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De Monrovia à Yaoundé : Ils baignent dans le sang bassa’a’a

Dans la capitale camerounaise, si l’addition des personnes originaires du Libéria et parlant le bassa’a ne dépasse pas 50, les liens avec les Bassa’a locaux sont néanmoins vivants.

Clinton Mwaha au centre avec ses amis camerounais

Clinton Mwaha est restaurateur bien connu au lieu-dit Sous-Manguier, dans le quatrième arrondissement de Yaoundé. Surpris au fourneau ce 25 février 2020, ce Libérien trentenaire laisse intervenir son instinct de sensualité. Ce jour, il semble à l’écoute d’un esprit, celui de Jean Bikoko Aladin. Au premier ou au second plan, en large et en travers, celui qui se fit appeler «le roi de l’Assiko» le fascine tout simplement. «C’est le meilleur chanteur bassa’a du continent», jure-t-il. Il dit comprendre «tout» des paroles de l’artiste de regrettée mémoire. D’après lui, elles font remonter à la surface du visible des évènements historiques plus ou moins délibérément omis des manuels scolaires, rayés un temps de la mémoire collective, impossibles à assumer. D’ailleurs, Clinton Mwaha ne souhaite pas se faire avoir. Avec un mélange de fierté et de savoir-faire auto-promotionnel, il parle bien sa langue maternelle, façon digne fils d’Eseka ou de Messondo. «Je considère le bassa’a comme une vraie langue, c’est déjà ça!»

Série
Mais, en fait d’analyse, l’attitude du Libérien dévoile surtout une série qu’il propose chaque jour à sa clientèle camerounaise. «Je fais du Mbongo’o de viande de brousse ou de poisson, sans oublier le mintoumba», se vante-t-il, exaltant sa prestance d’un «homme du grand monde arrivé au Cameroun il y a une dizaine d’années». L’enchaînement joue sur les correspondances entre les Bassa’a d’ici et ceux de son Libéria natal. Les mentions recueillies sur sa «famille bassa’a de Monrovia» font l’effet d’un appel venu du tréfonds des âges. À l’en croire, de la capitale libérienne au Cameroun, c’est la légende de la petite et de la grande famille portée par une histoire. Cette dernière, avise-t-il, s’est jouée des dynamiques migratoires.

Cette info est à recueillir avec soin tant elle dévoile une identité commune d’autant plus forte et attirante qu’elle est ouverte à tous, parce qu’elle repose sur des valeurs et non sur une grammaire linguistique artificielle. «Quand il était ici, Mister George, aujourd’hui président, ne parlait que le bassa’a avec ses camarades; il était chez lui ici et il l’a toujours dit», brandit Clinton Mwaha. Parlant justement de l’ancien footballeur devenu homme politique, notre interlocuteur nous plonge dans les ondes d’un passé glorieux avec les frères Biyick.

On s’en rend vraiment compte au milieu de la communauté libérienne basée à Yaoundé. Si l’addition des personnes parlant le bassa’a ne dépasse pas 50, les liens avec les Bassa’a locaux sont néanmoins vivants. «Nous sommes souvent invités officiellement lors des festivals à Ngog-Mapubi et Elog Mpo’o», renseigne Walter Togne, Bassa’a du sud du Libéria. Ce diplomate reconnait que l’effet fonctionne à merveille. Il présente quelques vidéos dans lesquelles il preste comme maitre-danseur d’assiko sur la grotte légendaire du Nyong-et-Kelle.

Il insiste sur le fait que chaque fois là-bas, aucun dépaysement gustatif. «Chez moi, confirme-t-il, c’est exactement la même chose!». Dans le fond, le tout permet de s’aventurer sur des chemins de traverse surprenants où l’on croise la culture d’un peuple logé à la fois en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale. Cela se ressent par le truchement d’un ordre plus ou moins déterminé. «Cet ordre-là, s’empresse de préciser Walter Togne, met à l’honneur l’unicité de la culture africaine».

Jean-René Meva’a Amougou

Yvan Tsala

«Le mythe d’une Afrique unique et immuable est efficace»

Le sociolinguiste camerounais s’attarde sur le pourquoi le bassa’a est à la fois parlé en Afrique occidentale et en Afrique centrale.

Dire qu’il y a des Bassa’a en Afrique de l’Ouest relève, selon certains, d’un «bricolage ethnique». Que leur répondez-vous?
C’est juste une construction sociale pour une raison simple: pendant la migration, la linéarité géographique du parcours passe au second plan. L’important est de trouver un nouveau point de chute. Parler ainsi de bricolage ethnique ne serait alors qu’un écran visant à dissimuler une vérité, à entraver une éventuelle reconnaissance et à négliger la présence bassa’a en Afrique occidentale et centrale.

En tout cas, beaucoup d’ethnologues et anthropologues sont d’accord: Les Bassa’a sont un peuple Bantu autochtone du Cameroun, qui s’étend jusqu’en Afrique de l’Ouest, où il constitue plusieurs foyers. Sa dislocation est née non seulement des mouvements migratoires qui sont à l’origine de l’éparpillement de certaines grandes tribus, mais aussi du fait de la colonisation. Dans ce cadre de pensée, le mythe d’une Afrique unique et immuable est d’autant plus efficace qu’il vient confondre les tenants de telles spéculations ethnosociologiques.

Vous parlez de foyers. Pouvez-vous nous les citer?
Les foyers suivants ont été recensés à ce jour: Les Bassa’a d’Ouesso et les Bassa’a la Mpasu, qui vivent au Congo-Brazzaville et en République démocratique du Congo; les Bassa’a — Ngê que l’on retrouve du côté du confluent de la Bénoué et du Niger. D’autres souches y sont présentes telles les Bassa’a-Nkomo et les Bassa’a-Kaduna. La souche qui a ses ramifications en Sierra Leone au Sénégal et au Togo est connue sous le nom de Bassa’a-Ri. La souche camerounaise, qui est disséminée au sud du Cameroun est sans doute la plus nombreuse, environ un million. En effet, le peuple Bassa’a est éparpillé du Libéria à Malindi en passant par le Cameroun. Il tire son origine de l’ancienne Nubie à la frontière de l’Égypte, du Soudan et le Nil.

Alors, dites-vous, il est possible d’établir des correspondances entre les Bassa’a’a du Cameroun et ceux d’Afrique de l’Ouest?
Absolument! Les plats camerounais très connus, originaires du pays bassa’a, sont le Bongo’o (une sauce) et le Mintoumba, un pain de manioc fait à partir du roui de manioc malaxé et mélangé avec de l’huile de palme, du sel et des épices, le tout roulé et ficelé dans une feuille de bananier. Allez à Malindi au Libéria, vous trouverez exactement les mêmes plats et les mêmes techniques pour les préparer. En plus, il y a la langue. C’est la même. D’ailleurs, un Libérien de Malindi à Boumnyebel par exemple est confondu à un autochtone.

Propos recueillis par JRMA

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