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Journal Intégration

Catégorie : CONTRE-ENQUÊTE

  • Agent secret: le métier… au féminin

    Agent secret: le métier… au féminin

    Visionnaires, brillantes et armées d’un courage sans faille, elles sont aussi étonnamment discrètes. À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, Intégration est allé à la rencontre de quelques potiches du renseignement au Cameroun.

     

    Comme des béguines, électriques et félines, C.A. et Y. T n’ont pas peur de s’avachir à nos côtés, nous embrassant de paroles, paroles et paroles. Dans ce hall d’un hôtel yaoundéen, l’image qu’elles offrent est bien vaporeuse. Elle ne permet pas tellement de savoir qui l’on a rencontré. Ce qu’on retient de ces belles créatures, ce sont des « yeux revolver » qui, le temps d’un salut, distillent à la fois une allure sévère et cool. Au-delà, ce sont des femmes capables d’adapter leur voix, capables d’imiter mille accents, de rouler les «r» et de roucouler. Des femmes qui prennent garde cependant à rester sensibles à l’enjeu d’être clean : carrure dessinées dans des robes pincées à la taille, avec, pour l’une, une guipure qui ajoute une touche de décontraction urbaine. Cerise sur le gâteau, des fentes qui, dévoilant une partie des membres inférieurs, donnent lieu à une magnifique image. C’est peu de dire que le reporter est traversé par cette image, et qu’il devient de plus en plus difficile de s’arrêter sur quelque chose: le métier d’agent secret, tel qu’exercé au Cameroun par les femmes.

     

    Premiers traits

    Seulement, on vient à bout de cette hébétude quand arrive un ancien Lion indomptable. Une ambiance bon enfant se crée. Si les blagues débitées par ce footballeur émérite emportent tout le monde, elles permettent de distinguer au moins une chose : ce sont des femmes qui s’autorégulent dans le sens d’une ormeta bien tempérée, ne laissant pas au journaliste le soin de fouiller le panier de leur profession. Ni C.A., ni Y. T., personne ne dévie cette ligne, même si, au passage, elles avouent être des «catholiques pratiquantes qui vont chaque dimanche à la messe, font un peu de gymnastique, n’ont pas un train de vie énorme et qui prennent leur métier comme un challenge». Et puis, elles coupent court à la discussion fébrile et décousue, reformulant leur refus de s’épancher plus.

    En jouant sur les contrastes obtenus à partir de leur attitude, on comprend que ce n’est pas personnel : les deux « gazelles » sont encore en fonction. Qui plus est, elles ont l’impression de ressasser «des banalités». Un ancien haut cadre d’Interpol avait donc bien averti que l’interview ne serait pas facile à conduire, que les femmes agents secret, ont leur tempérament et qu’elles veulent garder «une part de mystère». Autrement dit, qu’elles ne se laissent pas malmener et se protègent derrière une définition extensive de la notion de vie privée et une parfaite connaissance des enjeux stratégiques du temps. «C’est un schème mental venu du fonds des âges du renseignement », renseigne une policière à la retraite.

    A ce jour, elle fait figure de «vétéran». J.O. comptabilise plusieurs années de service. «Un parcours durant lequel j’ai côtoyé plusieurs dossiers qui ont fait l’actualité politique, économique et sociale au Cameroun», brandit-elle fièrement. Reconvertie en administratrice déléguée d’une société de gardiennage, elle donne à son ancien métier la teneur d’une riche et belle activité cachée. Elle dit avoir été, en compagnie de cinq autres femmes, recrutée au troquet du coin, juste après son succès à la première partie du baccalauréat (actuel probatoire) et se jette à corps perdu dans les cours par correspondance. «Cette époque est révolue ; avant, c’était un marché un petit peu marginal et un peu traité à la légère», ajuste-t-elle. C’est que depuis, le statut de la femme dans le renseignement a été valorisé. Autrefois mal aimées et considérées (parfois à juste titre, selon notre interlocutrice) comme de dangereuses bourrines, les femmes agents secret au Cameroun bénéficient désormais d’une image positive auprès des structures qui les emploient. «On a beaucoup évolué dans la bonne direction, puisque les autorités ont, il y a 20 ans, accéléré l’insertion des femmes dans ce corps de métier. Elles sont maintenant des dizaines éparpillées sur l’étendue du territoire, avec des salaires juteux », assure la sexagénaire. Elle ajoute: «Maintenant, il faut avoir fait de bonnes études renforcées d’au moins trois modules sur la collecte et le traitement de l’information stratégique ; surtout avec la technologie qui est désormais pointue. Cela est valable même pour les femmes qui sont employées au noir», confie J.O. qui reconnaît que malgré cela, quelques esprits continuent d’instruire, contre les femmes, des procès en incompétence par le truchement de portraits à charge et autres rapports vénéneux.

