DOSSIERPANORAMA

‘’Nous avons accusé du retard du fait des complexités administratives’’

Mariam Haman Adama

120 millions de crédit, 24 millions d’intérêt à rembourser en six semestrialités avec deux mauvaises campagnes agricoles derrière nous, c’est inquiétant

Le Conseil régional des organisations paysannes de la partie septentrionale du Cameroun (Cropsec), première coopérative basée dans l’Extrême-nord du pays, sélectionnée pour bénéficier de l’appui du Projet d’investissement et de développement des marchés agricoles (Pidma, un projet du portefeuille de la Banque mondiale). Après trois ans d’expérience, sa directrice générale parle des obstacles rencontrés dans la mise en œuvre du projet, mais aussi de son impact sur les activités de la coopérative.

 

Quel est l’objectif du plan d’affaires que vous avez élaboré dans le cadre du projet Pidma ?

Il faut d’abord dire que Cropsec est une coopérative agricole faîtière spécialisée dans la production et la commercialisation du sorgho grain nettoyé. Nous sommes en partenariat avec le projet Pidma depuis 2014. Et dans le cadre de ce partenariat, nous avons entamé le développement de la chaine de valeur sorgho. C’est-à-dire augmenter la productivité et la production, assurer la collecte, le traitement et la commercialisation du sorgho aux agro-industries.

 

Quel impact après trois ans d’accompagnement par le Pidma ?

Avant la mise en œuvre du projet, nous utilisions du matériel végétal de mauvaise qualité. Maintenant, nous avons des semences améliorées, nous avons des engrais adaptés au sorgho. Du coup, nous sommes passés d’un rendement de 0,8 à 2 tonnes à l’hectare. En matière de commercialisation, le prix de vente de la tonne de sorgho est passé de 180 000 francs CFA à 206 950 francs. Voilà quelques indicateurs qui montrent vraiment qu’il y a évolution.

En plus, là où nous nous trouvons actuellement, c’est un peu de la débrouillardise avec une machine semi-mécanisée installée derrière nos bureaux. Dans l’avenir, nous allons rejoindre le site de Salak acquis grâce au projet. Là-bas, ce sera franchement une autre dimension de l’activité, plus moderne, plus professionnelle et plus rentable.

 

Au regard de l’impact que vous décrivez, le rythme d’adhésion à votre coopérative a-t-il changé ?

Dans toute chose, les débuts sont un peu timides. Mais en ce moment, c’est la bousculade parce que les retombées sont visibles. Alors, c’est à nous de faire une sélection assez rigoureuse pour ne pas accueillir des aventuriers.

 

On sait que dans le cadre de ce projet vous bénéficiez d’une subvention à hauteur de 50% de votre plan d’affaires grâce à un prêt de la Banque mondiale à l’Etat du Cameroun. L’apport de la coopérative est de 10% et les 40% restants sont financés par un prêt contracté par la coopérative auprès d’une banque commerciale, en l’occurrence la Bicec, dans votre cas. Quelles sont les conditionnalités de ce prêt bancaire ?

Le taux d’intérêt est de 12%. Personnellement, je trouve ce taux assez élevé pour une activité agricole comme la nôtre. Sur un crédit de 120 millions de francs CFA, nous allons payer 24 millions d’intérêts et le tout en six semestrialité alors qu’en principe, un prêt à l’investissement doit être remboursé sur le long terme.

En plus, du fait que la zone ait été déclarée zone rouge par la Beac, la banque a exigé un fond de «dépôt à terme» de 50% du montant du crédit sollicité, soit 60 millions. A la fin, la banque a en réalité accordé à la coopérative juste la moitié du prêt parce que l’autre moitié a été constituée en dépôt de garantie. C’est vraiment une énorme contrainte pour la coopérative.

 

Vous avez exprimé à la directrice des opérations de la Banque mondiale le souhait que le Pidma soit prolongé au-delà de 2019, sa date initiale de clôture. Qu’est-ce qui justifie une telle doléance ?

Nous avons pris un crédit pour acheter des machines. Et pour les rentabiliser, il faut un certain nombre de temps. Vous avez vu que nous avons accusé du retard dans le démarrage de l’usine du fait des complexités administratives liées à l’importation des machines. Nous sommes en 2018 et l’usine n’a pas encore démarré et pourtant, notre souhait est que nous puissions réaliser deux ou trois campagnes de production et de traitement avec la nouvelle unité aux côtés du Pidma avant que le projet ne prenne fin.

En plus, 120 millions de crédit, 24 millions d’intérêts à rembourser en six semestrialités avec deux mauvaises campagnes agricoles derrière nous, c’est inquiétant quand même…

 

Au-delà du Pidma, n’avez-vous pas l’accompagnement d’autres structures ?

Disons que nous avons toujours travaillé avec le ministère de l’Agriculture et du Développement rural. Nous avons d’autres partenaires comme la coopération belge au développement qui nous soutient beaucoup dans la formation des jeunes. En fait, nous avons un centre agropastoral qui forme, les futurs entrepreneurs agricoles (les futurs membres de Cropsec) pour pérenniser l’organisation.

 

Qu’attendez-vous des parlementaires que vous avez rencontrés dans le cadre de la session d’information organisée par la Banque mondiale ?

Je souhaiterais que les parlementaires considèrent la coopérative comme un moteur de développement local. Qu’ils nous aident dans notre travail de tous les jours. Qu’ils sensibilisent par exemple les populations à la base pour qu’elles se lancent dans la culture du sorgho qui est vraiment porteuse et sensibilisent l’administration afin que nos activités soient facilitées. A titre d’exemple, quand vous prenez un stock de sorgo à Kosa pour ramener à Maroua, la gendarmerie, la police et parfois la douane vous interpelle sur le contenu du chargement… Donc nous attendons des parlementaires qu’ils portent la voix de la coopérative au niveau des décideurs.

