Coûts et durée du transit : Douala-Bangui et Douala-Ndjamena sous haute surveillance de l’Issea

Gouvernance

Les accidents de la route (soit 26,6 morts sur 100.000 personnes en Afrique) et les pratiques anormales sur les principaux corridors routiers constituent pour la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) un gros manque à gagner. Celui-ci s’évalue au triple plan économique, social et humain. Il s’exprime notamment en termes de main d’œuvre pour le développement de la sous-région, mais également de compétitivité par rapport aux autres Communautés économiques régionales (CERs) à l’ère de la Zlecaf.

Au vu de ces conséquences, la Cemac et ses partenaires, en l’occurrence l’Union européenne (UE), décident de prendre à bras-le-corps ces problématiques présentées comme se rapportant à un problème global de gouvernance. Le sujet constitue le principal fil conducteur de deux ateliers sous – régionaux organisés à Yaoundé ce 10 novembre 2021 sous la présidence d’Alamine Ousmane Mey, ministre camerounais de l’Économie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire (Minepat), par ailleurs ordonnateur national du Fonds européen de développement (Fed).

Les travaux de Yaoundé s’inscrivent dans le cadre du Programme d’appui à la gouvernance des infrastructures régionales et nationales en Afrique centrale (PAGIRN). Un Programme mis en œuvre depuis 2019 et financé à hauteur de 13 milliards FCFA au titre de l’enveloppe régionale du 11ème Fed. La maîtrise d’ouvrage du Programme est assurée par la Commission de la Cemac, ordonnateur régional du Fed. L’institution sous-régionale en a fait délégation au Minepat pour des considérations de subsidiarité et de proximité.

Au final, le procédé a conduit l’ordonnateur national à contractualiser la mise en œuvre du PAGIRN avec l’École internationale des forces de sécurité (Eiforces) et l’Institut sous-régional de la Statistique et de l’Économie appliquée (Issea). Les premiers résultats obtenus ont fait l’objet d’une présentation au cours des deux ateliers sous-régionaux. Lire notre zoom.

Théodore Ayissi Ayissi

La mise en place de l’Observatoire régional des pratiques anormales devrait, au vu des premiers résultats, positionner à terme ces principaux corridors conventionnels de la Cemac parmi les moins chers en Afrique.

Bulletin trimestriel N0 01, janvier-mars 2021

Les principaux corridors routiers d’Afrique centrale n’ont pas bonne réputation. Voilà le constat unanime, à l’ouverture le 11 novembre dernier de l’atelier sous-régional sur le lancement et la présentation des premiers résultats de l’Observatoire régional des pratiques anormales (OPA-AC). Qu’il s’agisse des corridors conventionnels Douala-Bangui (1 431 km) et Douala-Ndjamena (1 844 km), ou encore de la liaison Yaoundé-Libreville (790 km), tous les orateurs décrivent une même réalité. «Malgré toutes les initiatives nationales et sous-régionales en vue de les éradiquer, les pratiques anormales sur ces principaux corridors persistent, rendant ceux-ci parmi les plus coûteux en termes de temps perdu et en termes de coûts comparativement aux autres corridors de transit régionaux en Afrique et dans le monde», critique Philippe Van Damme, l’ambassadeur chef de la délégation de l’Union européenne (UE) au Cameroun et en Guinée Équatoriale.

Dérives
Plusieurs pratiques dites anormales sont identifiées par les États de la Cemac et leurs partenaires. Le directeur général de la Coopération et de l’Intégration régionale au ministère camerounais de l’Économie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire (Minepat), par ailleurs président du Comité inter-États de la Cemac, en présente quelques-unes. Celles-ci concernent pour l’essentiel «la multiplication des postes de gendarmerie, de police et de douane le long des corridors (en moyenne 1 contrôle tous les 10 km entre Douala et Ndjamena, selon l’Issea); les longs passages des frontières; les pertes de temps et les paiements illicites», résume Charles Assamba Ongodo.

À ces pratiques, s’ajoutent «la non-application exhaustive des conventions bilatérales de transit, les questions de sécurité des camionneurs et de sécurité routières, ou encore les difficultés rencontrées aux ports d’entrée (Douala, Kribi), notamment concernant, la digitalisation de certaines procédures douanières, le chargement du fret, la pose du dispositif de suivi GPS, le cautionnement, etc.», relève pour sa part l’Institut sous-régional de la Statistique et de l’Économie appliquée (Issea).
Le Constat n’est pas différent au niveau de l’Union européenne (UE). L’ambassadeur chef de délégation met une emphase sur «les performances de la place portuaire et sur la corruption».

