Par le professeur Vincent-Sosthène Fouda, socio-politologue.
Contrairement à ce que publie le 25 novembre 2022 le quotidien gratuit 20 minutes, reprenant à son compte une désinformation du site en ligne Senenews du Sénégal, le domicile de la famille Embolo, dans la banlieue sud de Yaoundé, n’a jamais été attaqué. Breel Embolo est Suisse avec la famille camerounaise. De nombreux Camerounais qui évoluent dans des équipes autres que celle du Cameroun sont présents à cette Coupe du Monde. Ceci est la preuve qu’aujourd’hui, on ne peut plus contenir la jeunesse dans les sortes d’enclaves qui sont aujourd’hui devenues les pays. La jeunesse des pays du Sud est en mouvement perpétuel comme le sont les jeunesses d’Amérique du Sud, d’Asie et d’Europe. Une jeunesse en quête de découvertes qui s’
La Suisse est un pays de binationaux, le chiffre exact n’est pourtant pas connu
Une Suisse peut en effet se trouver en situation d’être en droit de bénéficier non seulement de la nationalité suisse, mais aussi d’une autre nationalité, du fait de sa filiation, de son lieu de naissance ou d’un lien matrimonial. Or, si la possession d’une nationalité implique des devoirs par rapport à son État d’appartenance, c’est surtout au moment des crises internationales graves et des guerres en particulier que la question de la loyauté vis-à-vis de l’ État s’est par le passé posé. En ce début de XXI e siècle, telle n’est heureusement pas la situation dans le monde aujourd’hui, tout du moins pour ce qui est des pays présents à la Coupe du Monde au Qatar.Instrumentaliser la double nationalité de Breel Embolo, braquer les caméras sur lui, mettre en doute, comme certains médias le font, sa fidélité à la Nation face au Cameroun, le désigner comme un Suisse pas vraiment comme les autres voire, un Camerounais pas non plus comme les autres, répond à une logique, une volonté d’assujettir le droit de la nationalité à des émotions. Ceci fait le lit des extrêmes droites dans le monde, ce qui nous le savons tous est extrêmement dangereux avec les dérives qui ne manquent pas d’en découler.
Une fois ce discours diffusé à dose homéopathique dans l’opinion publique par le canal des réseaux sociaux, la presse en ligne, des émissions de télévision à sensation, il est nécessaire de défendre une autre vision du droit de la nationalité qui donne au mouvement des populations d’un pays à un autre, d’un continent à un autre, son rayonnement : – Le droit de la nationalité et sa mise en œuvre doivent être exemplaires. L’octroi de la nationalité dans tout pays doit ainsi être fondé sur des critères objectifs, et non sur des considérations ad personam qui ouvrent la porte à l’arbitraire. L’ensemble de la procédure de naturalisation doit être revue pour la rendre transparente et intelligible en droit.– Le caractère inaliénable de la nationalité doit être affirmé, en ratifiant notamment la convention sur la nationalité du Conseil de l’Europe du 6 novembre 1997. – Le droit de la nationalité doit redevenir un instrument essentiel en faveur de l’intégration, en rompant avec la logique du durcissement régulier des conditions d’acquisition de la nationalité.
Le Cameroun et la double nationalité
Bien que faisant partie des signataires de la Convention relative aux droits de l’enfant, le Cameroun et le Congo RDC ne reconnaissent pas la double nationalité. Ils ne reconnaissent pas le droit pour l’enfant d’acquérir une autre nationalité (article 7 de la Convention.) Ainsi, lorsque les parents d’origine camerounaise choisissent, pour des raisons qui leur appartiennent, de prendre une autre nationalité que la Camerounaise , les enfants ne peuvent pas eux décider de garder ou de prendre à nouveau la nationalité camerounaise puisqu’ils l’ont perdu de fait, les parents ayant choisi une autre nationalité.La nationalité, comme nous pouvons le voir, est un sujet important non seulement par rapport aux conséquences qu’elle produit, mais aussi par rapport à ce qu’elle représente : elle est un élément à part entière de l’identité d’un individu . Elle l’individualise dans la société et le rattache à une Nation. La position du Cameroun repose sur un double postulat :
- L’allégeance à la Nation est inconditionnelle et absolue ;
– l’exercice des droits liés à une double nationalité relève d’une contradiction majeure qui entame la qualité de citoyen camerounais.