     

    «Sauveuses et briseuses de vie»

    Voilà qui nous met sur la piste de celles qui ne sont plus en activité. Là encore, il faut trouver des leviers pour les faire parler, bien qu’on ait été recommandé. A J. O., 74 ans, on réussit à obtenir quelques anecdotes pittoresques mais bien réelles illustrant les relations tendues entre les hommes et les femmes du renseignement au Cameroun. «En avril 1983, un collègue mâle, souvent très grincheux sur le terrain, avait adressé à nos patrons un rapport dans lequel il racontait comment je lui avais sauvé la vie en Centrafrique». Dans ce pays-là, J.O. était l’unique femme du groupe chargé de débusquer Jean-Pierre Oumboute et Ambang Mbadje, les co-assassins de Dikoum Minyem (époux de Marinette Dikoum, NDLR». «Ça n’a pas été facile ! Alors que nous étions sur la bonne piste, Oumboute et quelques brigands avaient planifié secrètement de liquider ce collègue. Intuition féminine, je lui ai dit de changer de route tout simplement. Dieu merci, on a fait le boulot et on les a arrêtés…», raconte-t-elle.

    Selon cette «has been», de fringantes demoiselles font des piges dans la profession. Celles-là n’ont pas de statut officiel puisque ne disposant pas d’une carte professionnelle. «On les utilise pour leur cerveau». Dans un éclat de rire mal contenu, J.O. assure que celles-là écument les lieux de plaisir, capables de vouer à un suspect un amour chevaleresque pendant des jours, voire des mois, «juste le temps de la collecte». Avec du recul elle confesse être fascinée par leur capacité à «savoir jouer double jeu pendant tout ce temps, à savoir garder le secret, et à être restées fidèle à une cause, alors qu’elles risquent la mort si jamais leur couverture était découverte».

    Sur le sujet, J.O. relate l’histoire d’une «pigiste» et d’un ancien journaliste de la radio publique camerounaise en fin août 1979 à Yaoundé. L’homme de média était, apprend-on, entré en possession de documents top secret de la gendarmerie. «On a, grâce à une jeune demoiselle, réussi à détecter l’origine de cette fuite, avant d’emprisonner quelques éléments de la sécurité militaire et le journaliste en question… Si cet homme avait imaginé que ça se passerait ainsi…», soupire J.O.

     

    Déconvenues

    L’agréable n’est pas toujours au rendez-vous, hélas ! Parfois, quelques lutins sabotent les initiatives des espionnes. «Le monde des renseignements est un biotope autarcique et limite aristo, rétif à faire preuve de transparence sur ses rouages les moins honorables; c’est ce que dévoilent très souvent quelques serpents visqueux présents dans les rangs», déballe un ancien fonctionnaire d’Interpol. Et pour les femmes du métier, insinue-t-il, cela fausse souvent des enquêtes. Cet avis est partagé par G.E, 73 ans, actuellement à la tête d’une association caritative. Elle a travaillé comme espionne à l’ancienne gare routière de Mbalmayo, à quelques encablures du lieu-dit «Poste centrale» à Yaoundé dans les années 80. Elle raconte comment en tant que femme, elle a été contrariée dans la filature d’un percepteur aujourd’hui décédé. «Un collègue m’a dit que ma féminité ne pouvait pas permettre de solder cette enquête sur le transfert illicites de fonds publics via les cars de transport en commun. Or, il avait flairé le magot et était allé mettre le concerné au courant, moyennant beaucoup d’argent», se souvient-elle, tentant de comparer les profils moraux des mâles et ceux des femmes. «Dans ce métier au Cameroun, je crois que nous avons les nerfs d’acier pour ne pas tomber en tentation, à la seule vue de l’argent», souffle-t-elle.

