatoing de «pensées de laboratoire n’ayant cure des réalités». Ces dernières montrent bien que pour l’administration fiscale, le Gicam reste un partenaire.

 

Le 28 mai 2018, au siège du Gicam à Douala, le ministre des Finances (accompagné de ses principaux collaborateurs de la DGI et de la DGD) reçoit solennellement le rapport sanctionnant les propositions de réforme fiscalo-douanière du Gicam et promet d’en faire un usage judicieux.

Courant juin 2018, le ministre des Finances constitue un dispositif d’examen des propositions du Gicam, composé d’un Comité de pilotage qu’il préside personnellement et d’une Unité technique coordonnée par son conseiller technique n° 1 et par Isaac Richard Ngolle V (encore chargé d’études à la DGI).

Les travaux de l’Unité technique se tiennent à un rythme hebdomadaire de juillet à septembre 2018, période au terme de laquelle elle présente son rapport au Comité de pilotage présidé par la Minfi. Le 3 novembre 2018, le ministre des Finances est de nouveau invité au siège du Gicam à Douala pour présenter le résultat des travaux d’examen par ses équipes des propositions du Gicam. Il fait les annonces suivantes:

– 71 % des propositions formulées ont été jugées pertinentes et intégrées dans le projet de loi de finances pour l’exercice 2019;

– les 29 % restantes, constituées pour l’essentiel de la baisse à hauteur de 50 % du taux de l’acompte de l’impôt sur les sociétés compensée par la restauration des droits de douane et de la TVA sur les biens de première nécessité (riz, poisson, tranches sociales d’eau et d’électricité) et la suppression des avantages fiscalo-douaniers de la loi du 18 avril 2013 sur les incitations à l’investissement, feront l’objet d’études plus approfondies en vue de leur prise en compte progressive dans le corpus législatif, au regard des contraintes du Programme économique et financier triennal du Cameroun avec le FMI;

– la création, en octobre 2018, de deux comités souhaités par le Gicam: (1) le Comité permanent de concertation public-privé chargé de l’examen des propositions de réformes fiscalo-douanières; (2) le Comité d’examen des recours contentieux et gracieux introduits auprès du ministre des Finances.

Au terme de son intervention, le ministre des Finances a reçu une standing ovation mémorable de l’assistance, traduisant une approbation sans limites des résultats de l’examen des propositions du Gicam.

Les deux comités paritaires créés par le Minfi, mais où la DGI et la DGD sont largement minoritaires, fonctionnent normalement depuis leur création.

Le Comité d’examen des recours contentieux et gracieux a ainsi instruit plus d’un demi-millier de recours depuis novembre 2018, procédant à des dégrèvements massifs des impôts et taxes émis par la DGI, pour la plus grande satisfaction des contribuables.

La 9e session du Cameroon Business Forum (CBF), s’est tenue le 12 mars 2018 à Douala, sous le thème général: «Financement des petites et moyennes entreprises et développement du tissu industriel camerounais». Au total, sept (7) recommandations formulées touchaient au climat fiscal des affaires, dont cinq (5) adressées essentiellement à la DGI et deux (2) partagées entre la DGI et le Mindcaf d’une part, et entre la DGI et la DGD d’autre part.

Le Comité permanent de concertation public-privé quant à lui, composé majoritaire des représentants du secteur privé (Gicam, Ecam, Mecam, CCIMA, ONCFC) et présidé par Isaac Richard NGOLLE V (désormais CT3 du Minfi), a tenu une vingtaine de sessions en 2019 qui ont abouti à la formulation consensuelle des propositions fiscalo-douanières pour la loi de finances 2020.
Ces propositions ont été solennellement présentées aux milieux des affaires par le ministre des Finances au siège du Gicam à Douala, le 27 septembre 2019. Alors question : de quelle rupture de dialogue parle le président du Gicam ? À l’observation, Célestin Tawamba utiliserait le Gicam pour régler des comptes personnels.

Bobo Ousmanou

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