Le Gouvernement de la commission de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) est désormais connu.
C’est l’aboutissement de la mutation de la CEEAC, qui traduit ainsi l’opérationnalisa-tion de sa réforme institutionnelle. Selon le chronogramme actualisé du processus de transformation institutionnelle de la CEEAC, le gouvernement de la commission prend service le 20 de ce mois d’août. Les membres désignés au complet prêteront serment devant le président en exercice de la CEEAC le 1er septembre 2020.
Le plus dur commence pour les membres du tout premier gouvernement communautaire de la CEEAC. Pas d’état de grâce car les défis sont nombreux. Ils devront donner raison aux chefs d’État qui ont opté pour la réforme de cette communauté économique régionale afin d’optimiser l’intégration régionale en Afrique centrale. Leur mission: relever tous les indicateurs qui font de la sous-région le dernier de la classe du continent en matière d’intégration économique, sociale, sécuritaire, sanitaire et politique. Il faudra assurément du leadership pour trancher avec la CEEAC d’antan. Le journal Intégration présente les 10 défis à relever par les 7 fantastiques!
1-Assurer la mise en œuvre complète de la réforme
La première de toutes les missions de la commission est d’assurer la mutation complète de la CEEAC: le redéploiement des personnels dans le nouvel organigramme de la commission, la mise en place du règlement financier, l’entrée en fonctionnement des institutions prévues dans le traité révisé (parlement, cour des comptes, cours de justice, institutions financières et spécialisées, comités techniques spécialisés, comités inter-Etats des experts)…
La commission devra en outre manager le processus de rationalisation des communautés économiques régionales en Afrique centrale. Celui-ci doit aboutir en 2023 à la création d’une organisation nouvelle procédant de la fusion/ absorption de la CEEAC et de la Cemac.
2-Dynamiser la collecte de la CCI
L’ancienne CEEAC était caractérisée par le non-reversement de la contribution communautaire d’intégration (CCI) par les États-membres. L’essentiel du fonctionnement de cette institution était assuré par les partenaires. Il ne devra plus en être ainsi, car la réforme de la CEEAC implique un renforcement du dispositif institutionnel avec plusieurs nouvelles institutions créées et l’élargissement des structures existantes par la création de nouveaux postes de travail.
La commission devra non seulement inciter les pays à verser leur contribution, mais aussi trouver d’autres sources de financement. La stratégie de mobilisation des ressources financières de la commission est très attendue. La commission devra également se rassurer que la dette du secrétariat de la CEEAC est effectivement réglée. Ce passif ne disparaîtra pas avec le passage du secrétariat général à la commission de la CEEAC.
3-Industrialisation et diversification économiques
Les pays d’Afrique centrale exportent majoritairement des produits de base (pétrole) à faible valeur ajoutée et coût. Ils sont tous des «price taker» et subissent les prix fixés par le marché. À contrario, ils importent les produits manufacturés à coût élevé qu’ils consomment abondamment.
La CEEAC a la capacité d’initier au niveau régional un plan d’industrialisation et de diversification économique qui priorise la transformation industrielle (agropastorale, minérale, forestière, pharmaceutique…) tout en misant sur les complémentarités. Les projets communs d’industrialisation comme les zones économiques spéciales transnationales sont à explorer pour les chaines de valeurs régionales, la sophistication, la création d’emplois, etc.
4-Renforcer le patrimoine infrastructurel
Pour développer son industrie, l’Afrique centrale est dotée d’un important potentiel. Elle dispose du deuxième massif forestier au monde (302 Millions ha) pour la biomasse. Avec 150 000 MW environ, elle représente 58% du potentiel africain d’hydroélectricité. Pour le solaire, elle a un flux qui varie entre 5 et 7,5 KWh/m²/jour. La vitesse moyenne de vent est de 6 m/s et se veut propice à une industrie éolienne. D’autres sources telles que le pétrole, le gaz et l’uranium sont exploitables. Or, la production d’électricité dans les pays d’Afrique centrale est globalement très inférieure à la demande.
Dans le domaine des infrastructures de transport, le déficit est aussi important.