     

    Femme tout court

    A écouter une femme agent secret, on l’imagine contrainte et contrite. On est presque mal pour elle. «Ce boulot n’est pas du tout ennuyeux. Ce sont toujours les médias qui gâchent un peu les choses ici au Cameroun», croit savoir J.O. La presse, de son point de vue, se préoccupe plus des «coups bas» portés contre les hommes. Fille de famille au revenu très modeste, bien-pensante, elle dit avoir su, au cours de sa carrière, combiner ce qui se fait et ce qui ne se fait pas. Ce qui se dit et ne se dit pas. Néanmoins, sous ses airs sages, la dame a eu parfois des élans d’indépendance. De rébellion, peut-être aussi, qui sait ? «Comme toutes les femmes !», sourit-elle. A Yaoundé, elle se la coule douce avec son époux et quelques petits-enfants dans un quatre pièce au standing respectable. «Mon mari avait un métier plutôt précaire mais on pouvait s’en sortir à deux en se serrant les coudes, nous n’avions pas de gros besoins», confie-elle. Féministe durant ses années de service, elle avoue avoir mené d’utiles combat pour que ses filles accèdent à la même instruction que les garçons, pour que les femmes puissent exercer un métier, pour qu’elles aient les carrières qu’elles méritent. «Pas dans le renseignement en tout cas ; j’ai peur pour elles !», rigole-t-elle. Dans la foulée, elle n’oublie jamais l’ignominie des attaques, la bassesse de ces quelques belles-sœurs qui, pour dénoncer son métier, ont choisi, délibérément contre elle, un vocabulaire de haine, de mort.

     

    «Ce qui se passe dévoile que l’argent va davantage se faire rare dans cette zone, eu égard à un probable tassement des indices. Puisque le climat des affaires s’annonce plus défavorable que ces jours-ci»

     

    «En avril 1983, un collègue mâle, souvent très grincheux sur le terrain, avait adressé à nos patrons un rapport dans lequel il racontait comment je lui avais sauvé la vie en Centrafrique»

     

    Jean-René Meva’a Amougou

  • Cameroun: baisse attendue des tarifs de l’électricité

    Cameroun: baisse attendue des tarifs de l’électricité

    Avec l’entrée en service cette année du barrage de Memve’ele et de la centrale électrique de Lom Pangar, le coût de revient du kilowatt/heure devrait chuter. Cette tendance va se renforcer avec la réalisation du projet Nachtigal.

    C’est une bonne nouvelle pour les caisses de l’Etat en cette période de crise économique. «Cette année, le tarif payé couvrira les charges, et ce jusqu’en 2020 au minimum». L’annonce est de Joël Nana Kontchou, directeur général d’Eneo, la principale société de distribution de l’électricité au Cameroun. De ce fait, l’État ne déboursera pas un sou au titre de la compensation tarifaire. Depuis le blocage du tarif en juin 2012, le trésor public se substitue au consommateur pour régler le surplus nécessaire pour couvrir les charges d’Eneo. Une compensation qui s’est par exemple élevée à plus de 20 milliards de francs CFA en 2017, gonflant la dette déjà importante de  l’Etat vis-à-vis de l’entreprise.

    Baisse des charges

    Cette nouvelle est la conséquence de l’amélioration du mix électrique du pays. Le barrage hydroélectrique de Memve’ele, réceptionnée le 08 février dernier par Basile Atangana Kouna, ministre de l’Eau et de l’Energie, devrait par exemple entrer en service au mois de juin prochain. Malgré le problème de débit du fleuve Ntem qui obère sa capacité de production, les 52,75 MW garantis toute l’année devraient permettre de réduire au strict minimum le recourt aux centrales thermiques dont le coût de production du kilowatt/heure (kWh) est très élevé. Il est de l’ordre de 300 francs CFA alors qu’il est par exemple de moins de 20 francs pour une centrale à gaz comme celle de Kribi. Sur le réseau interconnecté sud (Ris) où ce barrage  sera connecté, seules les centrales thermiques comme celles de Bafoussam ou d’Ahala (Yaoundé), qui  régulent la tension électrique dans ces villes, devraient rester fonctionnelles.

    Elisabeth Huybens, directrice des opérations de la Banque mondiale au Cameroun : «Le projet Nachtigal est un projet incroyablement bon. C’est un projet qui va permettre d’augmenter la capacité de production de l’électricité de 30% à un coût de production très bas. 7 centimes de dollars par kWh (un peu plus de 35 francs CFA). Et pour le moment, le coût moyen au Cameroun est de 14 centimes de dollars».

    De ce fait, l’arrivée de Memve’ele va induire une  diminution des charges d’Eneo et donc une baisse du coût de revient du kWh d’électricité estimé lors du blocage des tarifs de l’électricité en 2012 à un peu plus de 80 francs CFA. Surtout que, depuis l’entrée en service du barrage de Lom Pangar, il y a trois ans, les économies annuelles du fournisseur de l’électricité en termes de thermique évité se chiffraient déjà à 24 milliards de francs CFA, selon les informations de Electricity Development Corporation (EDC), le gestionnaire du patrimoine hydroélectrique du pays.

