La Coopération UA-UE à l’épreuve du Covid-19 dans le contexte des négociations post-Cotonou
Du côté africain, il y a une prise de conscience croissante de la nécessité pour l’UA de développer une position plus ambitieuse et exigeante. 2019 a été une année des réformes et a vu la signature très attendue de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) qui, dans sa mise en œuvre, obligera à repenser les relations extérieures, y compris avec l’UE.
Kenhago Tazo Olivier, Ministre Plénipoten-tiaire, en service à l’ambassade du Cameroun en Belgique.
Cette année sera cruciale pour les relations Afrique-Europe. Le sixième sommet UE-UA sera en effet une occasion importante pour faire avancer le partenariat entre les deux continents. Alors que la nouvelle Commission avait annoncé sa volonté d’engager un partenariat stratégique avec l’UA, et qu’une Communication y relative avait été publiée, après des contacts avec les responsables africains, les effets de la pandémie de COVID-19, qui a eu des conséquences de grande envergure partout dans le monde, dont les plus visibles sur l’économie mondiale et la santé publique, aura également un impact sur les relations Europe-Afrique. Ces diligences sont engagées alors-même que l’UE et l’Organisation des Etats ACP ont engagé des négociations en vue de la conclusion de l’Accord post-Cotonou.
Dès les premiers temps, la Communauté européenne avait prévu un cadre de collaboration avec des entités africaines qui n’avaient pas encore accédé à la souveraineté internationale, afin de maintenir des liens privilégiés avec ces États qui deviendront pour la plupart indépendants quelques-uns années après la conclusion du traité de Rome. Depuis lors, l’Europe et l’Afrique entretiennent une relation toujours privilégiée, dynamique et souvent controversée, aujourd’hui à la croisée des chemins. La création de l’UA au début des années 2000 a donné un nouvel élan au processus d’intégration africaine, entraînant effectivement un changement profond dans ses relations avec ses partenaires, dont l’UE.
Du côté africain, il y a une prise de conscience croissante de la nécessité pour l’UA de développer une position plus ambitieuse et exigeante. 2019 a été une année des réformes et a vu la signature très attendue de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) qui, dans sa mise en œuvre, obligera à repenser les relations extérieures, y compris avec l’UE.
Les réformes institutionnelles de l’UA vont de pair avec de nouvelles initiatives ambitieuses telles que la transformation du Nouveau partenariat économique pour le développement de l’Afrique (NEPAD) en une agence de développement de l’UA, et une nouvelle impulsion pour le développement des infrastructures régionales sur le continent. La signature de la ZLECA propose une voie vers une intégration plus approfondie du marché dans les années à venir, et des mesures importantes sont prises pour augmenter le financement africain pour son programme continental de paix et de sécurité.
Avec ses «ambitions géopolitiques», la Commission von der Leyen tente de positionner l’UE comme un leader dans l’espace multilatéral et de construire les outils nécessaires pour défendre plus ouvertement les intérêts européens. Elle reconnaît que si l’UE souhaite être un véritable acteur de la politique mondiale, elle devra développer une politique étrangère plus forte et plus unifiée, renforcer les domaines où elle dispose d’un avantage comparatif et développer des domaines où elle est actuellement en retard par rapport aux autres grandes puissances mondiales.
Ces diligences tombent à point nommé, et coïncident avec la négociation du cadre juridique qui va régir les relations entre l’UA et l’UE dans les vingt prochaines années. En effet, le principal instrument juridique régissant la coopération entre l’UE, ses Etats membres, et les Etats Africains dans leur presque totalité, est l’accord de Cotonou, conclu en 2000. Tous les États africains, notamment ceux d’Afrique du nord, ne sont cependant pas liés par l’accord de Cotonou et n’interagissent donc pas de la même manière avec l’UE. Leur relation avec l’UE est régie par la politique de voisinage. Cette diversité a des conséquences importantes pour la cohérence de la coopération entre l’UE et l’Afrique, ainsi que pour l’avenir de cette coopération, dans le contexte post-Cotonou.
L’autre cadre qui régit la coopération entre l’UA et l’UE est la stratégie conjointe Afrique-UE, adoptée à Lisbonne en 2007. Outre ces cadres, le Conseil a adopté des stratégies régionales spécifiques pour la Corne de l’Afrique, le golfe de Guinée et le Sahel. La coopération a également lieu dans le cadre de dialogues formels, tels que les sommets UE-Afrique. A cela, il faut ajouter l’adhésion de certains pays africains aux politiques européennes de voisinage. La multiplicité de ces cadres de coopération rend difficile la cohérence multilatérale des politiques européennes.
