CEEAC: Comment l’opacité favorise le trafic d’armes

En raison du «secret défense», les pays de la sous-région refusent de communiquer les informations sur leurs importations d’armes. Une absence de transparence qui favorise la prolifération des engins de la mort.

 

En réponse à la prolifération des armes (tous calibres confondus) et à la montée très inquiétante de l’insécurité dans la CEEAC, les dirigeants de cette zone ont, en 2011, fait le choix de la mise en place de mesures fortes. Inscrit dans une logique de déclaration officielle de «la guerre contre les armes», ce choix visait surtout à construire une réelle alternative face à un futur s’annonçant ensanglanté.

«À Kinshasa, l’Afrique centrale avait fait bloc autour de cet enjeu», se souvient Marcelin Kaguemoki, géostratège congolais ayant pris part aux travaux à cette époque. «Aujourd’hui, regrette-t-il, la matrice formelle des bonnes intentions est de moins en moins porteuse de sens». Plus acerbe, Patrice Klinkemalli parle du «bluff de Kinshasa». Pour ce politologue et colonel rwandais, «l’application des traités sur les armes en Afrique centrale souffre à la fois d’écueils internes et externes».

Opacité

«Ni la Convention de Kinshasa, ni le TCA (Traité sur le commerce des armes) ne sont pas respectés!» La phrase de Claudine Mushobekwa a fait converger vers son auteur toutes les attentions lors de l’atelier régional sur la mise en œuvre des traités relatifs à la circulation et au commerce des armes organisé à Yaoundé le 06 mars dernier, sous l’égide du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) Afrique centrale. À cette occasion en effet, la conseillère juridique régionale pour l’Afrique centrale du CICR a listé les obstacles endogènes à l’application des deux instruments juridiques internationaux auxquels les pays de la CEEAC ont adhéré.

Premièrement, selon Claudine Mushobekwa, ces traités semblent imposer aux 11 pays de la CEEAC moins d’obligations qu’aux pays exportateurs. Les pays de la sous-région trouvent en plus le moyen de se soustraire à certaines obligations. «Les pouvoirs en place ne veulent rien communiquer sur les données chiffrées de leurs importations d’armes et leurs destinataires éventuels», cite-t-elle en exemple. «C’est une obligation que de nombreux dirigeants contournent», ajoute-t-elle.

Deuxièmement, dans un contexte où la prise de pouvoir par les armes fait partie des habitudes, «certains citoyens de la CEEAC s’approprient chaque jour les mécanismes déviants en vue d’importer des armes sophistiquées quand ils ne favorisent pas la circulation ou l’usage des spécimens artisanaux trouvés localement», décrypte Claudine Mushobekwa.

Troisièmement, bien qu’il existe des différences significatives entre les réglementations nationales selon les pays, deux points communs doivent être soulignés. Beaucoup de réglementations en matière de circulation des armes ont été rédigées peu après l’indépendance des États, voire par l’autorité coloniale. Certaines ont été rédigées ou mises à jour durant les années 1990 et 2000 mais ne prennent pas en compte les évolutions normatives internationales récentes sur les ALPC et les transferts d’armes. «Généralement, ces réglementations sont incomplètes et ne couvrent, par exemple, que certains types d’armes (uniquement les armes à feu) ou certaines activités (uniquement les importations), en plus, elles sont très souvent datées et incomplètes», précise la Congolaise.

 

Intérêts financiers

D’ores et déjà, de nombreux pays font leur possible pour atténuer la portée d’un éventuel traité en pesant sur ses modalités. «Les pays exportateurs sont soucieux de préserver leurs intérêts financiers: les États-Unis, qui produisent 6 milliards de balles par an, souhaitent exclure du traité les munitions, et la Chine, les armes légères dont elle inonde les pays en développement. La Russie, deuxième exportateur mondial, préfère insister sur la lutte contre le trafic d’armes, par opposition au commerce légal», déballe Richard Desgagne, coordinateur de prévention au CICR de Yaoundé. Et en cela, «même les États, officiellement partisans d’un plus grand contrôle, ont en réalité intérêt à maintenir des zones grises dans la législation qui laissent une certaine marge de manœuvre pour pouvoir agir discrètement s’ils en ont besoin», précise Claudine Mushobekwa. C’est là une autre faille du projet de traité pointée par les ONG: les armes vendues dans le cadre d’accords de coopération dans le domaine de la défense seraient exclues du TCA. Même chose pour les transferts d’armes réalisés sous forme de dons, prêts ou aide militaire. Conséquence selon Richard Desgagne, «tout devient compliqué sur le champ d’application d’un quelconque traité».

 

Convention de Kinshasa 

Petits pas vers une CEEAC «dépolluée»

Avec cet instrument, la sous-région s’est engagée dans des processus de réglementation de la circulation des armes en vue de limiter leur prolifération incontrôlée et d’en amoindrir l’impact dévastateur.

 

L’idée d’un instrument sous régional pour la lutte contre la prolifération des armes légères et de petits calibres (ALPC) en Afrique centrale a pris naissance dans le contexte de la mise en œuvre des instruments de contrôle de ces armes. Dès 2003, un programme d’activités prioritaires pour une action sur les armes légères en Afrique centrale a été adopté à Brazzaville.

