Une grogne sociale couve au sein de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac). D’après plusieurs indications, elle met aux prises l’institution sous-régionale et son personnel, surtout celui sur le point d’être atteint par la limite d’âge de départ à la retraite. En effet, les premiers responsables de la Cemac arrivés en fin d’activité s’inquiètent de leur prise en charge et du versement régulier de leurs droits par l’institution communautaire après leur départ. Conformément au règlement n0 03/09 — UEAC-007-CM-20 du 11 décembre 2009 portant statut des fonctionnaires de la Cemac, ils sont fonctionnaires internationaux (catégorie de l’encadrement), fonctionnaires du régime local (personnel non-cadre) ou agents contractuels, et ont des droits qu’ils entendent bien faire valoir. Certains de ces personnels ont fait carrière au sein des organes et institutions spécialisées de la Cemac, tandis que pour les autres, ils ont assuré le fonctionnement de ces institutions à l’instar de l’OCEAC ou encore de l’ISSEA, pour ne citer que ces exemples.
Les premiers fonctionnaires sur le point de se séparer de l’institution craignent pour leur prise en charge pendant leur retraite, au vu du faible niveau des contributions des États.
Pour ainsi dire, ces derniers nourrissent la crainte d’être abandonnés à leur sort, eu égard notamment au faible niveau des contributions des États membres aux charges de fonctionnement des institutions sous-régionales. Ces fonctionnaires se fondent pour cela sur la dernière session ordinaire du Conseil des ministres de l’UEAC du 10 août dernier, qui a clairement permis d’évaluer les impayés statutaires des Etats à près de 78 milliards FCFA. Le pire étant que dans le même temps, la dette sociale de la Communauté n’a pas cessé de prendre du volume. Selon certaines indiscrétions, plusieurs fonctionnaires parlent désormais de «négligence des ministres de la Cemac» et appellent alors à prendre la mesure de la gravité de la situation.
Évaluée à 18 milliards 685 millions FCFA au 10 août 2020, la dette sociale de la Cemac est un défi sulfureux pour la quiétude de l’institution, qui n’est plus à l’abri des mouvements d’humeur des personnels avec à la clé plusieurs affaires en justice.
Répartition de la dette sociale
Source: Commission Cemac, août 2020
Le président de la Commission de la Cemac, Daniel Ona Ondo est sur le pied de guerre. La Cemac est lourdement endettée envers ses employés: 18 milliards 685 millions FCFA. Cette situation est au bord de l’explosion et pourrait se transformer, du jour au lendemain, en un mouvement social. Une énième actualité dont se passerait bien l’institution en ces temps de calme précaire précédent ou succédant la tempête. Car dans les institutions, les organes, les institutions spécialisées et les agences d’exécution; on n’est plus à l’abri d’un scoop!
État
La dette sociale de la Cemac concerne toutes les structures que compte le système Cemac. Elle se traduit en indemnités de cessation d’activités (départ), quoteparts d’assurances, arriérés de frais de session, remboursement des frais médicaux, frais de scolarité, frais de téléphones et droits reconnus par les différents régimes indemnitaires de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac). Le tableau I ci-joint précise les rubriques et les sommes dues par rubriques.
Conflictualité
Cette situation dure depuis plusieurs années, bien avant l’entrée en fonction de l’actuel gouvernement communautaire. Ce qui n’a pas toujours été du goût de certains ex-employés, et qui ont perdu patience face au temps de réaction. Laquelle réaction a souvent été de ne pas payer cette dette dans sa totalité. Un ancien cadre de la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac) a trainé la Cemac en justice à ce sujet. Des cas de ce type sont légion. En général, les employés de l’institution communautaire doivent parfois attendre plusieurs années pour se voir payer leur dû. Une réalité qui est source de tension pour l’environnement interne de l’institution et d’amertume pour l’environnement externe. Dans une note effeuillée par le journal Intégration, la Cemac conclut: «les anciens fonctionnaires et les familles des fonctionnaires décédés sont réduits à la détresse sociale».
Vers une convention collective?
L’idée est peut-être saugrenue, mais une diplomatie d’entreprise ne serait pas inutile au sein des différents segments du système Cemac. Au sein des institutions, des organes, des institutions spécialisées et des agences d’exécution, un dialogue de pédagogie pourrait s’engager afin d’anticiper voire désamorcer les mouvements d’humeur. Cette mesure doit être prise en renfort aux dispositifs existants: régimes indemnitaires par catégories d’institutions et employés. Les frustrations ne sauraient être ignorées.