Pour Philippe Van Damme, «ce sont tous ces facteurs qui, mis ensemble, rallongent considérablement les délais de parcours sur les corridors et renchérissent les coûts de transport».
Or, la fluidification du transit sur ces principaux axes d’échanges commerciaux sous-régionaux charrie de nombreux enjeux. Parmi lesquels la libre circulation, la performance des économies de la sous-région, le développement durable, la compétitivité desdits corridors, la croissance inclusive et durable, et l’intégration économique régionale et continentale à l’ère de l’entrée en vigueur de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf).

Autant de raisons qui font de la mise en place d’un observatoire régional un impératif. Ce rôle de gendarme de la Cemac est confié à l’Issea. Les premiers résultats rendus publics permettent de se faire une idée encore plus précise des efforts à fournir.

Ampleur
Cinq critères essentiellement ont permis à l’Observatoire régional d’entrer en scène. À savoir le profil des chauffeurs, le profil des véhicules, les accidents, la durée et les coûts des contrôles, et la durée de la traversée d’un corridor.
S’agissant par exemple du critère de la durée et des coûts des contrôles, l’Issea observe que «pour les dépenses des camions partis de Douala, les chauffeurs se rendant à Bangui déboursent en moyenne 51 787 FCFA (soit 609 FCFA aux 100 km), contre 38 013 FCFA (soit 1 971 FCFA aux 100 km) pour ceux se rendant à Ndjamena». Dans tous les cas, «sur la liaison Douala-Ndjamena, ces coûts atteignent 0,11 dollar par tonne-kilomètre, soit trois fois plus qu’au Brésil (0,035 dollar) et plus de cinq fois plus qu’au Pakistan (0,02 dollar)», relève Francial Giscard Libengue Dobele-Kpoka, coordonnateur du projet OPA-AC, par ailleurs directeur général de l’Issea.

En termes de durée de la traversée des corridors et en raison des troubles en RCA au cours de la période d’observation (janvier-mars 2021), il se dégage «en moyenne que les camions allant de Douala vers Bangui prennent 7 jours contre 5,1 jours pour ceux circulant sur le corridor Douala-Ndjamena pourtant plus long».

Recommandations
Au vu des premières observations, quelques recommandations sont formulées. L’Issea appelle en effet «au maintien des actions entreprises par le gouvernement camerounais, notamment pour la réduction des postes de contrôle et la fluidité au port de Douala; à la formation et la sensibilisation des agents et autres acteurs; à l’appui à l’organisation fonctionnelle et à la formation sur le code routier en vigueur dans la Cemac; à l’amélioration de la sécurité, notamment la nuit entre Édéa et Yaoundé, ainsi que dans les aires de stationnement et de repos; et à la redynamisation du Comité inter-États de gestion des corridors».

OPA-AC
L’idée de la mise en place d’un Observatoire régional par les États de la Cemac date de 2006. Elle se concrétise finalement dans le cadre du Programme d’appui à la gouvernance des infrastructures régionales et nationales en Afrique centrale (PAGIRN). À en croire Charles Assamba Ongodo, ce volet du PAGIRN est «financé à hauteur de 1,5 millions d’euros par l’Union européenne, soit, 983 millions 935 mille 500 francs CFA». Le représentant du Minepat assigne à l’Issea la mission «de collecter et analyser les données de transport; ressortir à périodicité régulière et sur la base des critères définis, les pratiques anormales observées; et traduire dans les faits la volonté des chefs d’États de réduire les entraves à la libre et pleine circulation le long des linéaires routiers».

Théodore Ayissi Ayissi

Accidents de la route

La sous-région dans une ceinture de sécurité

Des forces de l’ordre et autres acteurs originaires de cinq pays de la Cemac viennent de recevoir une formation à l’Eiforces au Cameroun à l’effet de constituer un cordon de sécurité autour des principaux corridors d’Afrique centrale.

«En 2010, les accidents de la route ont coûté à l’Afrique au plan économique environ 26 milliards de dollars américains, aggravant par voie de conséquence la précarité des populations tout en freinant le développement». Ce constat de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) fait prendre conscience de l’importance de la sécurité routière en tant que facteur de développement. D’autres études de la CEA et de la Banque mondiale arrivent au même constat alarmant, et tirent au final la même conclusion.

