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Cameroun !!! Les subtilités oubliées de la Réunification

J’aurais pu intituler cette petite réflexion, le retour du 1er octobre 1961, tant la compréhension des développements qui y sont faits, est intimement liée à la prise en compte du phénomène de la Réunification du Cameroun intervenue le 1er octobre 1961.

Monument de la réunification de Yaoundé

 

La préférence pour l’un ou l’autre titre, n’altère en rien la réalité qui veut que l’axe principal de cette analyse soit l’absence de maturité au sens de Kant, de la classe gouvernante, dans la prise des décisions devant orienter les choix en lien avec la Réunification et corolairement, l’appropriation des effets de celle-ci par les Camerounais. Cette préoccupation est fondamentale quand on se rend à l’évidence que la trajectoire historique camerounaise depuis l’acte du 1er octobre 1961, s’apprécie davantage en prenant en considération et ceci pour bien des cas, la structuration mentale et l’orientation de la gestion de la chose publique avec pour référence le 1er janvier 1960. 

 

Non pas qu’il n’existe d’éléments pouvant légitimement magnifier une sorte de mis en commun, mais force est de constater qu’au demeurant, il s’agit plus d’une forme d’homogénéisation cohérente, non pas essentielle. La sensation que le 1er janvier et plus tard le 20 mai ont eu raison du 1er octobre, s’accroit frénétiquement. Il y a par conséquence urgence à reconstruire les schèmes mentaux en fixant comme objectif absolu, la prise en compte de la Réunification dans la vie de la République du Cameroun. Tel est le but que se fixent les lignes qui suivent. Pour y parvenir, il va d’abord être question de retracer le processus historique ayant conduit à la Réunification ; ensuite, l’analyse des mécanismes pensés visant la mise à la retraite de celle-ci et enfin une énonciation des propositions pour une meilleure gestion de cet héritage historique camerounais, mettra un terme à ce petit voyage. 

 

Processus vers la Réunification 

Le 14 juillet 1884, sous le contrôle du Consul Nachtigal, l’Allemagne prenait possession d’une partie de ce qui allait plus tard être appelé Kamerun. Progressivement, l’administration allemande se mettait en place. Ainsi entre 1884 et 1906, le territoire acquis et parfois conquis par les Allemands, prit la dénomination de Protectorat. Le Protectorat connu une administration militaire entre 1884 et 1907 et une administration civile de 1907 jusqu’au départ des Allemands en mars 1916. Durant les trente-deux années de la présence allemande, six Gouverneurs eurent la responsabilité de la gestion du Protectorat. Ceux-ci, autant qu’ils purent, organisèrent le territoire dans divers domaines. Au moment où sonne le glas de sa présence au Kamerun, l’Allemagne peut se targuer d’avoir ouvert des écoles, construit des voies de communication et des centres de santé. En le faisant, elle a également été à la base de comportements inhumains. 

 

S’il est admis que le partage du Kamerun entre la France et la Grande-Bretagne le 4 mars 1916 et entériné deux jours plus tard, marque la fin de la présence allemande sur ce territoire ; il est opportun de signaler que depuis septembre 1915, le condominium franco-britannique gérait les affaires courantes dans la ville de Douala. L’expérience du condominium a introduit dans l’imaginaire collectif de la France et de la Grande-Bretagne, l’option d’une gestion conjointe et/ou séparée du Cameroun. Dans les esprits, la dépossession Kamerun était acté, ceci d’autant plus que l’article 131 des Traités de Versailles indiquait clairement que l’Allemagne renonçait à ces territoires et colonies en faveur des vainqueurs. 

 

La présence franco-britannique au Cameroun fruit du partage est reconnue le 20 juillet 1922, transformant ainsi le Protectorat en Territoire sous Mandat de la Société des Nations (SDN). Théoriquement, dès cette date, le statut du Cameroun changea. Mais dans les faits, Anglais et Français avaient la gestion de leurs zones d’influence depuis 1916. Dans l’un et l’autre espaces, les territoires reçoivent chacun les rudiments et subit les mécanismes de gestion de la puissance mandataire. Dans cette logique, il se forme et se développe une double approche de la gestion des politiques publiques.

