PANORAMAPORTRAIT DÉCOUVERTE

Besoin d’argent? Bienvenue en «Argentine»

Dans le couloir rectiligne qui sépare plusieurs ministères au Centre administratif de la capitale, des pratiques usuraires font recette.

 

 

Ici, sous les ombres créées par de nombreux arbres, face ministère du Travail et de la Sécurité sociale (MINTSS) à Yaoundé, on serait bien passé à l’orée d’une thématique intéressante si on n’avait pas rencontré «Monsieur Jourdain» , ce 13 octobre 2022. Bien connu, l’homme est engoncé dans un vieux pull lustré par le temps. S’il a un développement physique normal pour son âge (la cinquantaine, selon des témoignages), ses gestes sont néanmoins assez incoordonnés et évoquent immédiatement une infirmité cérébrale, relativement légère. Cependant, « il parle bien ; c’est pour cela que nous l’appelons Monsieur Jourdain ici en Argentine », renseigne une vendeuse de bières. Reprenant cette dernière, l’intéressé s’applique aussitôt à dévoiler la structure du mot «Argentine». «Dans Argentine, dit-il, il y a argent». «Quand on parle d’Argentine, il s’agit d’un pays où les gens manient de l’argent », s’empresse-t-il d’expliquer. Au moment de répertorier quelques exemples, « Monsieur Jourdain » parle des « vendeurs d’argent ». « Ils sont nombreux ici ; ce sont eux qui gouvernent l’Argentine», tient-il à préciser.

 

« Aller en Argentine »

Au premier abord, voici une expression qui pourrait susciter des envolées joyeuses. Sauf qu’à écouter certains agents publics, les mots qui la complètent sont éclairés sous une seule facette. «Aller en Argentine, c’est aller chez les usuriers discrètement installés sous les arbres là-bas», renseigne un cadre en service au ministère du Commerce. «Vous savez, le quotidien des Camerounais est heurté de moments de précipices financiers. Alors, pour souder deux fins du mois, on est parfois obligé d’aller en Argentine, là-bas sous les arbres », complète un autre travaillant au ministère du Tourisme et des Loisirs. En clair, le lieu s’est discrètement inventé comme espace des avances d’argent minuscules comme de très gros crédits aux fonctionnaires exerçant dans la capitale. Investissement, mariage, enterrement, dette… En cas de problème financier, et avec un salaire jugé bas, plusieurs fonctionnaires « vont en Argentine ». « Nos revenus ne sont pas importants. Alors, lorsqu’un problème majeur intervient et qu’il faut y faire face, et s’occuper en même temps d’une famille nombreuse, évidemment que nous sommes tous exposés aux usuriers », explique Ambroise T., agent de l’État . « Mon problème est d’accéder facilement à l’argent quand j’ai des soucis, ce que les banques classiques ne permettent pas à tous les fonctionnaires », fulmine quelqu’un.

Au-delà, il y a d’autres enjeux : « soit que l’on risque de perdre son honneur et sa dignité, dans ces conditions, l’on est prêt à tous les sacrifices ; soit que l’opération que l’on veut traiter engendrera des bénéfices qui réduiront largement les intérêts à payer», déclinée Ambroise T.

 

« Argentiers des pauvres et des fauchés »

L’aura comprend : sous ces arbres, un circuit informel de l’argent tient une place. Ici, le manque de confiance ne permet pas toujours des contacts directs avec ceux qui ont de l’argent. Pour éviter des chausse-trapes, ils se servent d’intermédiaires discrets qui perçoivent au passage une double commission aussi bien du prêteur que de l’emprunteur. «Aller en Argentine» rend donc compte d’un commerce de fonds tenu par quelques argentiers. Au journaliste, leurs noms sont cités sous le ton d’une confidence. « Il y a Maradona qui peut vous avancer plus de 10 millions de FCFA ; il y a Messi qui peut vous prêter 5 millions FCFA ou plus», souffle un bon connaisseur du milieu. Face à nous ce 13 octobre 2022, Maradona se présente comme un ancien tenancier d’un kiosque à journaux. Officiellement (selon lui-même) retiré de cette activité, cet homme au sourire détouré et à la silhouette figée garde tout secret relatif à son statut d’argentier. Tout au plus, il emprunte à la diversion pour évoquer le nom qu’il doit du célèbre footballeur argentin. « On m’appelle ainsi parce que j’organise le jeu ici en Argentine ; je réorganise bien les fins du mois et les caisses des fonctionnaires qui sont en danger», se vante-t-il.