    A cela, il faut ajouter les énormes économies attendues de l’entrée en service cette année de la centrale électrique actuellement en construction au pied du barrage de Lom Pangar. Constitué uniquement de la région de l’Est, le réseau interconnecté est (Rie) est en ce moment fourni en énergie électrique grâce à une dizaine de centrales thermiques. La centrale électrique de Lom Pangar devrait permettre au Rie de migrer du thermique à l’hydroélectricité. D’une puissance  de 30 mégawatts, elle devrait couvrir la demande dans cette région sur plusieurs années.

    Quid des tarifs? 

    Avec la montée de l’électricité bleue, Eneo perd le principal argument souvent évoqué pour demander une augmentation des prix de l’électricité. Les près de 1,2 million de clients d’Eneo sont même en droit d’espérer une baisse des tarifs du kWh. A la Banque mondiale, on estime par exemple que le barrage hydroélectrique de Nachtigal, programmé pour entrer en service en 2021, devrait contribuer à baisser davantage le coût de production de l’électricité au Cameroun. «Si tous les projets comme Nachtigal se réalisent, le coût de production de l’électricité va diminuer. Donc à un moment donné, le tarif qui est payé maintenant sera en dessous du coût de revient», indique Elisabeth Huybens. Et la directrice des opérations de la Banque mondiale au Cameroun d’ajouter : «le projet Nachtigal est un projet incroyablement bon. C’est un projet qui va permettre d’augmenter la capacité de production de l’électricité de 30% à un coût de production très bas. 7 centimes de dollars par kWh (un peu plus de 35 francs CFA). Et pour le moment, le coût moyen au Cameroun est de 14 centimes de dollars».

    «On fera les calculs le moment venu», indique-t-on chez Eneo. Ici, on tient surtout à préciser que les projets de barrages hydroélectriques ne produiront tous les impacts attendus que s’ils sont réalisés dans les délais. Un pari que le Cameroun peine à tenir jusqu’ici.

    Aboudi Ottou


    Tarifs de vente (hors taxes) d’électricité au Cameroun

    Clients basse tension usages domestiques

    Consommations inférieures ou égales à 110 kWh : 50 FCFA/kWh

    Consommations comprises entre 401 et 800 kWh : 94 FCFA/kWh

    Consommations comprises entre 111 kWh et 400 kWh: 79 FCFA/kWh

    Consommations comprises entre 801 et 2000 kWh: 99 FCFA/kWh

    Clients moyenne tension: 3700 FCFA par kWh

    Eclairage public : 66 FCFA/kWh

    Clients haute tension

    Les tarifs de vente d’électricité haute tension aux nouveaux abonnés sont fixés dans le cadre des contrats passés entre Eneo et lesdits abonnés.

  • Clash en perspective entre le Cameroun et le FMI

    Clash en perspective entre le Cameroun et le FMI

    Loi de finance 2018

    S’achemine-t-on vers le premier clash entre le Cameroun et le Fonds monétaire international (FMI) dans le cadre de la mise en œuvre du programme de réformes économiques et financières ?

    Le 20 novembre dernier, le président camerounais, Paul Biya, a instruit son gouvernement de supprimer du projet de loi de finance 2018 la réforme qui envisageait de confier la collecte de la taxe sur la propriété foncière à Eneo, l’entreprise de distribution d’électricité. Une décision salutaire, estiment deux experts, l’un interne et l’autre externe à la direction générale des impôts. Sauf que l’instruction de Paul Biya est intervenue tard. Cette réforme soutenue par le FMI est déjà inscrite dans le programme d’ajustement du pays. Et sa non réalisation pourrait compromettre le décaissement de la 3e tranche du financement du Fonds qui devrait intervenir en principe le 30 juin 2018. Explication.

    Bien que justifiée, la suppression de la réforme sur le recouvrement de la taxe foncière dans le projet loi de finance 2018 instruite par le président Paul Biya prend des libertés avec une conditionnalité du  programme d’ajustement du pays. Cette décision pourrait compromettre le décaissement de la 3e tranche du financement du Fonds monétaire international attendu le 30 juin 2018.