A cela il faut ajouter l’Alliance Afrique – Europe pour l’investissement et l’emploi durables, adoptée en 2018. L’Alliance est principalement un partenariat qui vise à créer des emplois pour le développement et à réduire les migrations. Mais bien que l’accent mis sur le passage d’une approche axée sur l’aide à une approche axée sur l’investissement soit conforme à ce qu’un nombre croissant de dirigeants africains demandent, cette initiative n’a pas fait l’objet de consultations préalables avec les parties prenantes africaines, alors qu’elle impliquait un réel reconditionnement des initiatives européennes existantes.
Les sommets des chefs d’État et de gouvernement UE-Afrique quant à eux ont traditionnellement lieu tous les trois ans pour examiner les progrès accomplis dans la mise en œuvre des engagements et fournir des orientations politiques pour les travaux futurs. La cinquième s’est tenue à Abidjan en novembre 2017 et a abouti à l’adoption d’une déclaration commune qui identifie les priorités communes pour l’avenir du partenariat Afrique-UE, avec l’accent mis sur la jeunesse notamment. Les décisions prises par le Sommet ne sont pas contraignantes. La mise en œuvre du plan d’action d’Abidjan s’est heurtée à un manque de ressources, l’instrument financier étant, encore une fois, le FED. Bien que très importante au niveau politique, la coopération d’un continent à l’autre souffre donc d’un déficit de mise en œuvre, car peu ou pas formalisé.
Pour l’UE, la négociation de l’accord post-Cotonou devait donc être l’occasion de s’émanciper du cadre UE-ACP et de renforcer ses partenariats avec les régions, notamment l’Union africaine. La négociation de l’accord post-Cotonou est donc un grand moment pour déterminer l’avenir de la relation UE-Afrique en particulier et, en général, UE / ACP. La position de l’UE, qui apparaît dans ses directives de négociation, s’écarte sensiblement du cadre originel de Cotonou, tout en maintenant la relation ACP-UE au centre de la négociation. Elle prévoit que l’accord comprendra une base commune pour les trois régions de l’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, et des piliers régionaux spécifiques pour chacune. Le centre de gravité de la coopération devrait s’orienter vers les régions.
L’architecture du mandat ACP est, pour sa part, basée sur les 3 «piliers stratégiques thématiques» originaux de Cotonou et contient des thèmes transversaux. Il s’agit des piliers ci-après : Commerce, investissements, industrialisation et services; coopération au développement, technologie, science, innovation et recherche ; et dialogue politique et plaidoyer. Il ne donne cependant pas une place prépondérante aux entités régionales.
La position de l’Afrique et plus particulièrement de l’UA, dans ce débat, a été de soutenir que la Commission de l’UA, au moins en ce qui concerne les dispositions concernant le continent africain, devrait conduire les négociations. Après de nombreuses tractations, le Sommet extraordinaire des Chefs d’Etat de l’UA à Addis-Abeba les 17 et 18 novembre 2020 a décidé que les négociations pour la conclusion d’un accord post-Cotonou soient conduites par le Secrétariat ACP, qui pourrait demander en cas de besoin l’assistance technique de l’UA sur les questions touchant le continent africain.
La décision distingue la coopération UE-ACP, sous la responsabilité du Secrétariat ACP, de la stratégie conjointe UE-Afrique, qui est sous la responsabilité de l’UA. L’objectif de l’UE était précisément de joindre ces deux cadres, de les rendre cohérents et d’assurer la primauté du second sur le premier. Alors que les négociations sont en cours, la question de la cohérence et de l’efficacité des politiques européennes dans ses relations avec l’Afrique se pose avec plus d’acuité encore. Plus précisément, les priorités de la stratégie commune UE / Afrique sont précisément les mêmes que celles contenues dans le protocole régional africain.
En ce qui concerne la coopération UE-UA en elle-même, il faut reconnaitre qu’en mars 2020, avant que la pandémie ne s’installe, l’UE avait rendue publique une Communication sur la nouvelle stratégie africaine avec l’ambition de forger un «partenariat d’égal à égal». La Présidente de la Commission, avec une délégation d’une vingtaine de commissaires européens dans son sillage, s’était rendue à Addis-Abeba pour des réunions avec leurs homologues de l’Union africaine. La nouvelle stratégie pour l’Afrique reconnaît les liens historiques et géographiques qui lient le contexte changeant de la relation, mais reconnaît aussi explicitement les intérêts «respectifs», pas seulement mutuels. Elle traduit une ambition plus humble, en privilégiant l’approche concertée.
