Communication de guerre : Paul Biya les a encore infantilisés

Une nouvelle fois, le chef de l’État apparaît comme l’acteur principal d’un western communicationnel.

Paul Atanga Nji                                                                                        Ferdinand Ngoh Ngoh                               Joseph Beti Assomo

À priori, l’affaire semble entendue. Autour des tragiques événements survenus dans la nuit du 13 au 14 février 2020 à Ngarbuh (région du Nord-Ouest du Cameroun), seul le communiqué de Ferdinand Ngoh Ngoh fait foi. Le président Paul Biya, au nom duquel le secrétaire général de la présidence de la République (Sg/Pr) a signé le document le 21 avril dernier, est encore sorti vainqueur dans cet autre western communicationnel inédit au Cameroun. Officiellement, ceux qui, hier, étaient voraces de communication et d’éléments de langage se refusent désormais à tout commentaire. «Ils souffrent en silence», confirment plusieurs interlocuteurs. «En proie à des dilemmes moraux, ils se demandent certainement à quoi pourrait servir toute sortie sur le vif», rigole le politologue Belinga Zambo.

Ce qu’on imagine mal, en revanche, ce sont les dégâts causés à la réputation de ceux qui, relativement à la tragédie de Ngarbuh, ont devancé Paul Biya dans son grimoire communicationnel. L’un des grands chapitres de celui-ci place l’infantilisation des ministres en bonne place. «Devant une situation, sur ordre de la présidence de la République, certains ministres se précipitent avec ravissement devant les micros et les caméras pour dire la version du gouvernement. Mais au final, le changement de pied du commanditaire de la sortie médiatique est non seulement total, mais également déroutant», constate Liliane Defossokeng. Sur ce dont parle l’experte en communication politique, les récentes actualités viennent dire combien cela est récurrent. En effet, entre le locataire d’Étoudi et le gouvernement, des histoires de ministres qui se font «arbitrer» ne manquent pas.

Exemple, la célébration de la Fête nationale le 20 mai 2020. Autour de cet événement, Paul Biya (via le Sg/Pr) a choisi de mettre à mal un ministre politiquement et stratégiquement puissant: Joseph Beti Assomo. En effet, dans un message radio porté, signé le 20 avril dernier et envoyé à tous les démembrements du commandement, le ministre délégué à la présidence de la République chargé de la Défense, parle bien du thème de la Fête nationale du 20 mai 2020. «Thème prescrit par le chef d’État, chef des forces armées, dans le cadre du 20 mai 2020. Thème: Tous unis face à la pandémie du Covid-19 pour un Cameroun résilient, résolument tourné vers la paix, la stabilité et le développement économique».

Juste quelques heures, à la fin du journal parlé, édition du 20 heures, au Poste national de la Crtv, un autre communiqué portant annulation pure et simple de la célébration des fêtes du travail et du 20 mai. «En raison du respect des mesures de distanciation dans la lutte contre le Covid-19, le président de la République Paul Biya a décidé de l’annulation de la célébration de la fête du Travail et de la Fête du 20 mai 2020», signe Ferdinand Ngoh Ngoh, ministre d’État, secrétaire général à la présidence de la République.
Le désaveu le plus retentissant concerne la concession du terminal à conteneurs du Port de Douala-Bonabéri. Il est signé de la propre main du SG/PR qui écrit au DG du Port autonome de Douala (PAD): «D’ordre de Monsieur le Président de la République». En plus de distiller un bon suspense, la suite a révélé un Paul Biya en total désaccord avec son collaborateur.

Au début des années 90, le président de la République, qui avait promis d’organiser un large débat, avait été devancé par son «ministre porte-parole du gouvernement», Augustin Kontchou Kouomegni. En conférence de presse, ce dernier parla de «grand débat». Dans une mise au point ultérieure, «l’homme du 6 novembre 1982» se hâta de le recadrer en pointant une nuance sémantique et en réaffirmant qu’il s’agissait bien d’un «large débat».

Jean-René Meva’a Amougou

 

Crtv-CMCA 

Ça ne tourne plus!

D’après le rapport 2019 de la Commission technique de réhabilitation des entreprises publiques (CTR), la situation financière de la radiotélévision d’État est plombée par l’organe marketing de l’office.

 

Sur la situation des entreprises et des établissements publics au Cameroun en 2019, la CTR vient de rendre son rapport. S’étant arrêtée sur l’état financier de la Crtv (Cameroon Radio Television), ladite commission s’alarme sur les indicateurs de rentabilité de la CMCA (Crtv Marketing and Communication Agency). Pour la seule année 2018, les comptes de la régie commerciale du média à capitaux publics accusent un déficit de près 25 milliards FCFA, selon une évaluation de la CTR.

Dans son rapport, cette dernière suggère d’ailleurs une clarification institutionnelle au sein de l’office: «Une restructuration efficace de la Crtv dans la perspective d’en faire une société à capital suppose que l’on puisse distinguer les activités marchandes des activités à forte charge de service public. Dans cette perspective, il s’agirait de créer une structure chargée de la production, une autre chargée de la diffusion et d’autonomiser effectivement et conformément aux dispositions de la loi régissant la publicité de la CMCA, qui est l’outil chargé de la communication des espaces publicitaires». En clair, la CTR propose un modèle institutionnel simple mettant en relation la Crtv (l’unique actionnaire) et la CMCA (créée le 25 juillet 2001) sur la base des résultats.

Selon des sources internes à la Crtv, depuis 2007, le conseil d’administration a toujours froncé le sourcil lors la présentation du bilan et des états financiers de l’office et de la régie publicitaire. Les recettes diminuent, les charges augmentent, les dettes croissent, bien que les espaces de visibilité disponibles à la CMCA à travers les supports TV et radio soient éditées et diffusées exclusivement par la Crtv; avec des ouvertures de diffusion à l’international, 18 stations de radio et un réseau de radios communautaires partenaires qui reprennent en moyenne six heures par jour le Poste national. À tort ou à raison, le doigt est pointé vers quelques «caïds» obstinés à maintenir un système économique, autrefois excellent, mais rendu inapplicable par l’ampleur des déséquilibres. Sous prétexte d’aller plus loin dans la convention de partenariat signée le 20 aout 2001, ils détruisent la vision de la CMCA: «se positionner comme la régie commerciale de référence qui offre une solution globale et diversifiée sur le plan national et dans la sous-région».

JRMA

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