    Parmi les repères structurels du programme de réformes économiques et financières du Cameroun, mise en œuvre avec l’appui du Fonds monétaire international (FMI), figurent l’améliorer du recouvrement de la taxe sur la propriété foncière (aussi appelée taxe foncière) «en le liant au système de distribution de l’électricité» et le partage des recettes de cette taxe entre l’Etat central et les collectivités décentralisées. Selon le tableau 2 du mémorandum de politique économique et financier (MPEF) pour la période 2017-2019 (joint à la lettre d’intention du gouvernement camerounais envoyée au FMI le 16 juin 2017; pages 84 et 85 du rapport du FMI N°17/185 de juillet 2017), cette mesure doit être introduite dans la loi de finance 2018 avant la fin de l’année.

    L’objectif de cette réforme est d’accroitre les recettes non-pétrolières. La direction générale des impôts (DGI) estime en effet qu’elle pourrait faire passer de 4 milliards de francs CFA (montant affecté au financement des seules administrations locales) à 20 milliards lorsque la réforme sera lancée, et jusqu’à 100 milliards une fois qu’elle sera pleinement opérationnelle. En conformité avec les dispositions de son programme d’ajustement avec le FMI, le gouvernement camerounais a donc introduit la mesure dans l’avant-projet de loi de finance 2018. Le partage des recettes qui y a été proposé attribuait 50% à l’Etat central et 50% à la commune du lieu de situation de l’immeuble. Avec ce dispositif, il était alors espéré une contribution de la taxe sur la propriété foncière dans le budget de l’Etat d’environ 10 milliards de francs CFA en 2018 et beaucoup plus dans les années à venir (voir encadré).

    Rétropédalage

    20 novembre 2017, coup de théâtre. Dans une lettre adressée à Séraphin Magloire Fouda, secrétaire général des services du Premier ministre, Ferdinand Ngoh Ngoh, secrétaire général de la présidence de la République (SGPR) du Cameroun, indique que le président Paul Biya instruit de «supprimer la collecte de la taxe sur la propriété foncière par les entreprises de distribution de l’électricité à l’à l’occasion de la facturation des consommations aux abonnés propriétaires». La lettre du SGPR est muette sur les motivations de cette volteface. Mais elle propose plutôt, des mesures pour compenser les pertes de recette consécutive à la décision du chef d’Etat camerounais (voir encadré).

    Voici plusieurs mois que la DGI travaille sur la réforme de taxe sur la propriété foncière et l’option de confier son recouvrement à Eneo, l’entreprise de distribution de l’électricité. La mesure a même eu l’assentiment du gouvernement qui l’a introduit dans son programme de réformes économiques et financières soumis au FMI et destiné  à répondre à la crise économique actuelle. Pour l’institution de Bretton Woods, «la refonte du recouvrement de la taxe foncière proposée par la direction générale des impôts (DGI) doit être encouragée» (page 49 du rapport N°17/185 de juillet 2017). Car explique le Fonds,  «Au-delà du potentiel considérable de recettes, la proposition présente aussi d’utiles opportunités en termes de réorganisation des services, qui devrait permettre, à terme, de mieux imposer les particuliers et les revenus de leurs biens fonciers. (…) En outre, une démarche fondée sur le patrimoine, et la comparaison des niveaux de vie qui en découle, sont utiles pour détecter les revenus dissimulés à l’étranger».

    Pourquoi ce n’est donc que maintenant qu’intervient la décision de Paul Biya? Difficile à dire. «Le projet a été mal ficelé. Au lieu d’identifier les propriétaires fonciers en constituant des équipes mixtes Eneo/DGI avant d’introduire la réforme, on a fait le contraire. Du coup le risque de faire payer les non propriétaires est très élevé. Et en année électorale, on ne peut pas se le permettre», explique une source à la direction générale des impôts. L’inspecteur des impôts Alain Symphorien Ndzana Biloa est plus sévère. Pour lui, la collecte de la taxe sur la propriété foncière par Eneo est inopérante, inefficace et peut même provoquer beaucoup de désagréments (voir interview en page 11).

    Malgré son bienfondé, si on en croit ces deux experts, les conséquences de cette décision peuvent s’avérer fâcheuses. Elle pourrait par exemple compromettre le troisième décaissement du financement du FMI évalué à 47,5 milliards de francs CFA. Selon le calendrier de décaissement (page 40 du rapport du FMI N°17/185 de juillet 2017), cet argent devrait être disponible le 30 juin 2018. Mais son décaissement est conditionné par l’«observation des critères de réalisation continus, à fin décembre 2017» et l’«achèvement de la deuxième revue». Et parmi ces critères figurent en bonne place les repères structurels donc la mise en œuvre était attendue en fin décembre 2017 comme l’implémentation de la réforme de la taxe sur la propriété foncière.