Elle reconnaît également les trajectoires de croissance dans un certain nombre de pays africains et le développement bienvenu de l’intérêt accru de nombreux acteurs sur la scène mondiale. Elle reflète un monde en mutation dans lequel une transition verte et la numérisation vont être au cœur des relations internationales. Un défi pour cette stratégie est la configuration institutionnelle du partenariat. Si l’UE peut parler au nom de ses États membres sur la politique extérieure, il n’en est pas de même pour l’Afrique.
Le coronavirus met désormais cette stratégie en danger et sera le premier test majeur de l’ambition de l’UE et de l’UA. Certes, les crises majeures créent des opportunités pour accélérer les réformes sociales, économiques et politiques. La crise des coronavirus est peut-être l’occasion de transformer enfin l’ancien paradigme des relations donateur-bénéficiaire en un modèle nouveau.
L’effondrement des prix du pétrole et des matières premières aura un impact dévastateur sur plusieurs pays qui en dépendent pour plus de la moitié de leurs exportations. Les ministres africains des finances ont appelé à une relance économique d’au moins 100 milliards de dollars pour limiter les impacts du coronavirus. Par conséquent, bien que bienvenue, la récente décision du Conseil des affaires étrangères de l’UE de réaffecter 15 milliards d’euros des budgets existants aux pays partenaires, y compris l’Afrique, pour compenser certains des impacts sanitaires et économiques de la crise, ne peut être qu’une première étape.
Le moment est donc propice pour mettre l’accent sur l’investissement principalement dans la diversification et le soutien des économies nationales africaines durables ancrées dans les technologies nouvelles et vertes et les chaînes de valeur locales. La coopération devrait également permettre d’innover et de faire progresser la numérisation des économies et des secteurs publics européens et africains pour améliorer la productivité et l’accès aux services.
La volonté de la nouvelle Commission européenne de renforcer ses relations avec l’Afrique apparaît à cet égard comme une approche salutaire pour les deux acteurs, même s’il y a lieu de craindre que l’importance accordée à l’Afrique ne diminue, l’UE étant poussée à redéfinir ses priorités et, sans aucun doute, à se concentrer sur ses difficultés internes. De même, les incertitudes liées au prochain cycle de planification budgétaire ne permettent pas une lisibilité de l’action extérieure de l’UE à l’égard de l’Afrique. Le FED, instrument géographique dédié, qui a permis la prévisibilité et la cogestion et a fait de l’accord de Cotonou un instrument efficace, va disparaître. Si l’Instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale (NDICI) du prochain cadre pluriannuel annonce une augmentation des ressources par rapport au cycle de planification précédent, on ne sait pas encore concrètement comment cela se concrétisera.
Le fait que la priorité numéro un de l’Afrique et de l’Europe soit de lutter contre la pandémie et ses conséquences n’enlève pas la nécessité de réfléchir au type de relation future avant le prochain sommet. Pour que cela se produise, il est nécessaire de préciser que la mentalité de l’aide et les procédures connexes ne doivent pas continuer à être prégnantes. Ce faisant, les dirigeants africains et européens donneraient une réponse forte aux accusations récurrentes de pratiques paternalistes. Il est à espérer que les négociations post-Cotonou permettent de résoudre le problème de la cohérence verticale entre les différentes politiques européennes, et doter le partenariat de continent à continent d’institutions et d’outils de financements prévisibles.
C’est dire que le prochain Sommet, qui va de toute évidence se concentrer sur la pandémie et ses implications, ainsi que sur d’autres questions déjà prévues, devrait en même temps permettre aux deux parties de relancer une relation stratégique fondée sur des intérêts communs, séparés des questions d’aide et de dégager les questions stratégiques d’intérêt commun, telles que le changement climatique, la transition énergétique, le commerce, la paix et la sécurité et la migration.
La transformation structurelle de cette vieille relation impose de faire la distinction entre l’aide et la stratégie, changer les vieilles habitudes et les mentalités et adapter la structure globale de financement. La manière dont tous ces objectifs se concrétiseront sera grandement affectée par les négociations concernant le cadre financier pluriannuel (CFP) de l’UE pour l’année 2021-2027 qui sont actuellement en cours. Tant le montant global du budget que la ventilation du montant final seront essentiels pour que l’UE soit véritablement plus stratégique avec ses ressources.
Par Kenhago Tazo Olivier,
Ministre Plénipotentiaire