«Il se trouve que les routes dans cette partie de l’Afrique sont effectivement, selon ces études fiables, parmi les plus dangereuses au monde, et ceci, malgré un taux de motorisation plus faible que la moyenne globale», met en exergue Arnaud Demoor, chef de la section Coopération à la délégation de l’UE au Cameroun et en Guinée Équatoriale.

Cette réalité donne de la consistance à la problématique de sécurité routière en Afrique centrale et la fait apparaître comme un volet pertinent du Programme d’appui à la gouvernance des infrastructures régionales et nationales en Afrique centrale. Grâce à cette dimension du PAGIRN, en effet, il est entre autres question d’opposer une réponse efficace «aux comportements non adaptés des usagers, épinglés comme étant la cause avérée des multiples accidents qui surviennent sur nos routes», à en croire le colonel Didier Badjeck. Pour l’expert en communication, «d’autres causes de mort existent à l’instar de la prise en charge inadaptée des accidentés ou encore le mauvais état des infrastructures routières».

Formation
L’ordonnateur national du Fed, Alamine Ousmane Mey, après avoir reçu délégation de l’ordonnateur régional, le Pr Daniel Ona Ondo, a contractualisé la mise en œuvre de ce volet du PAGIRN en jetant le dévolu sur l’École internationale des forces de sécurité (Eiforces). Ses actions sont «financées par un don de l’Union européenne de près de 500 000 euros, soit 413 millions FCFA, et des fonds de contrepartie du gouvernement camerounais de l’ordre de 85 millions FCFA», précise le ministre camerounais de l’Économie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire (Minepat).

Dans son cahier de charges, il est prévu que l’Eiforces procède à un renforcement de capacités des acteurs déployés sur les différents corridors routiers concernés. L’opération se décline en trois composantes. Elle doit se faire au profit aussi bien des forces de l’ordre en matière de prévention, de contrôle et de répression; des acteurs civils de la sécurité routière en matière de prévention; que des acteurs civils et forces de l’ordre en matière de secours d’urgence.

Résultats
Les premiers résultats indiquent à date qu’au moins 100 personnes ont déjà bénéficié des formations avec des résultats positifs enregistrés en République Centrafricaine (RCA), au Gabon, au Congo Brazzaville, au Tchad et au Cameroun. D’où les félicitations adressées par le Minepat «à l’Eiforces pour ses performances appréciables au regard de la mise en œuvre réussie des activités du Programme».

L’objectif à terme est de parvenir à l’horizon 2030, à réduire de 50% le nombre de décès et de traumatismes liés aux accidents de la circulation. Il est aussi attendu «de manière spécifique, de doter plus de 300 personnels issus de différents secteurs de la sécurité routière d’outils de prévention (y compris contrôle et répression) et de gestion des soins post accidents», a laissé entendre Arnaud Demoor, le représentant de l’ambassadeur chef de la délégation de l’UE à l’atelier sous-régional de présentation des actions de formation en matière de sécurité routière.

Par composante
D’après le colonel Didier Badjeck, «il est possible d’affirmer qu’au terme de la session, les gendarmes et policiers de la sous-région ont acquis le sens et la culture de contrôle et de gestion des flux, la notion de coordination dans la lutte contre l’insécurité routière, la méthode de raisonnement tactique appliquée aux contrôles des flux routiers, l’argumentaire de sensibilisation développée dans le domaine institutionnel ou encore l’intérêt marqué à la formation des formateurs». Un bon bilan en somme pour l’expert en communication de l’Eiforces. Compte tenu également de ce que d’autres sessions sont déjà programmées jusqu’en décembre 2022.

Au sujet de la deuxième composante, Justine Nfangam, expert des Nations unies se félicite, qu’à la fin de la formation de cinq jours, «les participants se sont familiarisés avec le concept du pilier 4 du Plan mondial et de la Charte africaine de la sécurité routière, ont identifié les différents facteurs, risques et causes des accidents de la route par l’usager cible, ainsi que leurs conséquences sociales et économiques, ont maîtrisé les étapes d’une campagne de sensibilisation et ont compris le lien de causalité entre sécurité routière et développement durable, etc.».

S’agissant enfin de la troisième composante, on a appris du Dr Boniface Hollong, médecin urgentiste, que «c’est un total de 100 personnels soignants et agents de relais communautaires qui doivent être formés. Et que seuls 34 ont déjà achevé la formation».