    Récidive

    La situation du Cameroun est d’autant plus délicate que deux autres repères structurels espérés à la même période n’ont pas été mise en œuvre. Il s’agit de l’audit des restes à payer dus au secteur privé pour les exercices budgétaires antérieurs à 2017 et l’adoption d’une stratégie pour apurer le portefeuille des créances en souffrance des banques commerciales. L’institution de Bretton Woods a donné au pays jusqu’au premier semestre 2018 pour les atteindre.

    La deuxième revue semestrielle devrait être moins sereine que la première. Ses conclusions sont attendues cette fin d’année suivies, si elles sont positives, du décaissement de la seconde tranche du financement du FMI d’un montant de 71,2 milliards de francs CFA. Sur les 415 milliards de financement promis par le FMI, le pays n’a jusqu’ici reçu que 106,8 milliards. Argent mis à sa disposition après l’approbation du programme d’ajustement par le conseil d’administration du Fonds le 26 juin dernier.

  • « L’administration fiscale s’est fourvoyée »

    « L’administration fiscale s’est fourvoyée »

    Alain Symphorien Ndzana Biloa

    L’inspecteur principal des impôts est l’auteur de l’ouvrage intitulé «La fiscalité, levier pour l’émergence des pays africains de la zone franc: le cas du Cameroun». Pour lui, la collecte de la taxe sur la propriété foncière par Eneo est inopérante, inefficace et peut même provoquer beaucoup de désagréments. Il explique pourquoi.

    Le chef de l’Etat a prescrit au gouvernement de supprimer dans le projet de loi de finance 2018 le recouvrement de la taxe sur la propriété foncière par les entreprises de distribution de l’électricité. Comment comprendre cette instruction du chef de l’Etat ?

    Je suis et je demeure un commis de l’Etat. A ce titre, je ne saurais commenter les instructions du chef de l’Etat.

    Vous pouvez quand même nous dire, quels auraient été les problèmes que le recouvrement de cette taxe par Eneo aurait pu poser pour justifier une telle décision?

    Pour comprendre la problématique du recouvrement de la taxe foncière par Eneo, il faut déjà dire en quoi consiste la collecte d’un impôt par un tiers.

    En effet, contrairement aux impôts directs qui frappent périodiquement une matière imposable permanente ou se renouvelant régulièrement selon la définition du doyen Trotabas, les impôts indirects sont intermittents et atteignent des faits (de production, de consommation, d’échange ou plus simplement de dépense). Pour contourner la difficulté évidente de perception des impôts indirects, les Etats obligent certains contribuables à les collecter en les ajoutant au prix de vente des biens ou des prestations. Les impôts indirects peuvent donc aussi être définis comme des impôts collectés par un tiers qui joue le rôle d’intermédiaire entre le contribuable et le Trésor public.

    Cet intermédiaire, qui devient le redevable légal de l’impôt, est généralement le fournisseur du bien ou du service auprès du contribuable. C’est le cas des impôts sur la consommation comme la TVA, les droits d’accises, etc. C’est également le cas de certains prélèvements prévus par la législation fiscale camerounaise comme le précompte sur achats collecté par les commerçants grossistes et demi-grossistes, les industriels, les importateurs, etc., le timbre sur la publicité collecté par les annonceurs (radios et télévisions), les éditeurs des journaux imprimés, les afficheurs, les exploitants des salles de cinéma, et la taxe de séjour instaurée par la loi de finances 2017, dont la collecte a été confiée aux établissements d’hébergement. Pour que la collecte d’un impôt par un tiers soit aisée, il faut d’abord que le fait générateur de cet impôt ait un lien direct avec l’opération réalisée par l’entreprise collectrice.

    Ce qui n’est visiblement pas le cas avec Eneo en ce qui concerne la taxe sur la propriété foncière…

    En effet. Le lien entre la propriété de droit ou de fait d’un immeuble avec la fourniture de l’électricité à un abonné n’est pas évident. En plus, la taxe foncière parce qu’elle frappe périodiquement (annuellement) une matière imposable permanente constituée de la propriété de droit ou de fait d’un immeuble [art 579-1 du code général des impôts (CGI)] est un impôt direct.

    La collecte de cet impôt par une entreprise de distribution de l’électricité poserait au moins cinq problèmes : le premier problème est un problème de logistique, le deuxième est technique, le troisième est celui de la gestion de la taxe foncière indument facturée, le quatrième est celui des contraintes que cette collecte imposerait à Eneo et le cinquième est celui de la trésorerie publique.

