«Combat»: Chroniques sorcières de chez nous

Encore inconnu du grand public il y a quelques semaines, l’abbé Cyprien Beaugos Amougui fait désormais parler de lui. Pour avoir frappé un vieillard qu’il accuse de pratique de sorcellerie, le jeune prélat a coché, en quelques jours seulement, toutes les cases de célébrité. Dans cette affaire, la symbolique a d’abord installé le récit à Ndongko, discret hameau de la zone pastorale de Mbalmayo (région du Centre).

Et puis, grâce à la magie médiatique, l’itinérance dramaturgique de la même affaire a été amplifiée avec des images tournées sur la commande expresse du prêtre. Au final, ce sont des bataillons fédérés des dénonciateurs qui se sont dressés contre des escouades de laudateurs de l’acte de l’abbé Cyprien Beaugos Amougui. Tout cela, l’État et les organisations de défense des droits de l’Homme l’ont regardé d’un œil distrait. Mieux, ils ont laissé le soin à la hiérarchie du prêtre de prendre ses responsabilités. Le 27 août dernier, Mgr Joseph Marie Ndi Okala, l’évêque de Mbalmayo a suspendu le « curé fouettard ».

Pour les juristes, il y a dans cette affaire des problèmes juridiques immenses. Sur les réseaux sociaux, la haine se déverse, certains allant même jusqu’à demander qu’on enferme l’abbé Cyprien Beaugos Amougui, ou qu’on lui fasse payer tous les frais d’hospitalisation de sa « victime ». Et sur les chaînes de télévision, certains chroniqueurs ont participé de ce climat haineux, certains allant même jusqu’à appeler à ce que la police vienne chercher le curé et le fouetter publiquement. En clair, une bonne partie de l’opinion publique est prise d’une fureur répressive. Le plus inquiétant est que les fidèles de la paroisse Saints Philippe et Jacques de Ndongko eux-mêmes plébiscitent, dans leur majorité, le maintien du prélat dans son lieu de service.
Essayons donc, face à l’hystérie qui embrume notre jugement, de poser quelques principes clairs et de bon sens. C’est l’objet du présent dossier.

Parfois les ministres du culte se bidonnent en accusant les laïcs de pratiques occultes. Parfois, un geste, un simple mot peuvent suffire à déclencher chez eux une peur bleue. Parfois aussi, ils jouent simplement les faux-héros.

Jean-René Meva’a Amougou

Une affaire de vengeance ?

Sur le coup, certains analystes croient que le discours du pardon est désormais enseveli sous l’autel de la suspicion simple.

L’observation de ce qu’il s’est passé à Ndongko permet de dire que l’abbé Cyprien Beaugos Amougui a fait de la chasse au sorcier. La rhétorique guerrière relevée au cours de la bastonnade qu’il inflige à un vieillard est révélatrice de l’aspect dur du traitement subi par le présumé sorcier. Le pasteur, par ses propos, a convaincu les adeptes que cet indi¬vidu est dangereux et qu’aucun compromis n’est possible. Il faut le mettre «hors d’état de nuire», «le détruire». «Sur la forme, c’est très bruyant ce que scande le prêtre. Sur le fond, le tout s’inscrit en faux contre les préceptes fondés sur la foi, l’amour et le pardon. « Aimez vos ennemis», «priez pour ceux qui vous font du mal» (Matthieu 5, 44). Au mé¬pris du message messianique, il est comme emprisonné dans un système fondé sur la suspicion et la défensive», tranche d’emblée Jude Ekobena, ethno-anthropologue.

Pour François Bingono Bingono, «le curé s’est trompé de méthode et de stratégie et n’a pas fait une investigation préalable pour s’assurer que c’est un sorcier». L’universitaire, président de l’association des sorciers et guérisseurs traditionnels du Cameroun reproche à l’ancien curé de Ndongko «d’avoir abandonné les sacramentaux de son Église pour combattre le mysticisme et la sorcellerie nocive ; ce que l’on a vécu via divers reportages des médias indique clairement cet acte tire son origine d’une myriade de récits qui sont autant de versions partiales de la culpabilité du vieillard». Il ajoute: «avant d’aller flageller un sorcier avec des tiges de macabo, on procède par une investigation pour s’assurer qu’il en est vraiment coupable. Sur tout le reste, il y a débat. Ce n’est pas ici et maintenant que l’on va conclure».

Jean-René Meva’a Amougou

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