Clichés d’une première édition censée remettre le savoir-faire sahélien en vitrine.
Stade Lamido Yaya Dairou sis au quartier Domayo (Maroua 1er), le soleil tape. Plus forte que les embruns, une odeur de sciure se fait sentir ici ce 29 mai 2023. C’est tout l’inverse des grands «shopping mall» à l’occidentale. D’où peut-être le choix du thème affiché en capitales à l’entrée : « le made in Africa : quels défis à l’ère des temps modernes » ? Ici, il n’y a pas de grandes enseignes de vêtement mondialement connues, ni de marques de joaillerie luxueuses ou encore de maroquinerie en vogue. Ici, c’est de la mode à la cosmétique en passant par l’alimentation. Ce sont des tissus wax, des colliers de perles, des bijoux faits d’argent ou d’or, des chaussures et sacs en cuir, des peintures sous verre, des livres reliés à la main, des objets de décoration, des gadgets traditionnels…
L’acuité du regard, l’intelligence des mains, le goût du travail abouti aujourd’hui, l’artisanat retrouvé ses lettres de noblesse, séduit et fait découvrir les charmes de ces métiers manuels où la créativité s’épanouit, mais où il faut, avant tout, apprendre à connaître et aimer le matériau. Il faut signaler la simplicité avec laquelle s’organisent les échanges et les rencontres. Avant d’acheter un article, ils peuvent suivre le processus de fabrication, de l’artiste aux finisseurs (ponceurs, ciseleurs, limeurs). Un spectacle unique où le client prend conscience du travail minutieux réalisé avant que le produit fini ne soit exposé en boutique. Accueillants et envieux de transmettre leurs connaissances, les artisans locaux proposent souvent d’entrer dans leur boutique, heureux de montrer le résultat de leur labeur.
Belle occasion
« Toit cela, c’est la première édition de l’AEM ici à Maroua. Elle se veut un grand symbole de la culture de l’art sur le continent africain », vantée d’emblée Jean-François Bikoy. Pour le promoteur de l’AEM, « c’est un hymne à la gloire de l’artisanat, un hymne facilité par la production locale de biens et une diversité opposée aux logiques marchandes lieux d’ailleurs. Dès lors, renchérit Shérif Mahamat (commissaire du site), « AEM, voilà un salon multisectoriel des innovations et des foires expositions/ventes ouvertes au monde. Il vise à créer un pont entre la culture et l’économie à travers l’artisanat d’art et la créativité et consiste à créer un marché à travers l’organisation d’une exposition-vente,
À en croire Shérif Mahamat, les superlatifs se superposent depuis le début de la crise sécuritaire récupérée par Boko Hram pour qualifier l’ampleur de ses répercussions sur l’activité artisanale. «Cette première édition de l’AEM marque le retour de l’espoir pour les millions d’artisans de toute la zone sahélienne qui n’ont que trop souffert des dures conditions imposées par la crise sécuritaire dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun, exacerbée par la crise sanitaire mondiale, due à la Covid-19. D’où l’occasion de montrer la capacité de résistance et de résilience des artisans des pays représentés, dit-il. « Et parce que la ville de Maroua s’évoque tel un signifiant pour l’imaginaire artisanal en Afrique centrale, nous avons voulu montrer qu’ils étaient de bons et vivants repères pour révéler les particularités de la sous-région. C’est une occasion pour nous de réaffirmer qu’il existe une économie créative et qu’il est possible de créer des exploits et de répondre aux besoins de la jeunesse par le truchement de cette économie. L’économie créative en tant que mouvement de transformation qui allie connaissance et créativité est une source de création de valeur et joue un rôle important dans le développement d’un pays», atteste Jean-François Bikoy.
Réflexion
Du 25 mai au 3 juin 2023, à Maroua l’imagination et la créativité d’environs 400 artisans et créateurs venus de plusieurs pays (Cameroun Sénégal, Nigéria, Tchad, Maroc, Côte d’Ivoire, Guinée Équatoriale, Burkina Faso, Bénin, Niger) se sont cotoyées. Abraham Ninko, le président du Comité d’organisation, révèle la base du concept : « l’Afrique présente un marché attractif et expansif pour les investisseurs à la recherche de nouvelles opportunités d’affaires. Elle doit travailler à s’intégrer davantage, à éliminer les barrières au commerce international et à pousser à la mise en place d’un système de paiements transfrontaliers plus sûr, fiable et efficace, qui approfondira l’inclusion financière et favorisera la croissance sur le continent. Lors de l’ouverture du Dialogue du secteur privé sur la zone de libre-échange continental africain (AfCFTA) à Nairobi, il a été établi que l’Afrique est un continent en croissance rapide et de plus en plus compétitif ; qui doit exploiter la promesse d’un commerce plus libre qui l’aidera à réduire la pauvreté et à renforcer les industries manufacturières, mais également son artisanat ».
À l’heure, actuelle dans le public autant que dans les milieux professionnels, les avis sont très partagés sur la question de savoir si l’artisanat sahélien, tel qu’il est compris et pratiqué aujourd’hui, répond aux exigences matérielles, ainsi qu’aux aspirations esthétiques modernes. À Maroua, on en a évoqué.
Sans trancher cette question avant de l’avoir examinée à fond, on peut affirmer cependant qu’en toute évidence, cet artisanat est, à l’époque présente, en complet désaccord avec l’esprit scientifique qui domine tout aujourd’hui et devrait arriver les artisans africains à rechercher des solutions franches et nettes pour les problèmes nouveaux.
Jean-René Meva’a Amougou, envoyé spécial
Oumrah Mati (artisan marocaine)
«Chacun transmet sa créativité»
Nous venons de Marrakech, une ville très ancrée dans la tradition. Chacun transmet sa créativité à la génération suivante et ceux qui l’apprennent l’utilisent pour créer de véritables industries culturelles. Nous les artisans de Marrakech ne sommes pas seulement les conservateurs de la tradition, mais des gens qui cherchent à enrichir leur patrimoine culturel et à s’adapter aux exigences de la société contemporaine. En effet, l’artisanat de Marrakech est très riche et vivant. Le bois, le métal, le cuivre, la laine, la pierre et l’argile sont utilisés depuis plusieurs siècles. Adaptée à la vie moderne, la production artisanale de Marrakech, tout comme ses traditions, offre une large gamme de produits allant de l’art du filigrane aux plus simples ustensiles du quotidien. Ici à Maroua, toute une palette d’artisanat marocain est à votre disposition, y compris des tapis qui sont sous les feux de la rampe dans les médinas. Des motifs originaux et complexes.
Fati Djeng (aerisan sénégalais)
«Devenir artisan ne s’improvise pas»
Vous souhaitez repartir avec des bijoux originaux faits à la main? Le stand du Sénégal regorgent de somptueux bijoux en argent, en or fabriqués par des artisans. Pour nous à cet AEM, nous sommes venus montrer que le Sénégal dispose d’une production d’objets artisanaux au style distinctif. Nous voulons aussi passer le message suivant: Il ne suffit pas d’être passionné ou habile de ses mains, devenir artisan ne s’improvise pas. Plus qu’une création plus moderne, les consommateurs recherchent une nouvelle relation au précieux: dans ces ateliers, le bijou devient une pièce unique, conçue par le créateur en fonction des attentes de son client.
Propos recueillis par JRMA