5-L’Afrique centrale sécuritaire
L’Afrique centrale est appelée à relever son autonomie sécuritaire. Les missions onusiennes de maintien de la paix ont montré leur limite; et les opérations ponctuelles sont assez coûteuses. N’y a-t-il pas lieu de dynamiser la brigade régionale Afrique centrale de la Force africaine en attente? Pour le moment, la réforme de l’UA prévoit l’unification des principales institutions de paix et de sécurité à l’intérieur d’un cadre régional commun.
L’Afrique centrale est l’une des régions les plus instables du continent. Le niveau de conflictualités est assez élevé. Toutes ces crises, tensions et pressions sécuritaires constituent des fragilités structurelles au développement économique et social. En Afrique centrale, les menaces sécuritaires sont: le terrorisme (Boko haram, Armée de résistance du seigneur), la piraterie maritime dans le golfe de Guinée, l’insurrection sécessionniste, la rébellion… Plusieurs autres poches rétives liées aux compétitions politiques existent.
6-La libre circulation
Un processus d’intégration économique sans les 4 libertés économiques fondamentales n’en n’est pas un. La CEEAC a besoin d’instaurer la libre circulation des biens, des personnes, des services et des capitaux. Bref, transformer l’Afrique centrale en grand marché. Avec près de 170 millions d’habitants et des potentialités économiques énormes, il y a de quoi faire.
Le traité originel de la CEEAC de 1984 en son chapitre 4 organise la libéralisation des échanges et le processus de création d’une union douanière. Le chapitre 5 pose les jalons de la libre circulation, la libre résidence et le droit d’établissement. Aucune des dispositions n’a vu le jour. En sera-t-il autrement? De toute évidence, l’activité de la CEEAC dans la mise en place de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) et dans la création d’une zone de libre-échange unique CEMAC-CEEAC, et bientôt d’une union douanière unique, offre de belles perspectives.
7-Une compensation monétaire à défaut d’un instrument unique
L’intégration régionale s’évalue prioritairement au niveau des échanges intra-régionaux. Mais pour fluidifier les échanges et attirer les investissements, il faut un instrument d’échange: la monnaie. Dans l’espace CEEAC, il y en a 6. Il faudra en tenir compte pour éviter l’obligation des tracasseries de change aux opérateurs économiques et aux citoyens en déplacement. Plus loin, il faudra maitriser le circuit de change afin d’éviter qu’il ne s’y développe un système de spéculation ou simplement de la délinquance monétaire.
À défaut de travailler à la création d’une monnaie unique en Afrique centrale, la CEEAC a l’option de travailler à la mise sur pied d’un système de compensation. Celui-ci viendra établir des passerelles pour l’interchangeabilité des 6 monnaies ayant cours légal dans la région. Toute chose qui faciliterait grandement les échanges.
8-Une Afrique centrale des peuples et non des États
L’absence d’une instance formelle d’association des peuples au processus décisionnel communautaire est sûrement la grande absence de cette réforme. En effet, il manque par exemple un Conseil économique et social qui intègrera comme membres: des organisations de la société civile, des intellectuels et le secteur privé. Afin que les décisions issues des délibérations aient une valeur de recommandation pour l’exécutif communautaire. Actuellement, la construction de la CEEAC demeure interétatique et les membres désignés sont des anciens responsables du secteur public. Aucune connexion ou presque avec la base. Dans un système aussi rigide, voire autiste, il n’est pas rare que les projets de brassage des peuples arrivent au bas de la pile.
Il faudra donc trouver des mécanismes d’association des peuples au management communautaire. Non pas à la publication/présentation d’étude et de rapport, mais dès la conception des politiques et programmes.
9-Le lead du déconfinement économique de l’Afrique centrale
Ils sont peu connus, voire rares, les projets intégrateurs pour lesquels la CEEAC était le chef de file. Le dernier en date, dont les premiers coups de pioches demeurent attendus, c’est le pont – route – rail entre Kinshasa et Brazzaville. Ce projet marquera la liaison entre l’Afrique centrale francophone CEMAC et l’Afrique centrale non CEMAC. Du point de vue géoéconomique et géostratégique, cette interconnexion va accélérer les échanges et faire tomber de nombreuses barrières et légendes.
