Candidats déplacés internes: entre traumatisme et espoir

À la veille des examens de fin d’année dans le système anglophone, des jeunes élèves venant des zones en crise du Nord-Ouest et du Sud-Ouest Cameroun vivent dans un ascenseur émotionnel.

L’histoire de ces jeunes est particulière. La guerre fait rage dans les localités où ils ont vu pour la première fois la lumière du jour. Beaucoup n’ont pas pu supporter le crépitement incessant des armes entre séparatistes et soldats loyalistes. Certains ont même vu leurs proches, camarades et amis tomber sous les balles. La chance faisant partie de la vie, ils ont réussi, en dépit des difficultés, à s’extirper de ce milieu quasi infernal. Ils ont été encouragés par les parents, car beaucoup n’arrivaient plus à les nourrir et davantage à assurer leur protection. Il leur était formellement interdit d’aller à l’école sous peine de se voir arrêter ou tuer.

Par la force du destin, ils sont arrivés à Yaoundé. Certains se retrouvent aujourd’hui sans abri. D’autres, par contre, ont trouvé refuge chez un oncle ou chez une tante. Malgré tout, et dans cette vague de difficultés, ils payent eux-mêmes leurs scolarités. Les nouvelles venant de leurs régions natales ne sont pas toujours bonnes. Mariamou Souley pleure son frère tombé sous les balles ; le père de la petite Bokwe Loveline a été kidnappé. Les séparatistes exigent une forte rançon pour le libérer. Les deux jeunes filles, comme beaucoup d’autres de leurs camarades, vivent dans une psychose permanente. Toujours en larmes, elles n’ont pas pu se contenir devant le reporter. C’est dans cette atmosphère quasi choquante que tous ces jeunes affrontent leurs examens ce 27 mai 2019.

En plus de la réussite à leurs examens, ces enfants désirent ardemment voir les massacres s’arrêter pour pouvoir retrouver leurs régions natales. Beaucoup avouent avoir du mal à s’adapter en zone francophone du fait de la langue et du système scolaire en vigueur. Ils ont sollicité l’aide du gouvernement camerounais. Une chose est sûre, ils n’oublieront pas de sitôt ce pan d’histoire de leur vie qui s’écrit depuis 2016.Ils ne l’ont pas souhaité ou voulu, mais ils doivent désormais composer avec cette réalité qu’ils raconteront sans doute aux générations futures. Une question majeure s’impose à la veille de leurs examens. Dans quelles conditions ces élèves, meurtris par le traumatisme de la guerre qui sévit dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, s’apprêtent-ils à affronter les épreuves du GCE Board (ordinary level et Advance level) ?

Telesphore Mbondo Awono.

 

Tongha Mbamu Carvin

Nkambe, Ndonga Mentum, région du Nord-ouest, candidat au General Certificate of Education (Advance Level)

«Que le gouvernement ouvre des filières du sous-système anglophone dans des zones francophones»

J’habitais Nkambe et je fréquentais à l’internat lorsque que la grève des enseignants a commencé. Nous avons pensé qu’elle n’allait pas durer. J’ai dû proposer à mère de la rejoindre à Yaoundé. C’est au mois de janvier 2019 que j’ai débuté les cours au collège Mario à Simbock. Elle se débrouille comme elle peut pour payer ma scolarité malgré qu’elle ne travaille pas. J’ai opté une fois ici à Yaoundé pour l’enseignement général alors qu’à Nkambe, je faisais l’enseignement technique filière électricité. Il n’y a pas d’enseignants du sous-système anglophone pour la filière électricité à Yaoundé. Nous demandons au gouvernement de tout faire pour arrêter cette guerre. Qu’il prenne en compte ces nombreuses vies perdues. Si j’étais resté à Nkambe, je serais certainement déjà mort. Chaque fois que je reçois un coup de fil du Nord-ouest, c’est soit la rançon, soit un décès d’un proche, d’un ami que j’apprends. Qu’il ouvre les filières du sous-système anglophone avec des enseignants anglophones dans des zones francophones.

 

Bikwe Loveline,
Bonge, département de la Meme, région du Sud-ouest, candidate au General Certificate of Education (Ordinary Level)

« Mon père a été kidnappé par les séparatistes»

Nous avons passé des mois à dormir en brousse. Mes parents continuent d’ailleurs à passer des nuits dans la brousse même si je dois l’avouer, le calme est revenu malgré les kidnappings qui s’intensifient. Mon père a été pris dans la nasse des séparatistes depuis deux semaines. Et ces derniers exigent une forte rançon pour le libérer. La crise anglophone a provoqué les insomnies en moi. Je ne parviens plus à m’endormir véritablement. Le bruit des armes retentit dans ma tête comme si je me trouvais encore à Bonge. .Je fais des efforts pour apprendre mes leçons. La preuve, j’ai réussi au premier et deuxième trimestre. Depuis que j’ai appris le kidnapping de mon père, je ne parviens plus à dormir. Je suis la seule fille qui est venue vivre avec mon oncle à Yaoundé. Nous habitons le quartier Eloumden après Etoakoss. Il y a deux ans, ma grand-mère a succombé à cause des crépitements incessants et permanents des armes. Nous souhaitons ardemment la fin de cette guerre aux conséquences nocives. Depuis trois ans, la plupart des copines ont accouché à cause de cette guerre. Désœuvrées, Impossible d’aller à l’école, beaucoup ont préféré aller en mariage.