Théodore Ayissi Ayissi

Regards croisés

Alamine Ousmane Mey, Minepat et ordonnateur national du Fed

«La phase pilote doit se pérenniser»

Alamine Ousmane Mey, ministre en charge de l’Economie

Je voudrais saluer l’action que réalise l’Eiforces implantée au Cameroun, avec un déploiement sous-régional et international très apprécié, ainsi que son rôle en matière de sécurité routière. Nous souhaitons, au vu des résultats, que cette phase pilote puisse continuer, se pérenniser et se développer pour que nos pays puissent avoir des routes de qualité, mais aussi un trafic en toute sécurité.

Philippe Van Damme, ambassadeur chef de la délégation de l’UE au Cameroun et en Guinée Équatoriale

«Un observatoire ne peut pas se substituer à la volonté politique»

Pour que l’Observatoire ait un impact réel sur les économies de la sous-région, il faut effectivement que la Cemac et les États membres s’approprient les résultats de l’OPA-AC. C’est de la responsabilité des États de prendre les mesures pertinentes pour lutter contre ces entraves, de préférence en coordination entre eux, et avec d’autres partenaires impliqués dans le secteur des transports. Donc, c’est une question de volonté politique et un observatoire ne peut pas se substituer à cette volonté politique.

Aliou Abdoullahi, coordonnateur de la Cellule d’appui à l’ordonnateur national (CAON)

«L’Eiforces est appelée à devenir un Centre de formation de référence au niveau africain»

L’Eiforces est une référence dans son domaine en Afrique centrale. On voudrait en faire un Centre de formation de référence, pas seulement pour la sous-région, mais également au niveau africain et notamment dans le domaine de la sécurité routière. C’est la raison pour laquelle l’Eiforces a été choisie. Cela donne aussi la possibilité à cette école d’avoir un pôle de spécialisation dans les domaines liés à la sécurité routière et au contrôle des flux dans un contexte où ces thèmes sont au centre d’enjeux économiques.

Francial Giscard Libengue Dobele-Kpoka, coordonnateur du projet OPA-AC, et directeur général de l’Issea

«On fait face à l’incompréhension de certains agents dans les postes de contrôle»

Les difficultés que nous rencontrons sont liées à la Covid-19, avec les restrictions qui en découlent. Mais nous en avons aussi du point de vue organisationnel, parce que les syndicats des transporteurs et conducteurs étaient mal informés sur le début du projet. Et nous avons fait de notre mieux pour que nous puissions avoir un espace de travail commun. L’autre difficulté vient de l’incompréhension avec certains agents dans les postes de contrôle. Nous en profitons pour remercier certains agents à la frontière qui nous facilitent la tâche. C’est le cas du commissariat de police au niveau des frontières à Garoua-Boulaï.

Henry Lucien Ticky Ticky, représentant du président de la Commission de la Cemac et chef de service des systèmes de transport.

«La sécurité routière est le maillon essentiel de la facilitation du transport sur nos corridors»

Le Pr Daniel Ona Ondo tient à adresser ses sincères remerciements à l’Union européenne et au directeur général de l’Eiforces. Et oui, les questions de sécurité routière constituent le maillon essentiel de la facilitation du transport le long de nos corridors.

Des textes existent en la matière, et le premier d’entre eux est le Code communautaire de la route. Il est vrai qu’il est un peu caduc. Une réflexion sera d’ailleurs menée pour l’adapter aux nouvelles indications et prescriptions de la décennie.

Nous avons entendu parler de la création par le Cameroun d’un Institut sous-régional de sécurité routière. C’est très bien cette initiative nationale à vocation sous-régionale. Mais il serait souhaitable que la Commission de la Cemac ait davantage d’éléments pour que nous ayons des outils pour formuler en collaboration avec les différents intervenants du transport terrestre et de la sécurité routière, les curricula et les modes d’intervention.

El Hadj Oumarou, coordonnateur général du Bureau de gestion de fret terrestre, Cameroun

«Continuer à impliquer de façon opérationnelle toutes les administrations»

Il est important de continuer à impliquer de manière opérationnelle toutes les administrations en mettant chacune devant ses responsabilités. Parce qu’il faut bien réduire sur les corridors les coûts que nous subissons tous et qui nous empêchent de renouveler le parc automobile existant qui est aujourd’hui obsolète. En effet, plus de 80% des véhicules en circulation sont des véhicules dits «France au revoir» mis en rébus dans leurs pays d’origine. Donc il y a urgence. Et à côté des infrastructures (routes) qui sont importantes pour le transporteur, il y a également l’outil de transport qui doit être amélioré avec toutes les conséquences que cela implique.

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