En attendant le dénouement heureux de ce projet, il serait intéressant de voir la CEEAC multiplier les prises de responsabilités et bousculer les règles préétablies pour également pousser les Etats à prendre conscience des intérêts. C’est le cas du barrage Inga III.
10-La transparence et la redevabilité
Il faudra rompre avec l’asymétrie d’information. Avec une gestion plus ouverte au grand public et qui les tienne en haleine, la nouvelle CEEAC crédibiliserait davantage son action et modifierait son story telling. Dans l’imaginaire collectif, la CEEAC est une organisation non connue. Elle existe juste lors des rencontres des chefs d’Etat et des ministres. Sur différents types de média, y compris sociaux, le Sommet n’a pas permis d’en faire un sujet d’échanges nourris.
La réforme institutionnelle de cette organisation a permis d’introduire une Journée CEEAC qui sera célébrée le 18 octobre. Elle pourrait constituer le moment de grande communication et d’évaluation populaire de l’impact des actions de la CEEAC sur le quotidien des ressortissantes et ressortissants de la communauté. Mais aussi un moyen de prendre contact avec leurs doléances.
Rémy Biniou
Commission de la CEEAC : visages et profils
Le premier gouvernement communautaire de la CEEAC est composé de 7 membres dont 5 sont connus à ce jour. Ce sont des femmes et hommes jouissant d’une très riche expérience dans la conduite de l’intégration régionale en Afrique centrale. Le Journal Intégration vous présente l’almanach de ce gouvernement
Gilberto Da Piedade Verissimo
Un stratège aux commandes du navire
Le premier président de l’histoire de la commission, l’Angolais Gilberto Da Piedade Verissimo est un militaire géo-stratège, dont les états de service au sein de la commission du golfe de Guinée rassurent. Il est l’actuel secrétaire exécutif adjoint aux affaires politiques de cette organisation.
Militaire de formation, spécialiste du renseignement et diplomate consultant au ministère des affaires étrangères, il est titulaire d’un doctorat en études stratégiques de l’Institut supérieur des sciences politiques, de l’Université de Lisbonne. Défendue le 31 octobre 2014, la thèse est intitulée «la position stratégique de l’Angola dans le golfe de Guinée (Contribution aux politiques étrangères et de défense)». Elle fera de lui le premier doctorat angolais en études stratégiques et le deuxième au Portugal dans ce domaine. Il a été enseignant à l’Ecole supérieure de guerre d’Angola. Il est auteur de trois ouvrages parus en 2005 et 2013.
Titulaire d’une maitrise en technologies d’information de l’Université polytechnique de Madrid, Espagne, depuis 2001, Gilberto da Piedade Veríssimo est également diplômé en ingénierie de télécommunication de l’Institut supérieur technique militaire José Marti, à La Havane (Cuba).
Tchatchouop Belope Francisca
une spécialiste du plaidoyer à la commission
La vice-présidente de la commission de la CEEAC était parlementaire jusqu’à sa nomination. Avant, elle a occupé les fonctions de ministre équato-guinéenne de l’Économie, du Commerce et de la Promotion des entreprises. Elle a été impliquée dans plusieurs rencontres du comité ministériel de l’Union économique et monétaire de l’Afrique centrale. Durant son mandat de parlementaire, elle a mis son expérience de collaboration avec les instances communautaires pour appuyer le gouvernement équato-guinéen à renforcer les échanges avec ses partenaires sous – régionaux.
En qualité de coordonnatrice nationale de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (Itie), elle a collaboré étroitement avec la société civile et accédé à plusieurs de leurs plaidoyers, permettant aux populations de tirer quelques bénéfices de l’exploitation du sous-sol.
un pragmatique pour accélérer la libre circulation et l’industrie
Le commissaire au marché commun, affaires économiques, monétaires et financières est sans doute le meilleur profil de cette commission. Il présente des états de service alléchants. Le rwandais François Kanimba a été ministre du commerce et de l’industrie dans son pays. C’est sous son magistère que le Rwanda a développé la stratégie d’exportation qui fait sa fierté. Au sein du gouvernement de son pays, il a été ministre en charge des affaires de la communauté de l’Afrique de l’Est (CAE). Il a ainsi été dans la coordination de cette communauté économique régionale, classée parmi les plus dynamiques du continent africain. Entre 1984 et 1995, il est ministre de la Planification économique.