La conjoncture économique morose, engendrée par les crises des matières premières, sécuritaire et humanitaire de 2014, a été prolongée ou même aggravée par les incidences de la crise sanitaire liée à la pandémie du coronavirus. Une situation qui dicte la trésorerie de la Cemac et entraine une redéfinition des priorités.
Plan d’apurement
Pour pallier cette situation, la Cemac propose aux Etats de régulariser les impayés de la TCI accumulés sur la seule année 2018. Ils s’élèvent à 25 622 026 531FCFA. Le paiement s’étale sur 3 ans et permet d’engloutir la dette sociale (voir tableau II).
Théodore Ayissi Ayissi (stagiaire)
Pouvoir judiciaire de la Cemac
Les souffre-douleurs
La dette due aux magistrats de la Communauté et aux employés de la Cour de justice et de la Cour des comptes communautaires représente à elle seule 38,40% de la dette sociale de la Cemac.
Sur un stock de dettes sociales estimées par la Cemac à 18 milliards 685 millions FCFA au 10 août 2020, la cour de justice et la Cour des comptes communautaires seules pèsent 7175 904 589FCFA. Elle se compose comme suit: 6 21 417 738FCFA au titre des indemnités de cessation d’activité; 641 706 509FCFA au titre des cotisations sociales; 496 272 296FCFA au titre des frais personnels divers; 16 508 046FCFA au titre de la dette fournisseur. Pour exemple, les juges communautaires de la dernière mandature attendent toujours d’être «libéré» selon une expression qui leur est commune.
La responsabilité des États questionnée
Plusieurs anciens juges communautaires rencontrés ne cachent pas leur confusion. Les experts sont par contre moins réservés qu’eux. Ils soulignent davantage la responsabilité des États, notamment à travers l’attribution d’indemnités et salaires à la limite fantaisistes, car adossée sur un matelas financier inconfortable dans les trésoreries de l’institution communautaire.
Alors que les arriérés de reversement des États membres sont en augmentation, les encaissements dans les comptes de la Communauté sont en forte baisse. Ces encaissements couvrent à peine les charges de fonctionnement de la communauté.
Au regard de cela, le robinet a été coupé. Le régime indemnitaire de cessation d’activité des membres de la Commission, des juges, des membres de la Cour de justice et de la Cour des comptes a été réaménagé. Idriss Deby Itno, alors président de la Conférence des chefs d’État, a signé, le 28 avril 2017, l’Acte additionnel n°01/17 — CEMAC-237-CCE-13 qui réduit à «12 mois du dernier salaire brut» (article 1er) ladite indemnité. C’est seulement après octobre 2017 que les décisions de réaménagement du système de la taxe communautaire d’intégration ont été prises. En sus, malgré 90% de dette annulée en octobre 2017, les États membres ont accumulé près de 73 milliards FCFA d’impayés de contributions statutaires.
Théodore Ayissi Ayissi (stagiaire)
Cessation d’activités des fonctionnaires de la Cemac
L’illustration grandeur nature par le secrétaire général du parlement communautaire
S’il y a bien un cas qui illustre la difficulté de la Cemac à régler sa dette sociale en général et la cessation d’activités des fonctionnaires en particulier, c’est celui du secrétaire général du parlement communautaire. C’est le dernier dossier épineux auquel la Commission s’est heurtée. Il a nécessité la réécriture des textes relatifs au régime salarial et indemnitaire du secrétaire général du parlement communautaire de la Cemac.
Pour cause, le mandat du secrétaire général sortant du parlement communautaire de la Cemac, Parfait Etong Abena, arrivait à échéance le 7 juin 2020.
Si l’on s’en tient au règlement n°04/12-UEAC-PC-CM-23 du 22 juillet 2012 portant régime de rémunération du SG, il devrait coûter à la Cemac une somme conséquente au titre de la cessation d’activité. En application des dispositions pertinentes du règlement n°05/12-UEAC-PC-CM-23 portant régime indemnitaire de cessations d’activités du SG et du SGA, cette indemnité comptabilise: une indemnité pour service rendu, égale à quinze mois du dernier salaire brut perçu, des gratifications annuelles de deux mois de salaire par an, une indemnité de préavis de trois mois, une indemnité spéciale de deux mois.
