Au Cameroun, la pandémie donne l’occasion de débattre des enjeux de sa gestion. Au menu : coups de gueule et promotion des idées politiques.
Ce sont des rendez-vous de pointe. « Club d’élite » (Vision 4), « Droit de réponse » (Equinoxe), « L’arène » (Canal 2) ou encore « Scènes de presse » (CRTV), tous des programmes diffusés en direct le dimanche (avec rediffusion parfois), pour servir aux Camerounais un « bouillon » de l’actualité nationale. S’il est vrai que les téléspectateurs camerounais se sont accoutumés à ce butinage médiatique dominical, l’avènement du coronavirus semble constituer une raison supplémentaire de surfer sur tous les plateaux télévisés du jour. Il est question de voir qui décrit le mieux les forces ou les faiblesses de la gestion gouvernementale de la pandémie, selon la ligne éditoriale du média qu’on choisit de regarder.
La politique plus forte que la pandémie ?
La clé de cette équation se trouve sans doute dans le titre d’un article de Libération (version électronique) : « Au Cameroun, la politique contamine la lutte contre le Covid », publié le 20 mai dernier. Comme le note le correspondant du journal français à Douala, l’actualité nationale récente a été émaillée par un bras de fer pour le moins spectaculaire, entre l’opposant Maurice Kamto et les autorités de Yaoundé. La raison de ce « duel », Survie Cameroon Survival Initiative (SCSI), une action de levée de fonds visant à organiser « l’autogestion des camerounais face au Covid-19 ». Le « rejet » mais aussi la tension née du gel des comptes de cette initiative se fait alors fait ressentir sur les plateaux des émissions sus-évoquées. Spirale de déclarations hostiles. « Le régime de Yaoundé a décidé d’instrumentaliser la pandémie du coronavirus à des fins politiques », tance Me Sikati, avocat au Barreau du Cameroun, dans l’émission « Droit de réponse » du 03 mai 2020.
Sur le même sujet et à intervalle d’à peine une demi-heure, le Pr Mathias Éric Owona Nguini, affirme : « Le problème fondamental, c’est la manière dont le MRC et son leader ont abordé la question. Ils ont dès le départ entrepris, de manière fort inutile d’ailleurs, de politiser leur façon de s’inscrire dans la lutte contre le Covid-19. » Confrontation similaire sur d’autres sujets comme la levée des mesures gouvernementales au bénéfice des bars, la grogne du personnel soignant du centre des urgences de Yaoundé (revendications salariales et amélioration des conditions de travail…), les couacs de la prise en charge des patients du coronavirus ou encore, la rentrée des classes.
Mais ça ne s’arrête pas au petit écran. Les téléspectateurs mués en « supporters » de chacune des « équipes » de l’échiquier politique national, investissent la toile avec photos, captures d’écran et extraits des propos tenus par les « gladiateurs du dimanche ». Sur Facebook en l’occurrence, contradiction politique rime avec violence langagière à caractère tribal, sans autre forme de procès. Interrogé sur ce phénomène, Valère Kouoguem Noumo, fidèle butineur des programmes du dimanche, voit dans la mise en scène de ces joutes, l’ombre de « la précédente élection présidentielle déguisée en crise sanitaire ». Texte sans contexte n’étant que ruine du sens. Traiter l’actualité de façon approfondie est donc la finalité manifeste de ces programmes télévisés, mais pas que. Ces derniers sont aussi, à l’évidence, les signifiants d’une politisation de l’opinion qui rechigne à dire son nom.
Quel journalisme en temps de crise sanitaire ?
Alors que le desserrement des mesures gouvernementales semble avoir occasionné le resserrement de l’indiscipline collective, un traitement « solutions » de l’actualité du Covid-19 s’impose. Invité sur le plateau de Vision 4 dans le cadre de l’émission « Club d’Elite » du 03 mai dernier, le journaliste Jean-Marie Nka, à sa première prise de parole, s’indignait : « Je suis très heureux d’être là, mais malheureux de constater, en arrivant, qu’à Yaoundé, personne ne porte de masque : ça c’est très grave. […] Vous voyez cinq personnes dans un taxi, personne n’a son masque. Ça, c’est très grave ». Au moment de cette alerte, le Cameroun comptait environ 2000 cas confirmés.
A ce jour, soit plus d’un mois après, l’on dénombre plus de 12000 contaminés. Les débats du dimanche peuvent donc se constituer non plus seulement en Parlement médiatico-politique, mais aussi et surtout en adjuvants de la sensibilisation. « Plus on en parle, plus il y a des témoignages, plus les populations comprennent que c’est une réalité et qu’il faut prendre en compte les mesures barrières édictées par les pouvoirs publics et par l’OMS », soutient Beaugas-Orain Djoyum, journaliste et Directeur Général de DIGITAL Business Africa. « L’Arène » de Rodrigue Tongue sur Canal 2 International marque un bon point, avec la mention « #Protégeons-nous. STOP COVID-19 », inscrite à gauche de l’écran pendant l’émission, dès l’entame du mois de juin. Un journalisme constructif en contexte de crise sanitaire et politico-identitaire ? Pourquoi pas. Cela peut sauver des vies.
Alain Patrick FOUDA (Stagiaire)