Divers ateliers relatifs à l’identification des armes et des explosifs ont conclu au besoin d’établir une base de données couvrant les armes trouvées en Afrique centrale
Le géopolitologue camerounais, très imprégné des négociations sur les trafics d’armes en Afrique centrale, a pris part aux travaux de Yaoundé. Il décrypte les forces et les faiblesses des instruments juridiques de lutte contre la circulation et l’usage des ALPC dans la sous-région.
On parle globalement du flux des armes dans la zone CEEAC. De quel type d’armes s’agit-il et pourquoi ?
On parle de toutes les armes de guerre ou de chasse. Mais, deux armes de calibre différent sont généralement préférées par les criminels au sein de la CEEAC : ce sont les 9×19 mm et 38. Leurs cartouches sont utilisées dans diverses armes de poing et mitraillettes. Ces deux genres d’armes sont également faciles à dissimuler et peuvent être utilisées discrètement, ce qui en fait le choix des criminels. Plusieurs pays de la sous-région ont signalé ces armes comme étant problématiques. Des chefs de police d’Afrique centrale ont remarqué qu’elles sont les plus notoires mais ne sont pas les seules armes problématiques que l’on trouve dans leurs pays. Chaque pays a remarqué qu’il existait des problèmes pour certaines, sinon toutes ces armes.
Celles que vous citez là sont-elles les seules que les services spécialisés ont identifiées ?
On reconnaît que l’identification des armes est un des grands défis auxquels les services de police font face en Afrique centrale. Les armes récupérées peuvent être d’origine inconnue, et donc, difficiles à identifier. Les numéros de série des armes utilisées à des fins criminelles sont effacés et toutes les marques d’identification sont oblitérées pour empêcher de déterminer l’origine des armes. Certaines armes peuvent être classées d’après leurs calibres afin de les identifier.
Y a-t-il une base de données qui rendrait moins fastidieux le travail d’identification ?
Il existe plusieurs bases de données dans le monde mais elles ne répondent pas aux besoins spécifiques de notre sous-région. À côté, divers ateliers relatifs à l’identification des armes et des explosifs ont conclu au besoin d’établir une base de données couvrant les armes trouvées en Afrique centrale. Une telle base de données disposerait de photos et d’illustrations de marques afin de faciliter l’identification d’armes diverses. La valeur d’une telle base de données aurait les avantages tels que les services de sécurité pourraient identifier les armes trouvées dans leur pays avec plus de précision, partager les connaissances entre elles. Cela aiderait les personnes travaillant au tribunal à mieux préparer les cas qui demandent une expertise de spécialiste; les régions où certains genres d’armes se trouvent seraient identifiées; l’origine des armes récupérées serait déterminée avec plus de précision; les fichiers plus complets pourraient être établis sur les armes trouvées en Afrique centrale; les problèmes de langue et d’interprétation pourraient être résolus en adoptant des définitions légales. La base de données aiderait également les membres de la société civile qui travaillent dans le domaine de la prolifération des armes portatives et de petit calibre, en leur donnant des connaissances de spécialiste sur les armes à feu et autres questions d’ordre pratique.
Tout au long de cet atelier qui s’achève, vous avez longuement parlé de la Convention de Kinshasa. Vous vous êtes appesanti notamment sur le caractère historique de cet instrument juridique. En quoi justement est-il historique ?
Pour la première fois dans l’histoire, nous disposons d’un traité sous régional sur un sujet aussi sensible que les ventes et la circulation d’armes, un domaine relevant souvent d’alliances politiques confidentielles. Par un processus complexe et lent, l’espace CEEAC est parvenu à une réelle avancée et cette convention fait d’ores et déjà partie de ces textes qui traduisent une volonté de maîtriser la face noire de la mondialisation. Il rejoint ceux sur les génocides et les crimes de guerre, instaurant la Cour pénale internationale, ou sur le crime transnational organisé (la Convention de Palerme). Cette fois, enfin, l’Afrique centrale est parvenue à se responsabiliser sur les ventes d’armes, via la régulation du commerce licite et la prévention des trafics illicites.
En 1997, une convention sur les mines antipersonnel a été signée à Ottawa. Puis, en 2008, une convention sur les armes à sous-munitions a été adoptée à Oslo. La Convention de Kinshasa s’inscrit-elle dans ce même mouvement ?
Ce qui inscrit la Convention de Kinshasa dans ce mouvement, c’est notamment l’origine de la mobilisation. Les négociations des traités que vous citez, auxquels on peut ajouter le Protocole relatif aux restes explosifs de guerre, ont été lancées grâce à l’action de la société civile et des ONG. Ces conventions concernent des armes provoquant des dégâts humanitaires importants, terribles pour les civils bien après les conflits.
Dans le cas de la Convention de Kinshasa, les ONG ont voulu alerter sur les effets catastrophiques de l’utilisation de certaines armes au regard des droits de l’homme et du droit humanitaire international ainsi que sur les effets très néfastes des trafics illicites.