 

Les un cinquième du territoire, sous l’influence britannique, font l’expérience de système dit d’indirect rule d’actualité dans les colonies britanniques, mettant à contribution l’ingénierie administrative locale. De fait, les natifs sont impliqués dans la mise en œuvre de la politique coloniale. Très tôt émerge une classe de natives authorities dont la majorité se constitue de l’autorité traditionnelle, jalouse de ses acquis et du rôle d’intermédiaires, voire même de substituts de l’administrateur colonial. Dans les quatre cinquièmes du territoire, la France se donne à cœur joie à l’élaboration d’une politique d’assimilation à travers l’usage d’un système d’administration directe.

 

La politique de l’indigénat et ses corolaires alimentent la gestion du Cameroun français. En 1946, le système de tutelle remplace celui du mandat. La conséquence immédiate est que le Cameroun 2 est désormais sous la tutelle de l’Organisation des Nations Unies et confié, comme cela fut le cas à l’époque de la SDN, à la France et à la Grande-Bretagne. Au moment de la mise en vigueur du système des mandats, il ne serait pas exagéré de dire que les Camerounais, bien qu’assoiffés par le désir de se libérer de la présence occidentale, notamment allemande, étaient quelque peu dubitatifs à l’idée d’une libération véritable. Par contre, l’avènement de la tutelle intervient dans un environnement psychologique propice aux revendications de plus de liberté, voire même d’indépendance. 

 

D’ailleurs, la charte de l’ONU elle-même ainsi que les débats entre les deux superpuissances étaient en faveur de l’émancipation des territoires et des populations, placés jusque-là sous le joug colonial. Entre 1948 et 1960, les deux rives du Moungo sont le plancher sur lequel se mettent en phase les mouvements qui constituent la symphonie du 1er octobre 1961. La naissance de l’Union des Populations du Cameroun en 1948 et sa revendication de la Réunification comme préalable à l’indépendance ; les créations du Kamerun National Congresss en 1952 et du Kamerun Nationa Democratic Party en 1955 et l’extraordinaire divergence de vue sur l’avenir du Cameroun sous tutelle britannique ; l’indépendance du Cameroun sous tutelle française le 1er janvier 1960 ; ont permis aux deux chefs d’orchestre que sont Ahmadou Ahidjo et John Ngu Foncha de mener la cadence de la Réunification le 1er octobre 1961.

 

Ce ne fut pas une musique larghetto. Les chefs d’orchestre, avec des méthodes parfois discutables, ont battu les nuances et les cadences pour donner un son digeste. La première étape fut le plébiscite du 11 et du 12 février 1961, la seconde, la Conférence de Foumbam du 17 au 21 juillet 1961, puis vint la constitution du 1er septembre 1961. Le chant du fédéralisme sous fond d’une gestion bilingue et biculturelle de l’Etat, sonnait alors dans l’ensemble des 475 442 km2 que constituait désormais la République Fédérale du Cameroun. 

 

Unis sous la même République, les fils du Cameroun ont essayé de mettre en harmonie le chœur, mais très vite, il est apparu qu’en réalité, dans le jeu de pouvoir, Ahmadou Ahidjo qui devint le Président de la jeune République Fédérale, avait pris le dessus sur John Ngu Foncha qui obtint le poste de Vice-président, au point où seul Ahidjo donnait le tempo. Les conséquences de l’affaiblissement d’un des maestros, ont été très néfastes à la symphonie du groupe, laissant ainsi observer des paradoxes historiques. 

 

Les paradoxes historiques camerounais 

La naissance du Cameroun le 1er octobre 1961 augurait une ère nouvelle dans ce territoire jadis sous la double influence franco-britannique. La tendance pour une gestion 3 bilingue et biculturelle de l’Etat fédéral semblait être très forte. Mais c’était sans compter sur la justesse politique et les ambitions du Président de la République Fédérale. Très vite, l’on voit émerger des attitudes et des décisions ayant une forte capacité de destruction de l’édifice mis en place. Je donnerai quelques exemples qui confirment qu’en réalité, le Cameroun vit une sorte de paradoxe historique. 

 

Le 20 octobre 1961, par le décret n°61/DF/15, le Président Ahmadou Ahidjo organise l’Etat fédéral en six inspections générales d’administration que sont : le Centre-Sud, l’Est, le Littoral, le Nord, l’Ouest et le Cameroun occidental (jadis anglais). Dans la pratique, l’Etat fédéré du Cameroun occidental ayant à sa tête John Ngu Foncha, Premier Ministre du Cameroun Occidental et Vice-président de l’Etat Fédéral, était désormais sous le commandement d’un Inspecteur Fédéral. Cette situation avait provoqué l’ire de la classe politique de cette partie du pays. Mais c’était sans compter sur la détermination du Président Ahidjo de faire oublier l’étape qu’était la Réunification. Car en réalité, s’il a accepté l’organisation d’un plébiscite, c’était pour deux raisons.