Il s’est consacré à renforcer le cadre macroéconomique de son pays pendant la période d’ajustement structurel. C’est d’ailleurs lui qui a dirigé la task force gouvernementale qui a négocié le programme d’ajustement structurel avec le Fonds monétaire international (FMI). Cet économiste statisticien a également connu une brillante expérience de gouverneur de la Banque centrale du Rwanda.
Au sein de la commission de la CEEAC, il a du pain sur la planche. Le niveau d’échange intra-communautaire est inférieur à 1%. Les règles techniques existent partiellement, mais ne font pas l’objet d’appropriation et d’incorporation. Les citoyens ne circulent pas librement. Aucune compagnie aérienne ne propose de vols directs entre les pays. Plus profond, les systèmes productifs sont anachroniques, peu efficaces et non convergents. Il lui revient ainsi de mettre en place l’industrialisation et la diversification économique axée sur les compétences que les partenaires (la CEA par exemple) appellent de tous leurs vœux. Tout ou presque est à refaire!
Mme Marie Thérèse Chantal Mfoula
la rupture dans la continuité
La dame de fer est la seule personnalité du secrétariat général de la CEEAC qui assurera des fonctions de commissaire. Elle assure ainsi la rupture dans la continuité. Mme Corridor 13 pourra ainsi parachever l’un des rares projets intégrateurs sur lesquels l’institution communautaire a conduit le lead et qui pourra faire la fierté de l’Afrique centrale, tout en bousculant les données géoéconomiques, géopolitiques et géostratégiques. Le projet pont – route-rail Kinshasa-Brazzaville est rendu à la recherche des financements. La table ronde de Brazzaville a été annulée du fait de l’évolution de la pandémie de coronavirus. Une reprogrammation est en cours.
Le portefeuille de l’aménagement du territoire et des infrastructures qu’elle occupe est hautement stratégique. Il lui revient de planifier, organiser et construire l’occupation stratégique de l’espace en Afrique centrale, notamment en matière de construction des routes, d’implantation des unités industrielles, de construction du réseau ferroviaire, d’exploitation des ressources minières, et surtout de gestion des ressources communes telles que les eaux, les gisements miniers et pétroliers, etc. Jusqu’à sa nomination, elle était secrétaire générale adjoint de la CEEAC en charge de l’intégration physique, économique et monétaire. Poste qu’elle occupe depuis 2016. Bien avant, la diplomate camerounaise était à la tête de la direction Afrique du ministère des relations extérieures de son pays.
Honoré Tabuna : l’expert qui va négocier le tournant vers l’économie verte
Le Commissaire à l’environnement, ressources naturelles, agriculture et développement rural est un enfant de la maison. Il est expert en économie de l’environnement et de valorisation de la biodiversité au secrétariat général de la communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) depuis septembre 2007. Son dernier fait majeur, c’est la préparation de la position de l’Afrique centrale au dernier sommet mondial de la Cop en Espagne. Le président congolais Denis Sassou Nguesso était alors le champion représentant de la région.
Bien avant, le diplomate de l’environnement Tabuna a assuré la coordination de plusieurs programmes dont le système de l’économie verte en Afrique centrale initié depuis 2010 et adopté le 25 mai 2015 par plusieurs décisions des chefs d’État. Parmi ces décisions, la création du fonds pour l’économie verte en Afrique centrale. Le programme de développement de l’écotourisme dans la sous-région fait également partie de ces décisions.
C’est également à ce titre, qu’il a conduit les négociations ayant abouti à la signature le 9 avril 2017 à la signature du Mémorandum d’Accord entre la CEEAC et l’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT) pour le développement de l’écotourisme en Afrique centrale Originaire du Congo-Brazzaville, il est détenteur d’une thèse de doctorat en économie botanique du muséum national d’histoire naturelle de Paris et de la chaire de gestion d’entreprise de l’institut national de recherche agronomique de Montpellier. Il est également titulaire d’un diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) en économie et gestion des entreprises de la faculté des sciences économiques de l’université de Montpellier II.