    Si vous le voulez bien examinons chacun de ces problèmes en profondeur. Commençons par le problème logistique. A quoi faites-vous allusion ?

    Charger la société Eneo de la collecte de la taxe foncière à compter du 1er janvier 2018 supposait que cette entreprise avait déjà acquis un nouveau logiciel ou modifié son ancien logiciel de facturation pour y intégrer les éléments de liquidation mensuelle de la taxe foncière ; ce qui visiblement n’est pas le cas.

    Et quand vous parlez de problèmes techniques. Voulez-vous dire que Eneo n’a pas l’expertise pour collecter cette taxe ?

    En effet, pour que Eneo liquide la taxe foncière sur la base d’imposition telle que définie à l’article 580 du CGI, il faut que cette entreprise dispose des valeurs des terrains et des constructions des abonnés propriétaires de tous les chefs-lieux des unités administratives, et qu’elle soit informée en temps réel de toutes les mutations des propriétés immobilières. Par ailleurs, l’article 580 qui n’était pas concerné par cette réforme dispose qu’en cas de minoration de la valeur déclarée, la valeur administrative de l’immeuble est déterminée conformément aux dispositions de l’article 546 bis du CGI. Ces dispositions renvoient au décret n°2014/1881/PM du 07 juillet 2014 fixant les modalités d’évaluation administrative des immeubles en matière fiscale. Ce texte prévoit que la valeur administrative d’imposition est désormais fonction de la classe de la commune, des zones de quartiers, du standing et du nombre de niveaux de la construction. Pour moi, il serait très difficile à Eneo de concilier toutes les exigences de ces dispositions avec ses affaires.

    L’autre souci aurait été celui de la gestion de la taxe foncière indument facturée. Comment se serait posé le problème à ce niveau?

    Ici, le problème serait venu du volume du contentieux que la collecte de cette taxe par Eneo peut générer et qui viendra s’ajouter au contentieux tout aussi volumineux qui nait de la simple fourniture de l’électricité à ses abonnés et que cette entreprise peine à solutionner. Le projet de l’article 582-2 prévoyait que la taxe foncière indûment établie au nom d’un locataire dans sa facture de consommation d’électricité pouvait être dégrevée d’office sur présentation du contrat de bail enregistré. Sauf qu’en attendant le dégrèvement d’office qui ne peut s’obtenir dans un délai raisonnable, le contribuable est obligé de payer la taxe indûment facturée pour ne pas se voir privé d’électricité.

    En plus, comment l’administration fiscale pourra-t-elle accorder un dégrèvement d’office à ce locataire sur la base d’une facture qui restera un document commercial et en l’absence d’un avis de mise en recouvrement établi en son nom? Quand on sait que l’Agence de régulation de l’électricité (Arsel) est chargée d’arbitrer les litiges entre Eneo et les consommateurs de l’électricité, quel serait son rôle dans ces contentieux? Comment Eneo allait-elle appliquer les exonérations prévues à l’article 578 du CGI ? Le projet de l’article 582-3 prévoyait que la taxe foncière indûment incluse dans la facture d’électricité d’un client qui l’a déjà acquittée est déduite de ses factures à venir et que des régularisations sont effectuées entre Eneo et l’administration fiscale. Au vu du nombre d’abonnés d’Eneo qu’indique le fichier que l’administration fiscale a reçu de cette entreprise en 2016 (1 025 000) et qui a surement augmenté à ce jour, comment se feraient ces déductions et ces régularisations ? Sur quelle périodicité ?

    Vous avez aussi évoqué les contraintes que cette collecte imposerait à Eneo. Quelles sont-elles ?

    Ce projet prévoyait à l’alinéa 1 de l’article 583 que: «l’entreprise de distribution de l’électricité est tenue de mettre à la disposition de l’administration fiscale l’ensemble du fichier de ses abonnés et toutes les informations nécessaires à l’établissement de leur taxe foncière » et à son alinéa 2 que «toute personne physique ou morale sollicitant un abonnement ou un branchement au réseau de distribution de l’électricité est tenue de fournir à l’entreprise de distribution de l’électricité, sous peine d’irrecevabilité de sa demande, les informations nécessaires à l’établissement de sa taxe sur la propriété foncière». Dans ce cas, l’administration fiscale demande à Eneo de lui fournir une information qu’elle seule est supposée détenir, et de conditionner le branchement au réseau électrique par la fourniture des informations nécessaires à l’établissement de leur taxe foncière. Quand on sait que le domaine «connexion à l’électricité» est l’un des domaines qui ont impacté négativement le classement du Cameroun dans le Doing Business 2018, introduire une telle condition au branchement au réseau électrique reviendrait à mettre tout en place pour que la note du Cameroun dans ce domaine se dégrade encore dans le Doing Business 2019. Une fois de plus, il serait très difficile à Eneo de concilier toutes ces contraintes avec ses affaires.