 

La première est à trouver dans sa volonté de réorganiser, ou du moins de rééquilibrer les forces dans la partie septentrionale en faisant entrer une partie importante des populations qui échapperaient par leur histoire à la domination peule. La deuxième raison est le souci de passer très vite à autre chose. En réalité, le Président Ahidjo avait une aversion pour les défenseurs de la Réunification. Non pas qu’il y était fondamentalement opposé au principe, mais plutôt parce que la Réunification, bien qu’elle soit faite après l’indépendance du Cameroun français, n’en demeurait pas moins une idée émise par l’Union des Populations du Cameroun.

 

La méthode Ahidjo ne s’arrête pas à ce niveau. Premier paradoxe. La naissance de la République fédérale avait imposé une institution parlementaire à trois visages : deux assemblées législatives et une Assemblée Nationale Fédérale. L’article 54 de la Constitution du 1er septembre 1961, disposait qu’un député représenterait quatre-vingt mille personnes. C’est en conformité avec cette disposition que le Cameroun Occidental fut représenté à l’Assemblée Nationale Fédérale par dix députés et le Cameroun oriental par quarante députés. La coloration politique était composée des membres du Kamerun National Democratic Party et l’Union Camerounaise. Il allait de soi que ces deux partis formeraient chacun un groupe parlementaire au sein de la Chambre.

 

Malheureusement, lorsque l’Assemblée Nationale Fédérale ouvrit ses portes le 14 mai 1962, il existait un seul groupe parlementaire dit groupe de l’unité. Le Président Ahidjo avait fini par convaincre le Vice-président de la République Foncha, de la nécessité qu’il y avait à fusionner les forces 4 politiques siégeant à l’Assemblée Nationale Fédérale. Ce coup de force enlevait aux députés du KNDP un mécanisme important de la vie parlementaire. Avec un groupe parlementaire unique ayant à sa tête un des proches du président Ahidjo, l’Assemblée Nationale Fédérale que présidait Marigoh Mboua Marcel entamait l’aventure parlementaire camerounaise. 

 

Second paradoxe. 

Suite à l’unification intervenue le 20 mai 1972, la constitution du 2 juin 1972 disposait que le pouvoir parlementaire serait désormais exercé par une Assemblée Nationale. La fédération ayant disparu, la structure parlementaire était composée uniquement de l’instance nationale : exit les assemblées législatives, exit la chambre des chefs du Cameroun occidental. En juin 1973 sont organisées les premières élections législatives de la République Unie du Cameroun. L’Union Nationale Camerounaise unique parti politique, investit les candidats. Une ère nouvelle semble alors s’ouvrir pour la vie parlementaire. Désormais, le découpage parlementaire est repris à zéro, la mandature allant de 1973 à 1978 devenant la première du genre. Une grave erreur qui constitue le troisième paradoxe.

 

Comment en effet comprendre que le découpage des mandats parlementaires débute en 1973 pourtant l’institution est vielle de deux mandats, voire trois si l’on intègre la période de l’Assemblée Nationale fédérale qui exista entre le 14 mai 1962 et le 1er avril 1964 ? Plus simplement, comment comprendre que l’on veuille reprendre le découpage des mandats parlementaires en gardant comme acquis les effets de la Réunification ? Cette question vaut également pour ce qui est de la célébration de la fête nationale le 20 mai en référence au référendum de 1972. Tous les ans à cette date, les Camerounais des deux rives du Moungo battent le pavé, le prétexte étant la célébration de l’unité nationale. 

 

Mais à y regarder de près, on est quand-même frappé par une contradiction. Comment en effet vibrer au son de l’unité de part et d’autre du Moungo, quand on sait en réalité que l’Unification intervenue le 20 mai 1972 mettait fin à la Réunification ? La seule explication possible est la survivance du quatrième paradoxe. On célèbre en réalité quelque chose et son contraire. D’où la nécessité qu’il y a à trouver une nouvelle date pour la fête de l’Unité. Le 14 mai me semble plus indiqué car il renvoie au 14 mai 1962, date de la mise en route effective de l’Assemblée Nationale Fédérale regroupant les Camerounais des deux rives du Moungo. Le maintien du 20 mai comme date de la fête nationale a très souvent été à la base de nombreuses protestations des Camerounais de l’ancien territoire sous tutelle de la Grande- Bretagne, tout comme l’est le changement du nom de l’Etat intervenu en 1984.

