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Crise anglophone : Les populations, grandes architectes de l’escalade

Apparemment détachés du conflit, de nombreux habitants des régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest l’ont pourtant investi en couvrant les stratégies des terroristes.

De retour d’Ekondo-Titi où une attaque a fait quatre morts (trois élèves et une enseignante, selon la CRTV) le 24 novembre dernier, Françoise Mouyenga décrit «une bonne frange de la population insensible ou se refusant à penser à une guerre qu’elle estime ne pas être la sienne». «Bref, lorsque l’on parle de la guerre là-bas, ce sont d’abord les terroristes ambazoniens que l’on vise. En fait, c’est la guerre des autres», expose la géostratège. En feuilletant son carnet de séjour dans cette localité du Sud-Ouest, notre interlocutrice fait part du ras-le-bol publiquement dit par un groupe de jeunes gens exhortant les «Ambas boys à laisser le peuple tranquille».

À en croire Françoise Mouyenga, cette opinion est unanimement partagée par toutes les personnes avec lesquelles elle a pu s’entretenir. «Plus largement, assume-t-elle, il n’est pas rare, dans plusieurs localités où des attaques meurtrières ont été perpétrées, de rencontrer des gens qui ne connaissent ni les noms des groupes armés ni ceux de leurs chefs, en dépit de la circulation de l’information relayée par la presse locale, peu lue, mais abondamment véhiculée de bouche à oreille, les médias internationaux, très écoutés, ou la rumeur. Nombre d’habitants ont plutôt la conviction de faire les frais d’une guerre imposée par l’armée régulière».

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Paradoxe
Celui qui se déploie curieusement sous les yeux de Françoise Mouyenga est «le paradoxe d’une guerre considérée comme une affaire des autres, mais qu’une majorité de la population locale investit jusqu’à prendre des initiatives et à s’attribuer une participation décisive». Ce que dit l’experte camerounaise fait le procès d’une population complice des terroristes disséminés dans les régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest. C’est la même approche que fait valoir Mathurin Acha. Pour avoir séjourné à Kumbo au lendemain de l’attaque du 13 septembre 2021 (bilan sept soldats de l’armée nationale tués et plusieurs blessés, selon des sources officielles), l’auditeur du Centre africain de veille et d’intelligence économique (CAVIE) est persuadé que «les populations locales participent à l’échafaudage des plans meurtriers». La suite fourmille d’indications: «sur une échelle importante, chaque bosquet est un lieu d’ancrage privilégié des réseaux ambazoniens; cela montre bien leur proximité avec les populations. Partout, la présence des Ambazoniens est perçue comme un moindre mal en comparaison avec celle de l’armée régulière».

Exemple
Lorsque le 14 janvier 2019, Paul Biya menace «Si l’appel à déposer les armes que j’ai lancé aux entrepreneurs de guerre reste sans réponse, les forces de défense et de sécurité recevront instruction de les neutraliser», Yann Emmanuel Bissohong (expert camerounais des questions de sécurité) garde un cliché obtenu à Bamenda. «Ce jour-là, j’y ai observé que les Ambas bénéficiaient d’une certaine bienveillance de la part de la population. Entre les séparatistes et elle, l’ambiance était chaleureuse et amicale, contrastant avec le contenu de mémos lus de vive voix dans les médias».

Jean-René Meva’a Amougou

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