 

L’interprétation de fond vers laquelle conduit ce détail dévisage un homme à l’affût des « besoins » de plusieurs types de fonctionnaires : ceux tenus par des fins de mois difficiles, ceux devant régler sans tarder des problèmes tels que l’autre dette échue, cérémonies familiales imminentes non préparées ou imprévues, remboursement de deniers détournés, levée de marchandises périssables bloquées au port ou à l’aéroport, opération commerciale à très forte marge bénéficiaire. Auprès de cette clientèle, Maradona engage systématiquement de copieux bénéfices grâce à ses conditions draconiennes. Celles-ci, apprennent-on, vont de la cession volontaire de salaire à la mise en gage de bijoux (surtout chez les femmes) par engagement écrit dont la signature est légalisée ; en passant par le dépôt d’ un titre de propriété (titre foncier de préférence) assorti d’un acte sous seing privé dont la signature est aussi légalisée et dans lequel le montant de la dette est reconnu et la volonté de céder l’immeuble en cas d’impayé comporte. Des témoignages font état de ce que certains travailleurs ne connaissent plus la joie de percevoir leur salaire au guichet de certaines banques. Étant incapables de rembourser leurs créances dans les délais impartis, les débiteurs hypothécaires leur carte bancaire et sont parfois contraints de donner leur numéro de compte. Ils découvrent à la fin du mois qu’ils ont été dévancés par leur créateur au guichet. Des témoignages font état de ce que certains travailleurs ne connaissent plus la joie de percevoir leur salaire au guichet de certaines banques. Étant incapables de rembourser leurs créances dans les délais impartis, les débiteurs hypothécaires leur carte bancaire et sont parfois contraints de donner leur numéro de compte. Ils découvrent à la fin du mois qu’ils ont été dévancés par leur créateur au guichet. Des témoignages font état de ce que certains travailleurs ne connaissent plus la joie de percevoir leur salaire au guichet de certaines banques. Étant incapables de rembourser leurs créances dans les délais impartis, les débiteurs hypothécaires leur carte bancaire et sont parfois contraints de donner leur numéro de compte. Ils découvrent à la fin du mois qu’ils ont été dévancés par leur créateur au guichet.

À ce sujet, la réflexion de Messi est sans ménagement: «l’argent n’est pas stérile. L’argent fait immédiatement de l’argent. Pas besoin d’un cours magistral en économie pour le comprendre. Ici en « Argentine, tout prêt d’argent que j’engage doit me rapporter au moins 100% de bénéfice».  De la démesure dans les taux d’intérêt, Messi ne pense pas. Il invite plutôt à louer sa sagesse et son inventivité.  «À chaque crise ses profiteurs. J’exploite juste une situation créée par la baisse des salaires et l’inflation», brandit-il. En ce sens, notre interlocuteur estime qu’il y a mauvais calcul à « poursuivre ceux qui acceptent de jouer le rôle de banquier des pauvres». «Ce sont les fonctionnaires pauvres qui nous sollicitent. Et il faut comprendre que leur pauvreté découle souvent de leur incapacité à bénéficier des fruits de leur labeur, parce qu’ils n’ont pas le contrôle du capital. Les fonctionnaires pauvres servent, en fait, ceux qui détiennent ce capital. Non seulement ils n’en sont pas les héritiers, mais ils ne peuvent rien faire puisqu’on leur refuse l’accès au crédit. Au fil des années, on a fini par admettre comme une évidence l’idée selon laquelle on ne peut pas faire confiance aux pauvres en matière d’argent. Mais s’est-on jamais posé la question opposée, et bien plus fondamentale : les banques, elles, sont-elles dignes de confiance, à l’échelle humaine?», soutient-il.

En faisant valoir son profil d’ancien étudiant en sciences économiques, il n’attend pas qu’on lui pose la question pour expliquer : « Ce que nous faisons ici n’intervient pas en terrain vierge ; tout ce que nous faisons vient s’insérer dans un marché financier informel très actif, notre activité interagit avec les autres pratiques financières en vigueur, voire elle s’y substitue partiellement, parfois elle complète et renforce les pratiques existantes».

 Jean-René Meva’a Amougou 

Article Prochain : Le public des marchés publics

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