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Crise anglophone : Le Commonwealth et l’OIF dans l’embarras

Le Cameroun doit-il continuer de célébrer les journées internationales de la Francophonie et du Common-wealth? La question mérite d’être posée tant il est vrai que c’est l’échec de la cohabitation entre les cultures et traditions institutionnelles, juridiques, administratives… francophones et anglo-saxonnes qu’elles promeuvent respectivement qui est à l’origine du problème anglophone. Le conflit actuel dans les régions Nord-ouest et du Sud-ouest en est une métastase.

La question se pose, d’autant plus que les figures de proue de ces organisations (France et Grande-Bretagne), avec souvent le concours de leurs alliés, ne sont pas étrangères à la situation que connaît notre pays aujourd’hui. Au-delà des objectifs nobles affichés, l’organisation internationale de la Francophonie et le Commonwealth sont en fait des instruments au service d’intérêt géostratégique de Paris et de Londres. En l’absence d’un leadership local éclairé, il y a en effet un risque que le pays se trouve tiraillé entre des enjeux antagonistes comme le montre l’histoire que revisite Intégration.

Alors que les cultures anglo-saxonne et francophone sont au cœur de ce conflit sociopolitique, les deux organisations se font discrètes. 

«On connaît leur appétit à user des figures de style. Comme toutes les autres organisations internationales, les dires de la Francophonie, ou ceux du Commonwealth révèlent les usages stratégiques de figures de style, alliant la litote, l’ellipse et la prétérition». Tel qu’elle pose les schèmes linguistiques de deux têtes de gondole du landerneau sociopolitique international, Anastasie Kaela, enseignante de géopolitique à l’École de guerre de Yaoundé, croit tenir une vérité. Dans des situations gaies ou préoccupantes survenues dans l’un de leurs États membres, le Commonwealth et l’Organisation internationale de la Francophonie émettent un ou des avis, en appliquant leur posture à la grille de leurs dispositions juridiques et de leurs modalités politiques.

Rôle d’appui
Pour contourner l’embarras qui les tenaille sur la crise anglophone, ces deux organisations se sont proclamées «machines anti-politiques». Ainsi, en décembre 2017, on a vu Patricia Scotland, la secrétaire générale du Commonwealth, tenter de procéder à une domestication planifiée de la position du «Club des gentlemen» sur la situation dans les régions anglophones du Cameroun. Lors d’un dîner officiel avec Paul Biya, elle a exhorté les Camerounais à préserver la paix et l’unité, et à privilégier, en toutes circonstances, le dialogue. Pour Mme Scotland, «un Cameroun prospère est une Afrique prospère et un Commonwealth prospère».

Selon les spécialistes de la question, c’est encore la crise anglophone qui a par ailleurs amené le Commonwealth à offrir au Cameroun ce qu’il peut lui apporter en raison de ses appartenances diverses et de ses spécificités propres. L’approche est alors de type ascendant, disent les experts. Ainsi voit-on que la fonction latente assurée par le Commonwealth pour faire face aux défis nouveaux lancés par une gestion jugée débridée et floue. Tout pour expliquer la mise sur pied du réseau des jeunes ambassadeurs du Commonwealth. Il s’agit d’une entreprise d’une centaine de jeunes, dont les objectifs poursuivis sont, entre autres le développement, la justice sociale et la paix. Ils ont été renouvelés à l’occasion de la commémoration du 24e anniversaire du Commonwealth au Cameroun, dont le thème retenu est «Un Commonwealth connecté».

Rhétorique de l’impartialité
Tout à côté et sur le même sujet, l’OIF est passée maîtresse dans l’art de tenir un «discours politique dépolitisé», défini comme une «rhétorique de l’impartialité», caractérisée par «l’évitement des formes les plus violentes de la polémique». «Évitons de compromettre leur avenir. Ils ne nous le pardonneront jamais», a laissé entendre Michaëlle Jean, dans un communiqué publié le 2 octobre 2017.