En novembre 2019, le Conseil des ministres de l’UEAC a réduit ces émoluments à douze mois du dernier salaire brut. Il s’agit de l’unique indemnité pour service rendu. Un sacré coup de découpe qui s’applique au prochain secrétaire général et à celui en fonction. La Cemac économisera une sacrée enveloppe!
Cette décision permet à la Cemac d’harmoniser le réaménagement du traitement des fonctionnaires communautaires, précisément pour ce qui est du régime indemnitaire.
Toutefois, si, comme l’indique la Cemac, «alors que les arriérés de reversement des États membres sont en augmentation, les encaissements dans les comptes de la Communauté sont en forte baisse. Ces encaissements couvrent à peine les charges de fonctionnement de la Communauté», une question s’impose, est-ce sur le dos des fonctionnaires communautaires que la Cemac devrait puiser les subsides? Ou alors c’est dans les caisses des États qui ne respectent pas le mécanisme de la TCI? Une question de justice se poserait alors pleinement!
Cemac
Entre tension de trésorerie et tension sociale
Il se trouve que la Cemac, en tant qu’institution, est étranglée par les États (lire Intégration n0 430). Dans un précédent numéro en effet, votre journal faisait déjà observer que les caisses de la Communauté étaient vides. Depuis 2017, les États membres n’ont pas arrêté d’accumuler des impayés, principalement à cause du non-reversement de la taxe communautaire d’intégration (TCI). Sur la foi du propre constat du Conseil des ministres de l’UEAC, tenu le 10 aout dernier, les impayés statutaires s’élèvent à près de 73 milliards FCFA.
Pour ne rien arranger, la dette sociale de l’institution sous-régionale s’est également creusée au cours de la même période. Elle est évaluée aujourd’hui à 18 milliards 685 millions FCFA. En réalité, en l’absence de marges de manœuvre financières, les dirigeants communautaires ont décidé de sacrifier le volet relatif aux charges sociales et de reléguer celles-ci au second plan, au grand dam du personnel. Ainsi que nos informations l’attestent, les arriérés au titre des indemnités de départ s’élèvent, en aout 2020, à près de 12,5 milliards FCFA, pendant que ceux relatifs aux cotisations sociales se situent à un peu plus de 1,5 milliard FCFA.
Il en a alors résulté qu’un certain nombre de droits sociaux ont dû être suspendus. Il s’agit, entre autres, des primes de séparation, du versement des quoteparts d’assurance, du remboursement des frais médicaux, des frais de scolarité et de téléphone, etc. (lire Intégration n°430).
En tout état de cause, les ministres de la Cemac en charge de l’Économie et des Finances avaient déjà tiré la sonnette d’alarme. Au cours de la 35e session ordinaire de leur conseil, les plénipotentiaires de la sous-région ont pris «acte de la situation des nouveaux arriérés cumulés par les États membres et rappelé les directives des chefs d’État du 31 octobre 2017 d’annuler la masse d’arriérés à hauteur de 90% et invitant les États à s’acquitter du différentiel», renseigne à ce propos le communiqué final.
Seulement, la crise économique qui frappe de plein fouet depuis 2016 les pays de la sous-région a été amplifiée avec la survenue de la pandémie de Covid-19. Pour certains pays comme le Cameroun, la situation est même encore plus grave. Le pays fait en plus face à une crise sécuritaire à l’Extrême-Nord et à une crise sociopolitique dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Toutes choses qui rendent en tout cas inconstantes et irrégulières ses contributions aux charges de fonctionnement de la Communauté. D’après les données de la Commission de la Cemac, les impayés du Cameroun envers la Communauté sont aujourd’hui de l’ordre de plus de 24,5 milliards FCFA. Mais il n’y a pas que le Cameroun. Certains États n’ont même rien versé depuis le début de l’année.
Quoi qu’il en soit, c’est en se fondant sur ce constat alarmant que la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la Cemac, lors de la 14e session ordinaire de cette instance sous-régionale, a pour sa part tenu à «exhorter le président de la Commission de la Cemac à approfondir la réflexion sur les sources alternatives de financement de la Communauté», a indiqué en son temps, un communiqué de l’institution. L’urgence de trouver des moyens alternatifs de renflouement des caisses de la Cemac est d’autant plus pressante que désormais, une bombe sociale menace d’exploser à tout moment.