Ou, la tradition républicaine est toute autre. Ainsi que le soulignait Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS : « En cas de guerre, l’État peut déchoir tout citoyen de la nationalité française s’il sert une armée étrangère ». Autrement dit, la contradiction n’existe que dans la mesure où un ressortissant français sert dans une armée étrangère et que cette armée participe à des actes de guerre contre la France. Le Cameroun s’est aligné sur cette position française pour refuser la double nationalité avec cependant une nuance difficilement applicable. En effet, les femmes originaires du Cameroun ne perdent pas leur nationalité du fait du mariage tout comme les femmes étrangères sont de facto Camerounaises par leur mariage avec un Camerounais.Ceci n’est pas vrai pour les étrangers qui épousent des Camerounaises.
Le Cameroun a très souvent contesté la nationalité camerounaise de certains de ses ressortissants, mais pas leur camerounité ; ce fut le cas avec le romancier Mongo Beti quand il a décidé de se présenter aux élections municipales sur la liste d’un parti d’opposition. Ce fut aussi le cas pour Emmanuel Nkom, membre du comité central du parti au pouvoir à qui il n’a pas été possible de se présenter aux élections législatives en 2020. Nationalité, de ce fait à géométrie variable, à tête chercheuse ? Le flou a toujours « arrangé » les affaires de certains au détriment de la majorité. Breel Embolo comme Youssoufa Moukoko, comme Saliba, comme Kylian Mbappé auraient tous pu jouer pour le Cameroun.Cependant, pour que cela soit faisable, il aurait fallu effectuer d’autres démarches dont le chemin est sinueux.
Au Cameroun, si la décision est personnelle son application est politique
La décision de prendre une autre nationalité a toujours été individuelle et motivée par des raisons objectifs. Si par la suite, dans la tradition camerounaise, la compatibilité entre la nationalité camerounaise et une autre nationalité repose sur le fait que le Cameroun ne se perçoit pas en situation de belligérance envers d’autres États, l’application de la loi sur la nationalité s’est jusqu’à présent appliqué uniquement aux hommes politiques. Cependant, les 7 millions de Camerounais qui travaillent et vivent hors du Cameroun en sont victimes, condamnés à l’exil non seulement par le gouvernement de leur pays, mais également par plusieurs administrations de leur pays d’origine. Ainsi, Mongo Beti à son retour au Cameroun dans les années 90, après avoir été contraint à l’exil par les régimes qui se sont succédé au Cameroun, s’est vu traité de « proche du gouvernement », de « tourisme français » par la presse. Suivant le protocole consulaire de l’époque, il a dû s’engager à n’accepter aucun emploi au Cameroun ! Mongo Beti disait alors qu’être déchu de sa nationalité camerounaise c’était se voir relégué au rang de fantôme.
Conclusion
Breel Embolo est Suisse dans la liberté et la patrie suivant la devise de ce pays. Le caractère inaliénable de la nationalité doit être affirmé. Ergoter sur ce sujet relève d’une volonté manifeste des partis extrémistes de semer le doute non chez le activé, mais sur les voisins, ces hommes et ces femmes que l’on croise tous les jours et qui sont toujours tentés de vous demander votre origine quel que soit la langue que vous parlez et la couleur de votre carte d’identité. Etre de nationalité suisse n’a cependant pas été supprimée la camerounité de Breel Embolo. Le camerounais doit, de ce fait rendre la loi lisible et s’interroger avec pragmatisme sur le devenir des 7 millions de Camerounais qui vivent et travaillent hors du Cameroun.