Elle a poursuivi en soulignant que «les tensions en cours dans ces régions du Cameroun sont très préoccupantes. La violence ne doit jamais être une option pour se faire entendre. J’invite par conséquent toutes et tous à faire preuve de responsabilité et de la plus grande retenue». Pour le secrétaire général de l’OIF, «il est crucial de privilégier, en toutes circonstances, les voies pacifiques et du dialogue, à l’heure où les Camerounaises et les Camerounais sont plus que jamais déterminés à garder ensemble le cap sur la croissance et la stabilité de leur pays».

Jean-René Meva’a Amougou

 

Verbatims taillés sur mesure 

De la situation dans les régions du Sud-ouest et du Nord-ouest du Cameroun, ce que disent certaines personnalités politiques françaises et anglaises met en scène une attitude ambigüe d’un côté, et des enseignements du haut d’une chaire de l’autre.

Brodées d’arabesques dorées, les phrases d’Emmanuel Macron sont restées longtemps accrochées aux lobes des oreilles de Yaoundé. Dans son coming-out du 4 juillet 2018 à Abuja (Nigéria), le président français n’a pas eu un coup de gueule au sujet de la crise anglophone. Tout au plus, «il apparaît clairement, dans l’extrait qui a circulé dans divers médias, que le président Macron a intentionnellement voulu aborder des sujets sur lesquels il sait l’attention des Camerounais très mobilisée», analyse d’emblée Christian Pout, président du think thank dénommé Centre africain des études internationales, diplomatiques, économiques et stratégiques (Ceides).

L’internationaliste s’attarde sur le double format de cette prise de parole du dirigeant français. «Il relève tant de la courtoisie diplomatique que du strategic stakeholder management», pose-t-il.

Officiellement donc, sans élaborer un corpus doctrinal, Emmanuel Macron s’est exprimé sur la situation dans les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest. Normal, admettent des observateurs. Pierre Alix Binet est de ceux-là. Le journal Le Monde explique clairement que «dans ce contexte où l’influence est devenue un critère essentiel pour peser dans les relations internationales, la France adopte une attitude défensive pour conserver ses acquis. Elle inocule cette attitude à son appendice diplomatique qu’est l’OIF». Et le politologue Belinga Zambo de conclure: «Sur la crise anglophone, la position de la France est d’emblée celle de l’OIF».

«Liberté»
Côté Commonwealth, parole à qui veut la prendre. La maxime est plus profitable aux «ténors». Pour leurs contributions aux débats internationaux ou problèmes internes à des entités politiques souveraines, des pays comme la Grande-Bretagne (avec son allié les États-Unis qui n’est pas membre du Commonwealth), lancent quelques bombes pour voir ce qui resterait debout, voire fleurirait.

Avec la situation en zone anglophone du Cameroun, à Washington et à Londres, les choix des autorités camerounaises sont vécus comme des anomalies exaspérantes. La première belle preuve est servie par Peter Tibor Nagy. Le 4 mars dernier, l’adjoint au sous-secrétaire d’État américain chargé des Affaires africaines, avait invité «les autorités camerounaises à être plus sérieuses dans leur gestion de la crise anglophone».

Le second exemple vient de Tobias Ellwood, le responsable en charge des relations avec l’Afrique et le Moyen-Orient au sein du Foreign & Commonwealth Office. Dans une correspondance officielle qu’il a signée le 2 mai 2017, il soulignait la proposition de sortie de crise faite par la Grande-Bretagne. «Nous en avons appelé à l’arrêt de l’usage de la force par les différents protagonistes, à l’obligation de respecter les droits de l’Homme, et à l’utilisation des voies légales pour la résolution de cette crise. Nous en avons également appelé au dialogue pour un retour à la normale dans les deux régions», écrivait-il.

Jean René Meva’a Amougou 

 

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