 

L’appellation 5 République du Cameroun a été perçue par beaucoup comme le retour à la réalité étatique ayant existé entre le 1er janvier 1960 et le 30 septembre 1961. Mais en réalité, elle était la réponse du fils qui voulait tuer le père en lui, une sorte d’affirmation de son pouvoir. Ces deux événements ont systématisé sans le vouloir, la commémoration du 1er octobre, comme date d’indépendance dans les Régions actuelles du Nord-ouest et du Sud-ouest, en référence à la Réunification. C’est dans ce contexte qu’interviennent les événements d’octobre 2016 qui se sont mués en conflit armé entre les forces de défense et de sécurité et les sécessionnistes. Le Grand Dialogue National convoqué du 30 septembre au 04 octobre 2019, a abouti à certaines résolutions dont la lecture réconforte l’idée du paradoxe historique. Je prendrais volontiers celui de l’octroi d’un statut spécial aux Régions du Nord-ouest et du Sud-ouest et qui a même fait l’objet d’une loi votée à l’Assemblée Nationale. 

 

Dans l’article 62 de la constitution du 18 janvier 1996, il est reconnu qu’en fonction de leur histoire, certaines zones du Cameroun pourraient bénéficier de statut particulier. Il est clair que cette disposition visait principalement le NOSO. Cette précision est une reconnaissance implicite de la spécificité de ces deux Régions et partant la reconnaissance de la Réunification comme déterminant de l’histoire des un cinquième du territoire camerounais. Le statut spécial accordé au NOSO est le rappel de ce que l’avenir du Cameroun doit se jouer non pas dans le cadre d’une gestion d’un héritage historique linéaire, plutôt en accord avec les 

réalités d’une gestion hydride des politiques publiques. On pourrait imaginer la mise en évidence de la perspective d’un partage du pouvoir, pourquoi pas une alternance de celui-ci, sous la forme de gré à gré implicitement vécue entre 1961 et 1972 ? 

 

Le gré à gré comme forme d’alternance au sommet de l’Etat 

La Constitution du 1er septembre 1961 dans son article 9 disposait que le Président de la République le Vice-président de la République ne devaient pas être originaires du même Etat fédéré. Dans ce contexte, Ahmadou Ahidjo Président de la République Fédérale, avait pour Vice-président John Ngu Foncha. On s’aperçoit qu’au niveau du symbole, les entités impliquées dans la construction du Cameroun se sentaient toutes impliquées dans la gestion de l’Etat. Même s’il est légitime de s’interroger sur la substance des pouvoirs du Vice-président au regard de la plénitude de ceux du Président de la République, il est indiquait d’y voir l’affirmation d’un héritage commun.

 

Le plus important étant la représentation des Camerounais issus des deux rives du Moungo soient représentés au sommet de l’Etat, laissant libre court à toutes les formes d’aspirations et de combinaisons. Dans le contexte qui est le nôtre aujourd’hui, le retour vers cette forme de représentativité au sommet de l’Etat apparait nécessaire. Je dirais même que c’est un impératif catégorique. Dans ce sens, la constitution pourrait être modifiée en introduisant le poste de Vice-président. Le Vice-président et le Président seraient alors originaires de l’une et l’autre des entités qui constituaient jadis la République Fédérale.

 

Dans ce cas de figure, le poste de Premier Ministre disparaîtrait. Il ne serait donc pas surprenant que le Président Paul Biya ait l’autorisation, par la Constitution de nommer un Vice-président venant du NOSO. Ceci a l’avantage que le Cameroun cinquante-neuf ans après son acte fondateur, soit enfin dirigé par un Camerounais originaire du NOSO. Le discours du Chef de l’Etat, son comportement depuis le déclenchement de la crise dans le NOSO, la mise en perspective du Premier Ministre, sont des signes qui ne trompent pas. Le Cameroun est en route vers la réconciliation avec son Histoire. Car en tout état de cause, l’une des solutions le plus efficaces dans la guerre contre les sécessionnistes est l’alternance au sommet de l’Etat dans la perspective introduite dès le 1er octobre 1961.

 

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