    Le dernier problème évoqué c’est celui de la trésorerie publique. A quel niveau le situez-vous ?

    Etaler sur 12 mois le recouvrement d’un impôt qui était acquitté au 15 mars aurait eu un impact sur la trésorerie de l’Etat et des collectivités territoriales décentralisées qui en sont bénéficiaires.

    La direction général des impôts estime que cette réforme aurait permis de faire passer les recettes de la taxe sur la propriété foncière de 4 milliards actuellement à 100 milliards de francs CFA à terme. N’est-ce pas un argument de poids avec la conjoncture économique actuelle?

    Je pense humblement que c’est à ce niveau que l’administration fiscale s’est fourvoyée dans l’analyse synoptique du fichier des abonnés d’Eneo et des dispositions du CGI relatives au redevable et au fait générateur de la taxe foncière. En avril 2016, l’administration fiscale informait l’opinion que l’exploitation du fichier de 1 025 000 abonnés d’Eneo allait lui permettre de passer le nombre de contribuables qui payaient la taxe foncière de 138 510 à 1 163 510. Première erreur, pour elle, les 138 510 contribuables qui payaient cette taxe n’avaient aucun rapport avec Eneo. En plus la taxe foncière étant dû par les propriétaires fonciers de fait ou de droit, et le branchement au réseau électrique n’étant fait que par le propriétaire foncier, l’administration fiscale devait tabler sur le nombre de branchements et non le nombre d’abonnés. En effet pour un immeuble de 10 appartements, il y a un seul branchement pour 10 abonnements.

    Pourtant,  il y a une information très pertinente dans le fichier Eneo. C’est celle relative au point de livraison qui elle est liée au branchement au réseau électrique. Le jour que cette information sera bien exploitée, je parie qu’on se demandera si cette réforme vaut la peine lorsqu’on se rendra compte que 70 à 80% des abonnés d’Eneo sont des locataires et ne sont pas redevables de la taxe foncière, du moins au lieu de l’un des abonnements Eneo. Je regrette que l’administration fiscale ne songe pas à exploiter les informations contenues dans le fichier d’Eneo dans le sens que j’ai suggéré à la page 263 de mon ouvrage intitulé «La fiscalité, levier pour l’émergence des pays africains de la zone franc : le cas du Cameroun».

    Le Fonds monétaire international qui soutient cette réforme estime que le regroupement du paiement de la taxe foncière avec celui de la facture d’électricité permettra d’élargir et de sécuriser l’assiette de l’impôt et facilitera le recouvrement, tout en réduisant la charge de travail de ses services. Votre réaction à ces arguments?

    La position du FMI dépend des informations qui ont été données à ses auditeurs dont l’expertise ne saurait être remise en cause. Pour ce qui est de l’élargissement de l’assiette de la taxe foncière, j’ai indiqué plus haut les éléments qui montrent que l’administration fiscale s’est fourvoyée. Si la collecte de la taxe foncière par Eneo suffisait à elle seule pour élargir son assiette et porter ses recettes à 100 milliards, l’administration fiscale n’allait pas prévoir un régime de déclaration pré-remplie et un régime de déclaration spontanée en plus de cette collecte. L’argument relatif à la réduction de la charge de travail de l’administration fiscale en ce que cette charge est entièrement transférée à une entreprise commerciale n’est pas favorable à l’amélioration du climat des affaires.

    Peut-on établir un lien entre la sortie du Groupement inter-patronal du Cameroun (Gicam) et l’instruction du chef de l’Etat ?

    Le Gicam a soulevé 5 principaux problèmes dans son communiqué : l’absence du dialogue ou de la concertation, l’augmentation de la pression fiscale attendue, le risque d’aggravation des contraintes imposées à ses membres contribuables, l’affaiblissement du dispositif de remboursement des crédits de TVA et   le caractère répressif de l’avant-projet de la loi des finances 2018. Qu’il y ait un lien ou pas, les instructions du chef de l’Etat et certains éléments qu’elles contiennent apportent une réponse à certaines préoccupations du patronat.

    Interview réalisée par Aboudi Ottou