 

Kongnyuy Klinsmann,
Kumbo, département du Bui, région du Nord-ouest, candidat au General Certificate of Education (Advance Level)

« Je me bats pour préparer mon examen»

Je fréquentais l’internat à Kumba lorsque la crise a commencé. Par crainte de se voir lyncher ou arrêter, les enseignants ne venaient plus nous dispenser les cours. J’ai dû replier au village croyant y retrouver la paix. C’est dans ce climat de panique généralisée que ma grand-mère m’a supplié de quitter mon village pour me rendre à Yaoundé où réside mon oncle maternel. Je dois dire que le voyage de Kumba à Yaoundé n’a pas été facile. Je me bats pour préparer mon examen. Ma mère qui a rallié les Etats-Unis, me soutient souvent en m’envoyant un peu d’argent. Malgré tout, Kumba me manque. Je demande au gouvernement de trouver une solution à long terme pour mettre fin à cette crise. Plus cette guerre perdure, plus la psychose s’installe en moi. Je continue d’entendre le crépitement des armes alors que je me trouve à Yaoundé. C’est dans cette ambiance que je m’apprête à affronter le GCE O Level.

 

Wiybinla Will-Smith Bunny

Sauver l’honneur de ma famille malgré des difficultés

Originaire de l’arrondissement de Kumbo, département du Bui Wiybinla Will-Smith Bunny a passé toute l’année scolaire 2016-2017 à la maison pris dans l’étau des crépitements des balles entre séparatistes et forces loyalistes. Interdit de se rendre à l’école, il affirme que les réfractaires à cette instruction étaient soit enlevés puis bastonnés soit assassinés. C’est dans ce climat empreint de peur que ses parents décident de son départ à Yaoundé. Son voyage ne sera pas de tout repos car, il ne dispose pas d’une pièce d’identité. Il a dû descendre plusieurs fois du car durant les trois jours qu’a duré le voyage avant d’être réadmis. A Yaoundé, il vit chez son oncle, tout n’est pas toujours en rose malgré l’éloignement des crépitements des armes. Les nouvelles qui lui parviennent ne sont pas reluisantes. Ses parents vivent toujours cachés. «C’est dans cette atmosphère que je prépare mon examen. Il m’est difficile d’apprendre mes leçons. Mais je dois sauver l’honneur de ma famille. Je ferais tout pour réussir», affirme le jeune garçon de 17 ans, lui qui a réussi à s’insérer aux cours du soir du collège Mbassi à Messassi. Un malheur ne venant pas toujours seul, le groupe fait face au manque criard d’enseignants du sous-système anglophone. Excepté les professeurs d’économie, d’anglais, de commerce ou de géographie, les enseignants des matières scientifiques sont une denrée rare. «Nous avons dû cotiser pour faire venir les anciens élèves du système anglophone pour nous dispenser des cours scientifiques. Mais tous ne sont pas disponibles et disposés», raconte Will-Smith.

 

Kame Jefferson

Moto taximan en matinée, élève en soirée

Comme Will-Smith, Kame Jefferson, est originaire du Nord-Ouest précisément de l’arrondissement de Nwa, département de Dunga Mantum. Depuis le déclenchement de la crise anglophone en 2016, le jeune garçon n’a point eu de répit. Le traumatisme résultant du crépitement incessant des armes et la peur de recevoir une balle dans la tête ont pesé de tout leur poids sur sa décision de rallier la capitale camerounaise. Il a fallu trois jours de route pour rallier Yaoundé à cause des contrôles policiers. Il ne connait ni le repos encore moins le sourire depuis son arrivée en 2018. Pour survivre, Jerferson conduit la moto et de temps à autre, il exécute de petites tâches chez un particulier. «C’est grâce à ces économies que j’ai réussi à m’inscrire au cours du soir depuis le mois de janvier 2019», raconte le jeune garçon. Il pense régulièrement à ses parents et aux conditions de vies qui sont les leurs dans ce milieu infernal. C’est pour cette raison qu’il appelle les belligérants au cessez le feu et au dialogue pour mettre un terme à cette guerre aux victimes inestimables. Deuxième fils d’une famille de 7 enfants, sa pensée voyage entre son village natal et la ville de Yaoundé. Difficile pour lui d’oublier ses quatre petits frères restés à Nwa. Tout comme il n’oublie pas le General Certificate of Education (Ordinary Level) qui se tient ce 27 mai 2019. Reussir à cet examen reste son rêve.

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