 

«Du fait que la zone ait été déclarée zone rouge par la Beac, la banque a exigé un fond de «dépôt à terme» de 50% du montant du crédit sollicité soit 60 millions. A la fin, la banque a en réalité accordé à la coopérative juste la moitié du prêt parce que l’autre moitié a été constituée en dépôt de garantie. C’est vraiment une énorme contrainte pour la coopérative»

Propos recueillis par

Aboudi Ottou

à Maroua

 Investissements

L’Extrême-nord, une priorité pour la Banque mondiale

Près de la moitié des projets du portefeuille de l’institution financière sont exécuté dans cette région.

 

Aujourd’hui, les projets financés par la Banque mondiale au Cameroun s’élèvent à plus de 1, 78 milliards de dollars US (950,52 milliards de francs CFA à la valeur du dollar au 09 mars 2018). Ce portefeuille est constitué de dix-sept projets nationaux et quatre projets régionaux, mis en œuvre sur l’étendue du territoire. Et neuf des vingt-un projets sont exécutés soit en partie, soit en totalité dans la région de l’Extrême-nord. Ce qui fait dire à Elisabeth Huybens, directrice des opérations de la Banque mondiale au Cameroun, que «la région de l’Extrême-nord est pour nous une région prioritaire dans notre engagement global pour la réduction de la pauvreté».

L’un des de objectif de stratégie pays de la Banque mondiale qui court jusqu’à 2021 est de «déjouer les multiples pièges à pauvreté dans les zones rurales, avec un accent sur les régions septentrionales». Avec 74% de la population vivant sous le seuil de pauvreté contre 37,5% au niveau national, l’Extrême-nord est la région la plus pauvre du Cameroun. La région est aussi, avec plus de 1,4 million de personnes souffrant de faim (33,7% des ménages), la plus touchée par l’insécurité alimentaire. Elle doit en plus faire face à nombre de défis : afflux de réfugiés, faible accès aux services de base, changements climatiques… C’est donc tout cela qui justifie, selon l’institution de Bretton Woods, son intérêt pour cette région. Trois projets en cours de formulation d’une valeur de 310 millions de dollars US (165,54 milliards à la valeur du dollar au 09 mars 2018) vont en partie être exécutés dans l’Extrême-nord.

AO

Portefeuille de la banque mondiale à l’Extrême-nord

 

Programme national de développement participatif (PNDP, 3e phase)

Objectif :appuyer le développement local et appuyer les communes dans la mise en œuvrede la décentralisation

Financement :194, 12 millions de dollars US

Date de clôture : avril 2020

 

  • Projet d’amélioration de l’équité et de la qualité de l’éducation (Paeque)

Objectif :améliorer l’équité et la qualité de la prestation des services d’enseignement primaire dans le territoire du bénéficiaire en mettant l’accent sur les zones défavorisées

Financement : 53 000 000 dollars US

Date de clôture :30 septembre 2018

  • Projet de renforcement de la performance du système de santé (PRPSS)

Objectif :accroître l’utilisation et l’amélioration de la qualité des services de santé avec un accent particulier sur la santé reproductive, maternelle, des adolescents et infantile, et sur les services de nutrition

Financement :125 millions de dollars US

Date de clôture :mars 2021

 

  • Projet filets sociaux

Objectif :appuyer la mise en place d’un système élémentaire national de filets sociaux, comprenant la mise en œuvre de programmes pilotes de transferts monétaires et de travaux publics ciblés destinés aux personnes les plus pauvres et les plus vulnérables des zones qui participent au projet dans le territoire du bénéficiaire

Financement :110 millions de dollars US

Date de clôture :2022

 

  • Projet d’urgence de lutte contre les inondations (Pulci)

Objectif :réhabiliter les principaux ouvrages hydrauliques et renforcer la préparation aux situations de catastrophe dans les zones cibles situées à l’Extrême-nord du Cameroun

Financement :108 millions de dollars US

Date de clôture :31 Mai 2018

 

  • Projet de développement des villes inclusives et résilientes (PDVIR)

Objectif :améliorer la gestion urbaine et l’accès à l’infrastructure dans des zones urbaines sélectionnées, en particulier pour les quartiers sous-équipés, et accroitre la résilience aux aléas naturels et autres crises éligibles

Financement :142.7 millions d’euros

Date de clôture :janvier 2024

 

  • Projetde reconstruction de la route Mora-Dabanga-Kousseri (205 km)

Objectif :renforcer les échanges, créer les opportunités d’affaires, fournir les services sociaux au bénéfice des populations riveraines

Financement :70 milliards de francs CFA

Date de clôture :mars 2020

 

  • Projet d’investissement et de développement des marchés agricoles (Pidma)

Objectif :soutenir la transformation d’une agriculture de subsistance du manioc, du sorgho et du mais, caractérisée par une faible productivité, en une agriculture commerciale s’appuyant sur des chaines de valeurs compétitives dans les cinq (5) zones agro-écologiques du Cameroun

Financement :100 millions de dollars US

Date de clôture :2019

 

  • Projet de développement de l’élevage (Prodel)

Objectif :améliorer la productivité de systèmes d’élevage ciblés, d’améliorer la commercialisation des produits issus de ces systèmes d’élevage, et de répondre rapidement et efficacement à une crise ou urgence éligible dans le secteur de l’élevage

Financement :100 millions US

Date de clôture :2022

Source : Banque mondiale

NB : Ces montants ne sont pas ceux investis à l’Extrême-nord pour les projets qui ne sont pas uniquement exécutés dans la région mais le financement global du projet. Nous n’avons pas pu isoler les fonds dédiés à l’Extrême-nord du financement global.

 

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