Ce fut ensuite l’adoption et le début de la mise en œuvre d’instruments sous régionaux, en particulier le Protocole de Nairobi couvrant l’Afrique orientale et la Convention de la CEDEAO sur les ALPC en Afrique de l’Ouest. En 2007, l’initiative de Sao Tomé marque le début des travaux en vue de l’adoption d’une convention similaire en Afrique centrale. Mandaté par le Comité consultatif permanent des Nations unies chargé des questions de sécurité en Afrique centrale (UNSAC), le Centre régional des Nations unies pour la paix et le désarmement en Afrique (UNREC) a été chargé de l’élaboration d’une Convention pour le contrôle des ALPC dans cette région en proie à l’insécurité. Cette convention s’inspirera des instruments légaux existants, ainsi que des recommandations d’experts indépendants et des États.

La version finale de la Convention est finalement présentée en avril 2010 et ouverte à la signature à Brazzaville le 19 novembre de la même année. La plupart des pays la signent ce jour-là, suivis par le Burundi, la Guinée équatoriale et le Rwanda en 2011, après des consultations nationales.

La Convention devait ensuite être ratifiée par au moins six États pour pouvoir entrer en vigueur trente jours après la sixième ratification. Cependant, fin 2012, on ne comptait que quatre États parties: le Tchad, le Gabon, la RCA, et la République du Congo. Si les autres États s’engagent à accélérer le processus pour permettre des ratifications courant 2013, cela a pris beaucoup plus de temps, et c’est seulement début 2017 que six États ont enfin ratifié le document (le Cameroun le 30 janvier 2015, puis l’Angola le 06 février 2017), ouvrant ainsi la possibilité à l’entrée en vigueur pour ces États.

 

Coopération

La Convention liste une série d’obligations concernant le contrôle des APLC, de leurs munitions, parties et composantes. À l’inverse de la Convention de la CEDEAO qui interdit, sauf exemption, les transferts d’ALPC, la Convention de Kinshasa autorise mais régule les transferts entre États, qui doivent être justifiés par la nécessité du maintien de l’ordre, de la défense, de la sécurité nationale ou de la participation à des opérations de paix menées sous l’égide d’organisations internationales. Elle interdit par contre les transferts vers des groupes non-étatiques. En ce qui concerne les civils, la possession d’armes légères est interdite et celle d’armes de petit calibre soumise à conditions (obtention d’une licence, etc.).

La fabrication et la distribution des ALPC, des munitions et de leurs composantes sont aussi s à une série de règles. Par exemple, les armes doivent être marquées et les courtiers enregistrés. Les États doivent aussi mettre au point des règles concernant la sécurisation des stocks d’armes et de munitions, qu’il s’agisse de ceux des fabricants, des distributeurs ou des forces de sécurité. Les points d’entrée sur le territoire national sont limités et contrôlés.

Enfin, les États doivent coopérer et échanger des informations, au moyen de bases de données sur les ALPC et de rapports annuels, mais aussi de manière plus spontanée, à la suite de saisies d’armes par exemple, ou lors d’une demande de traçage. Toutes ces mesures demandent une révision, une adaptation et une harmonisation des législations nationales au niveau sous régional, ainsi que des ressources humaines, financières et techniques importantes, que les États se sont engagés à fournir.

Sources : Groupe de recherche et d’information

sur la paix et la Sécurité (GRPS, 2017) et CICR

 

 

En Afrique centrale, l’insécurité a pris une dimension transnationale. Aujourd’hui, la sous-région est frappée de plein fouet par la circulation illicite des armes légères et de petits calibres (ALPC). Un coup d’œil sur les statistiques récentes de la délégation régionale du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) pour l’Afrique centrale donne à voir que dans l’espace de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), un peu plus de 10 millions d’APLC circuleraient de façon incontrôlée.

La situation est donc grave. Elle a atteint un seuil d’urgence avec le chaos politique en Libye, lui-même pris comme la conséquence de plusieurs facteurs internes et externes.

Pour y remédier, onze pays (Angola, Burundi, Cameroun, République centrafricaine, Congo, République démocratique du Congo, Sao Tomé-et-Principe, Gabon, Guinée Équatoriale, Rwanda et Tchad) ont, en septembre 2011, signé la Convention de Kinshasa «pour le contrôle des armes légères et de petits calibres, de leurs munitions et de toutes pièces et composantes pouvant servir à leur fabrication, réparation et assemblage». Ce texte venait renforcer un autre: le Traité sur le commerce des armes (TCA) adopté en 2006 par l’Assemblée générale des Nations unies (Onu).

Si les deux textes sont juridiquement contraignants, leur application est surtout sujette à des interprétations divergentes qui permettent en pratique de contourner les règles. A la faveur de la tenue, du 06 au 07 mars 2018 à Yaoundé, d’un atelier régional sur la mise en œuvre des traités relatifs à la circulation et au commerce des armes piloté par le CICR Afrique centrale, Intégration fait la lumière sur les obstacles à l’application de ces instruments juridiques.

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