CONTRE-ENQUÊTEPANORAMA

Axe Yaoundé-Malabo : Accrochages en suspension

Depuis octobre 2020, un engrenage de représailles et contre-représailles ne cesse de rythmer l’actualité entre les «deux cousins». Dans une espèce de guerre larvée, les deux parties évitent la diplomatie du panache et du verbe haut.

                                                                                        Paul Biya                                                  et                                                                    Obiang

 

Des lieux, des moments, des sujets, nombreux sont les éléments qui permettent de mesurer l’état actuel des relations et des oppositions, pas toujours des ruptures, entre Yaoundé et Malabo. Après la signature le 21 juillet 2020 d’un accord de coopération pour la sécurité à leur frontière commune, il y a eu normalisation sans chaleur entre le Cameroun et la Guinée Équatoriale. Conséquence: depuis plusieurs semaines, de part et d’autre, l’on assiste à un ballet de diplomates briefés à haute dose. Le 7 janvier 2021, Ferdinand Ngoh Ngoh a été reçu en audience au palais du peuple à Malabo par le président équato-guinéen Teodoro Obiang Nguema Mbasogo.

Au cours de ce voyage officiel, le ministre d’État, secrétaire général de la présidence de la République du Cameroun (SG/PRC)a tout fait pour minimiser les divergences entre son pays et la Guinée Équatoriale. «Je suis venu en qualité d’envoyé spécial de son excellence le Président Paul Biya auprès de son homologue et frère le Président Obiang, qui m’a fort bien reçu. L’objet de ma mission était de porter un message du Président Paul Biya à son frère et ami, le président Obiang Nguema. Un message qui a trait au renforcement des excellentes relations de coopération qui existent entre le Cameroun et la Guinée Équatoriale», a déclaré le SG/PRC à sa sortie d’audience. Si ces propos nous ont appris quelque chose, c’est précisément l’absence de détails. Il en est de même du tweet de Paul Biya le 22 décembre 2020. «J’ai reçu en audience ce jour le ministre d’État équato-guinéen chargé de l’Intégration régionale, M. Baltasar Engonga Edjo, porteur d’un message de fraternité du Président Teodoro Obiang Nguema Mbasogo», écrivait alors le président camerounais.

Stratégie contre posture
À décrypter le tout, Malabo et Yaoundé évitent toutes la diplomatie du panache et du verbe haut. «L’une des parties veut conduire une stratégie plutôt qu’adopter une posture. Le Cameroun espère que les querelles de souveraineté doivent être réglées par la diplomatie, non par la politique du fait accompli menée par la Guinée Équatoriale», analyse Belinga Zambo. Selon le politologue, si la référence à l’accalmie est abusive de part et d’autre, il n’en reste pas moins que la poussée de fièvre est réelle.

À en croire le quotidien Le Messager (édition du 22 janvier 2021), depuis octobre 2020, un engrenage de représailles et contre-représailles, ne cesse de rythmer l’actualité entre les « «deux cousins». Et le journal d’évoquer l’immobilisation, au large du Port de Malabo, du bateau camerounais baptisé «Dona Simoa» et la détention des membres d’équipage dans les postes de la gendarmerie équato-guinéenne. Selon nos sources, cette infortune découlerait du fait que Malabo revendique la quasi-totalité de l’espace maritime qui le sépare de son voisin camerounais. À Yaoundé, apprend-on, l’on répète chaque jour que la liberté de navigation devait prévaloir dans ces eaux stratégiques, où passent le transport de fret et d’hydrocarbures.

Et puis, il y a « l’affaire CCEI Bank ». Selon Jeune Afrique, depuis un certain temps, les relations entre le président Obiang Nguéma et le milliardaire camerounais Paul Kammogne Fokam n’étaient plus au beau fixe, le chef de l’Etat équato-guinéen ayant constaté un manque de «transparence sur les transferts entre CCEI Bank et la filiale camerounaise». Fort de ce constat, souligne le magazine panafricain, le président Obiang Nguema a, pendant un moment, envisagé une expropriation d’Afriland First Group sans la moindre compensation, avant de se raviser. «Le deal qui intègre également les 13% détenus par Afriland First Bank, filiale camerounaise du groupe, dans le tour de table de CCEI Bank Guinée Equatoriale, a été conclu depuis juillet 2020, pour un montant avoisinant 30 milliards de FCFA. Ainsi, l’État équato-guinéen, propriétaire de seulement 10% des actifs, monte à 76% dans le capital avec le départ du Camerounais, contre 15% pour des privés nationaux, et 9% pour le groupe Abayak, contrôlé par la famille Obiang Nguéma».

Jean-René Meva’a Amougou

 

Plafond de revers pour l’intégration sous-régionale

Depuis peu, les postes frontaliers entre le Gabon, le Cameroun et la Guinée Équatoriale sont traversés par des psychodrames qui empêchent de dessiner les logiques de la libre circulation des personnes et des biens.

 

On le sait, la situation très précaire au poste frontalier entre le Cameroun et la Guinée Équatoriale perdure depuis plusieurs mois. Nos sources à Kye-Ossi (Vallée du Ntem) indiquent qu’elle a culminé le 11 janvier 2021. «Ce jour-là, relate Jean Marie Zue Zue, la Guinée-équatoriale a décidé de fermer sa porte aux Camerounais». Pour le maire de Kye-Ossi, aucune explication n’a été fournie par les autorités de Malabo. Tout au moins, Lazare Fifen, homme d’affaires basé dans la ville, pense que les autorités équato-guinéennes veulent juste ostraciser la communauté camerounaise. Ces derniers temps, les rapatriés se comptent à la pelle, apprend-on. Ceux qui rentrent de Guinée Équatoriale valident que leur retour est synonyme d’incertitude, d’anxiété et d’exaspération, et l’avenir rarement synonyme d’espoir. Thaddée Essono (commerçant camerounais) attribue son «déménagement» à la valse d’anathèmes lancés contre ses compatriotes depuis que l’affaire CCEI Bank oppose les autorités équato-guinéennes à Paul Kammogne Fokam.

Blocus
S’appuyant bien sûr sur des référents antérieurs, Lazare Fifen admet aussi que le tassement de plusieurs points de divergence entre le Cameroun et la Guinée Équatoriale a fini par aménager la scène à de nombreux psychodrames. «Parfois, les marchandises sont simplement détruites ou confisquées; parfois aussi elles sont acheminées vers les marchés équato-guinéens mais le Camerounais propriétaire de la cargaison est bloqué par des brigadiers intransigeants», relate-t-il.

De l’avis de plusieurs autres expulsés, cette tension est générée par l’ouverture, dans l’espace public équato-guinéen, de nouveaux débats théoriques sur des objets comme «la nouvelle sécurité de 2021», scandée par les médias locaux. «Là-bas, situe Aïssatou Madjara, on veut surtout savoir qui est Camerounais ou Gabonais». La suite laisse deviner qu’à demi-mot, la presse occupe la première place dans la promotion de «la nueva seguridad», («la nouvelle sécurité», NDLR). Le dispositif, rapporte-t-on, s’ajuste uniquement sur les présences camerounaises et gabonaises. «Avec ça, Libreville aussi justifie la fermeture de sa frontière avec le Cameroun. Aucun Équato ne passe. On est tous bloqués!», jure Aïssatou Madjara.

Bobo Ousmanou

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