Chantal Biya, flair de communication politique

« Aimez la personne de votre mari soigneusement, occupez-vous bien de son élégance ! » On peut lire cette maxime dans Ménagier de Paris. Écrit vers 1393 par un bourgeois déjà âgé à l’intention de la jeune femme de quinze ans qu’il venait d’épouser, l’ouvrage rappelle qu’un couple est encadré par deux choses qui se répondent : la vieillesse du conjoint et la jeunesse de la conjointe. Après avoir veillé à son installation sur son siège, Chantal Biya a été attentive à l’élégance de son époux lors du défilé du 20 mai 2023 à Yaoundé.

Dans la bouche des experts de pacotille pressés d’être applaudis à bon compte et autres doctes donneurs de leçons, l’on vient d’entendre dire que la scénographie Chantal et Paul Biya n’a servi qu’à obéir aux logiques de propagande. Sur ce, chacun se sent autorisé à avoir un avis éclairé sur le rôle de la télévision publique qui, plus d’une fois ce 20 mai 2023, a diffusé l’image d’un couple présidentiel se livrant à «un petit jeu». Ce qu’on a vite oublié, c’est que chaque sortie publique d’un couple présidentiel sert à communiquer des messages et des symboles, à inculquer des codes comportementaux aux citoyens. Bien des experts en communication disent que cela est assez difficile à lire, surtout quand on n’a pas de bonnes références en tête.

Dans son œuvre phare, Le Prince, en 1513, Machiavel enseigne l’art d’arriver au pouvoir et une fois au pouvoir l’art de le conserver. Dans le chapitre XVlll, il explique que « les hommes en général jugent plus par les yeux que par les mains ». Machiavel veut nous montrer qu’un prince doit prendre conscience et faire avec la spécificité de l’espace social et politique, contexte de son action. C’est dans cet espace que domine l’apparence : le Prince ne peut pas l’ignorer, et doit savoir lui-même en jouer. Toujours dans le même chapitre, il a cette phrase terrible qui montre jusqu’où peut aller la notion d’apparence et de pouvoir : « Il est nécessaire (au prince) de savoir bien farder cette nature (déloyale) et d’être un grand simulateur et dissimulateur ». Il doit veiller aux apparences tout de même, puisqu’ on ne peut faire sans : cela doit se faire avec le but de se faire aimer de son peuple. En ce sens donc, tout geste banal accompagne la démonstration de puissance et d’autorité. Il contribue, dit des spécialistes, à la mise en spectacle du pouvoir.

Donner à voir semble donc une dimension consubstantielle de l’ordre politique de Paul Biya. Et son épouse l’a bien compris. Elle a même déjà réussi à se créer une identité forte auprès de son président de mari. Auprès de ce dernier âgé de 90 ans à ce jour, Chantal Biya sait qu’elle peut servir d’outil de communication politique. Sa tactique : « humaniser » son conjoint trop souvent qualifié de rigide par une certaine opinion. Lors de la dernière édition de la CAN à Yaoundé, Chantal Biya a su jouer ce rôle. Le 20 mai dernier, les yeux pleins de lumière, une main décomplexée qui s’attèle à ajuster la cravate de son époux, la première dame a bien servi les amateurs de secrets d’alcôve. Pour une fête de l’Unité, les gestes n’en prennent pas moins tout leur sens : Paul et Chantal s’écoutent et s’acceptent,

Jean-René Meva’a Amougou

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