Beac/secteur extractif : Un mauvais compromis plutôt qu’un bon procès

La réglementation des changes s’applique dès ce 1er janvier 2022 à tous les secteurs. La Banque centrale a toutefois acté pour le secteur extractif, le principe d’un arrimage progressif, matérialisé entre autres par le reversement de 35% de recettes desdites entreprises dans les caisses de la Banque centrale.

Une vue des parties prenantes à la réunion de Douala sur la réglementation des changes.

La réunion tenue ce 17 novembre 2021 dans la capitale économique du Cameroun a regroupé autour du gouverneur de la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac) les représentants des entreprises du secteur extractif. Selon Abbas Mahamat Tolli, l’objectif de la rencontre était tout d’abord de rendre compte des résultats des deux années de discussions, d’échanges et de travaux entre la Banque centrale et les acteurs de ce secteur. Il était ensuite question de présenter à toutes les parties prenantes les évolutions envisagées pour assurer une application convenable de la réglementation des changes au secteur extractif. Enfin, la rencontre visait à réitérer aux principaux concernés l’application dès le 1er janvier 2022 de la réglementation des changes à tous les secteurs d’activité, y compris le secteur extractif.

Le gouverneur de la Beac évoque par conséquent la nécessité de se conformer aux très hautes instructions des chefs d’État de la Cemac. Une exigence en phase avec les intérêts des entreprises du secteur extractif, précise Abbas Mahamat Tolli En rappelant notamment au cours des échanges avec les acteurs du secteur extractif et les acteurs du secteur bancaire, que «l’objectif visé par la Beac dans le processus était et demeure l’application adéquate et harmonieuse de la réglementation des changes au secteur extractif, sans perturber ses opérations et tout en assurant un rapatriement des devises issues de ces activités».

Concession
Au vu de toutes ces considérations, le gouverneur de la Beac a une nouvelle fois fait une concession. Il a précisément indiqué que «les points de compromis aujourd’hui obtenus permettront à l’issue du moratoire qui a été accordé jusqu’au 31 décembre 2021, d’aller vers la conformité à ce dispositif, mais de façon progressive en ce qui concerne le secteur extractif».

Cette annonce résonne au demeurant comme un autre gage de bonne foi pour la banque centrale. Son patron se fait d’ailleurs fait le devoir de rappeler à l’intention de participants à la réunion de Douala un certain nombre de faits. À savoir notamment que «la Beac avait déjà prorogé à deux reprises la période transitoire de mise en conformité à la réglementation des changes pour les entreprises pétrolières et minières. Et que le dernier moratoire arrive justement à échéance le 31 décembre 2021».

Les grandes lignes, ainsi que les modalités opérationnelles de ce dispositif de mise en œuvre progressive ont été discutées avec les entreprises de ce secteur au cours du mois d’octobre 2021, à Washington, puis à Paris. Il en résulte au final que les entreprises du secteur extractif devraient «reverser 35% de recettes dans les caisses de la Banque centrale. Ce qui permettra à cette dernière de gonfler son montant de réserves et de pouvoir avoir un flux financier. Cela permettra également d’éviter la dévaluation», pense savoir Achille Tchuente, de Heli Union.

Dilatoire

Après deux années caractérisées par une application progressive de la réglementation des changes depuis son entrée en vigueur en mars 2019, le corpus réglementaire communautaire est enfin opposable à tous les secteurs d’activité. L’évolution prend effet à compter du 1er janvier 2022. Elle s’appuie notamment sur la volonté exprimée par les chefs d’État de la Cemac lors de leur Sommet extraordinaire du 18 août 2021. Elle constitue ces derniers mois le principal fil conducteur des discussions entre la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac) et les sociétés des secteurs extractifs opérant en zone Cemac. La dernière rencontre y relative a eu lieu ce 17 novembre 2021 à Douala.

Dans la logique de la sauvegarde de la stabilité de la monnaie commune, l’entrée en vigueur du nouveau corpus réglementaire en matière de change le 1er janvier 2022 marque aussi la fin du second moratoire accordé aux entreprises extractives. Elle induit en outre une nette augmentation des rapatriements et des rétrocessions effectuées par les établissements de crédit. La conséquence directe attendue est une évolution substantielle du niveau des réserves de la Cemac. Les avoirs en devises de la sous-région sont déjà passés entre 2018 et le 31 octobre 2021, de 3776,73 milliards FCFA à 4609,88 milliards FCFA (+22,06%). Ceci malgré les effets de la crise sanitaire sur les économies de la Cemac. Avec l’extension de la réglementation au secteur extractif, il est dès lors logique pour la Banque centrale d’en attendre encore davantage.

Diane Kenfack

Aménagements imminents

Ils sont la résultante de la prise en compte par la Beac d’un certain nombre de préoccupations formulées par le secteur extractif de la Cemac. Le but de la manœuvre est d’amener les entreprises concernées à s’arrimer en douceur au dispositif.

«Consciente de l’importance des entreprises pétrolières et minières pour les économies des pays de la Cemac qui devraient être les principales pourvoyeuses de devises, la Banque centrale a privilégié une approche concertée, de dialogue et de compréhension mutuelle», commence par souligner Abbas Mahamat Tolli. Pour le gouverneur de la Beac, le secteur extractif reste en effet incontournable pour l’économie de la sous-région. Il doit de ce fait contribuer autant que les autres secteurs à la constitution des réserves de change de la Cemac. La réglementation des changes est précisément là pour permettre aux entreprises de ce secteur de le faire tout en opérant sereinement dans l’espace communautaire.

La Beac a notamment souligné au cours des échanges de Douala, la place centrale du secteur extractif dans les stratégies de développement et le renforcement de la soutenabilité extérieure des économies de la Cemac. L’institution bancaire sous-régionale évoque par exemple les aspects liés au rapatriement et à la centralisation à la Banque centrale des devises, conformément à la réglementation des changes en vigueur.

Aménagements
L’approche et les nombreuses démarches du gouverneur de la Beac ont fini par porter leurs fruits. À en croire le communiqué final, les sociétés pétrolières et minières se «sont félicitées de la prise en compte de leurs principales problématiques en matière de détention et d’utilisation de comptes en devises à l’intérieur et hors de la Cemac, de déclaration et domiciliation des importations et des exportations des biens et services, de rapatriement des devises générées par leurs activités, et des fonds de remise en état des sites (fonds RES), ainsi que de paiement en devises de sous-traitants résidents et de transferts des revenus du travail du personnel expatrié».

Comme autre motif de satisfaction relevé, il y a également la mise en place prochaine d’un nouveau protocole de communication entre les entreprises pétrolières et minières d’une part, et les établissements de crédit de la Cemac d’autre part. Tel que présenté, il devrait permettre «des échanges fluides et continus qui seront indispensables à la résolution diligente de toutes les problématiques opérationnelles qui pourront se poser suite à la mise en application du dispositif à compter du 1er janvier 2022», apprend-on.

Toutes ces concessions et aménagements sont le résultat de plus d’une centaine de réunions et séances de travail tenues entre la Beac et le secteur extractif. Celles-ci avaient pour base de travail le règlement n°02/ 18/ Cemac/ Umac/ CM portant réglementation des changes dans la Cemac. Certaines rencontres ont souvent été élargies aux représentations diplomatiques, au Corporate Council on Africa et à la chambre de Commerce des États-Unis.

Diane Kenfack

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