Dans l’entendement des plaignants, la prise en charge des retraités de la Cemac est un problème qui doit figurer au rang des priorités des dirigeants communautaires. Certains fonctionnaires parmi ceux désormais menacés de précarité sont au service de la Communauté depuis son entrée en fonctionnement en juin 1999, voire un peu avant. Et il est dès lors de bon ton pour ces derniers que la réforme institutionnelle de la Cemac intègre cette réalité. Car en définitive, il y va de la crédibilité et même de la survie de l’institution sous-régionale.
CEEAC
Incertitudes et inquiétudes chez le personnel
Le président de la Commission et les employés de l’ex secrétariat général sont divisés sur l’interprétation de l’article 114 des statuts révisés portant sur la rupture des contrats de travail.
C’est une potentielle bombe à retardement qui pourrait altérer le climat social à la commission de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC). Les fonctionnaires ayant officié sous l’ex-secrétariat général de l’institution ne sont pas automatiquement reversés dans la Commission. L’article 114 du traité révisé de la CEEAC le précise. L’alinéa 2 dudit article énonce que «au cours de la période transitoire, le personnel demeure régi par le statut adopté par décision N°002/CCEG (III) 87 du 28 août 1987.
Il est évalué par un cabinet indépendant au regard des nouveaux objectifs assignés à la Communauté». Pour le personnel, c’est cette démarche qui doit être respectée scrupuleusement dans le sens où la période transitoire qu’assure le personnel prend fin lorsque les résultats de l’évaluation du cabinet indépendant sont communiqués et mis en œuvre avec le nouveau dispatching.
D’autant plus que l’alinéa 3 de l’article 114 du traité révisé précise: «à l’issue de cette évaluation, sans préjudice du programme de départ volontaire qui pourrait être organisé, les fonctionnaires et agents retenus sont admis à postuler à un emploi ou redéployés à la Commission, après un renforcement des capacités ou un recyclage en tant que de besoin».
Pour le président de la Commission Gilberto Da Pieda de Verissimo, il faudrait d’abord rompre les contrats des cadres en attendant l’évaluation. Ce qui est fortement contesté par le personnel. D’autant plus que des recrutements ont débuté au sein de l’institution. A titre d’illustration, la Camerounaise Mbacko Mpocko Rachelle Blandine épouse Mpondo a été nommée directeur de la coopération et mobilisation des ressources le 11 septembre dernier. Bien plus, des appels à candidatures sont actuellement ouverts pour certains postes de travail au sein de la Commission. «Le calcul des droits du personnel n’interviendra que pour ceux qui ne seront pas retenus au sein de la nouvelle Commission», indique une source bien informée.
Les personnels actuellement en service au sein de l’institution sont encouragés à faire acte de candidature pour les postes ouverts. Qu’en sera-t-il de la liquidation de leurs anciens droits au cas où ils sont retenus après le nouvel appel candidature? «Tout cela se négociera avec le personnel concerné et aussi en fonction des disponibilités budgétaires. Car les soldes de tout compte du personnel coûtent très chers», confie un source interne à la commission de la CEEAC. Une rupture non consensuelle des contrats pourrait entrainer des actions en justice et des réparations/dédommagements plus importants.
Nouvelle classification
Le nouvel organigramme et le nouveau statut du personnel de la CEEAC imposent un profilage nouveau de son capital humain. Ils ont été validés dans le cadre de la réforme par les chefs d’Etat et de gouvernement lors de la 9ème session de leur Conférence à Libreville (Gabon), le 18 décembre 2019. Pour ce qui est de l’organigramme, contrairement à l’ex secrétariat général, la Commission comptera cinq départements qui, à leur disposition, auront seize directions. Sans intégrer les structures rattachées, les structures sous l’égide du président de la Commission et l’organisation du cabinet de la vice-présidente.
Concernant le statut du personnel, l’article 5 classifie ainsi: «les fonctionnaires relèvent de différentes catégories au sein de trois groupes : le Groupe 1, le Groupe 2, le Groupe 3»; «les agents appartiennent à différentes catégories au sein d’un groupe unique, le Groupe 4»; «les autres personnels appartiennent à un groupe unique n’ayant pas de catégories, le Groupe 5».
Bobo Ousmanou