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Assassinat de Moumié à Genève : Le commanditaire court toujours

«Innocenté» par la justice suisse, l’espion français William Bechtel reste le suspect numéro 1.

Prix Moumié à Genève

«C’est lui!». En énormes caractères et photo à l’appui, un tel titre en grande une d’un tabloïde aurait certainement permis de sortir du labyrinthe des incertitudes pour découvrir une silhouette, celle de William Bechtel. L’homme qui, le 3 novembre 1960 à Genève (Suisse), empoisonna au thallium Félix-Roland Moumié. 60 ans après les détails connus du drame, le Cameroun et l’Afrique entière se les répètent en une litanie écœurante. 60 ans après, parcouru par une double inspiration, un grand reportage diffusé le 3 novembre 2020 sur les ondes de Radio France Internationale (RFI) soumet le drame à la critique et au questionnement: «France-Cameroun: comment le tueur de l’indépendantiste Félix Moumié a échappé à la justice?».

Galvaudage
Par les outils dont elle dispose, RFI offre une matière iconographique sans précédent avec, à la clé, des rapports obscurs et équivoques. Tout ici est, du moins dans les mots utilisés, de l’ordre de l’incroyable. William Bechtel, mort en 1990 «en toute quiétude à l’hôpital du Val de Grâce, comme de nombreux grands serviteurs de l’État français», n’a jamais répondu de ses actes. Selon RFI, cette mort est sans doute ce à quoi il faudrait prêter le maximum d’attention. En tout cas, dire que le prévenu était «présumé innocent» n’offre aucun sens, puisque s’il a été mis en examen, c’est bien parce qu’il est «présumé coupable».

«Hasard ou non? William Bechtel est finalement libéré sous caution en échange de 10 000 francs suisses. Son avocat, Marc Bonnant, n’a aucune peine à les rassembler. “Ses camarades, ses amis ont agi pour que m’afflue l’argent nécessaire, par l’intermédiaire de dizaines de donateurs anonymes”. La France a-t-elle payé? “La modestie des sommes rassemblées me donne à croire que ce n’est pas simplement l’État qui a signé un chèque, mais des particuliers suscités, mis en œuvre par l’État et par des solidarités de lutte et de combat”», relate Florence Morice, le reporter de RFI.

Et pourtant…
«L’accusation portée contre William Bechtel était d’avoir assassiné Moumié en tant qu’agent secret, et donc d’avoir agi sur ordre des autorités politiques françaises. Il s’agissait d’un assassinat politique», justifie l’avocat aujourd’hui. «Pasqua et Pandraud m’ont répondu qu’ils prenaient la mesure du problème et qu’ils feraient ce qu’ils avaient le pouvoir de faire et qui était légitime qu’ils fissent. Est-ce que cela s’est traduit par des interventions diplomatiques? Le dossier, en tout cas, n’en porte aucune trace», avance-t-il.

Un dossier dont la justice suisse a longtemps répondu, y compris à la veuve de Félix Moumié, qu’il était «introuvable», et dont elle affirme aujourd’hui qu’il a été «détruit il y a longtemps», à en croire le média français. Cette description détaillée permet de dégager, en creux, l’idée que le criminel est singulièrement différent d’un homme ordinaire et qu’il porte sur lui et en lui, la lourdeur de ses fautes et les traces de son crime, et que c’est bien le système colonial lui-même qui a été capable de produire ce qu’il a produit. À la manœuvre, des noms connus de la Françafrique: Valéry Giscard d’Estaing et Charles Pasqua.

Dans sa tonalité, le documentaire de RFI plaide pour un nouveau procès, après une procédure de révision. Celle-ci obligerait alors la justice à expliquer comment ont été comprises les charges, comment elles valent 60 ans après, et pourquoi une condamnation n’a pas été prononcée.

Jean-René Meva’a Amougou

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