Que répondez-vous à ceux qui estiment que les pays exportateurs d’armes ont voulu, à travers cette Convention, faire valoir leurs propres règles au sein de la CEEAC?
Cette crainte est apparue au début de la négociation, elle est liée au rôle moteur et prépondérant des Occidentaux dans les négociations de désarmement et de contrôle des armements. S’agissant de la Convention dont nous parlons, qui est un traité de régulation, et non de désarmement, certains pays de la CEEAC ont craint qu’on leur impose des normes que les pays riches ou exportateurs seraient incapables de respecter, quand eux-mêmes auraient les plus grandes difficultés à le faire. Je pense que cette appréhension va s’estomper, car cette Convention est respectueuse de chacun et peut être mise en œuvre de façon égale par tous. Je note que les réticences viennent plutôt, à l’issue de la négociation, de certains grands pays exportateurs.
A ce jour, regrettez-vous que ladite Convention n’interdise pas de faire transiter des armes sur son territoire vers un pays qui se livrerait à des atteintes inacceptables aux droits de l’homme?
L’issue de la négociation avait été formidablement positive et encourageante. Et la Convention apportait des avancées considérables. Cependant, comme tout texte négocié au niveau international, il était le fruit de compromis. Il faut donc en admettre et en analyser les faiblesses. Il y en a deux principales. La première, c’est que la Convention de Kinshasa ne prévoit pas de sanctions juridiques à l’égard des États parties qui ne respecteraient pas leurs obligations. La seconde est celle que vous évoquez. Au moment de faire transiter des armes, l’État par lequel ces armes passent doit examiner si celles-ci seraient susceptibles d’être utilisées pour commettre des actes inacceptables, notamment vis-à-vis des civils. Auquel cas, le transit ne doit pas avoir lieu. Mais la Convention ne dit rien concernant des régimes violents qui ne serviraient pas directement à commettre ces crimes, alors même qu’il s’en produit dans le pays.
Qu’en est-il de sa mise en œuvre ?
Elle reste à la discrétion des pays signataires. Il n’y a pas de communication publique prévue. Chacun rend un rapport au secrétariat des Nations unies, lequel reste confidentiel. De plus, si la vente relève du «secret défense», les membres ne sont pas obligés de publier le détail des exportations ou des importations de leurs matériels. Enfin, il n’existe aucun mécanisme de sanction pour ceux qui n’auraient pas respecté la Convention. Ni les États exportateurs, ni mêmes les acheteurs n’ont voulu en entendre parler.
À dire vrai, la Convention de Kinshasa n’est pas suffisante pour avoir un impact sur le nombre d’armes en circulation dans la CEEAC. À elle seule, elle n’empêche pas des insurgés ou des terroristes de s’accaparer des armes pillées ou détournées des arsenaux gouvernementaux. Ce n’est qu’a posteriori qu’un pays exportateur pourra être mis en cause sur le devenir de sa production. À défaut de prévenir, la Convention participe à la prise de conscience des pays sur les risques du trafic d’armes. Elle reste un outil dans les campagnes de sensibilisation menées par les organisations non gouvernementales.
Entre la Convention de Kinshasa et le Traité sur le commerce des armes, y a-t-il complémentarité ?
En effet, ces deux instruments, qui en principe ont tous un caractère obligatoire, ont suivi un cycle de négociation quasi simultané ayant particulièrement intéressé les Etats d’Afrique centrale. Dans cette perspective, notre sous-région, souffrant depuis de longues années de conséquences de la prolifération des armes légères et de petit calibre a été l’un de leaders pour demander leur intégration comme la huitième catégorie d’armes dans le registre des armes classiques des Nations unies et sa prise en compte dans le TCA. Cette position commune a été prise et soutenue à travers la Déclaration de Sao-Tomé adoptée en 2009 par tous les 11 Etats membres de la CEEAC.
Alors que la négociation du TCA était en cours, l’Afrique centrale a commencé et avancé avec la négociation de son instrument pour le contrôle des armes légères et de petit calibre dans son espace. Cette convention a été adoptée bien avant le TCA, le 30 avril 2010, mais attendra sept longues années, soit le 08 mars 2017, pour son entrée en vigueur, bien après le TCA, adoptée le 02 avril 2013 et entrée en vigueur le 24 décembre 2014.
Bien que le TCA ait été signé par neuf États sur onze de l’Afrique Centrale, seuls deux États de la sous-région l’ont ratifié à ce jour : le Tchad et la République centrafricaine. Nous sommes encore loin de l’universalisation de ce traité en Afrique centrale.
«Cette Convention est respectueuse de chacun et peut être mise en œuvre de façon égale par tous. Je note que les réticences viennent plutôt, à l’issue de la négociation, de certains grands pays exportateurs»
Interview réalisée par
Jean-René Meva’a Amougou