Archéologie, projets de développement et le « Vivre Ensemble » au Cameroun : l’exemple de Lom Pangar

Financé par l’Etat du Cameroun grâce à un prêt de l’Agence Française de Développement (AFD), un programme d’archéologie de sauvetage a été incorporé dans le Projet Hydroélectrique de Lom Pangar par Electricity Development Corporation Development (EDC) depuis 2014. Ses résultats renseignent sensiblement sur le passé d’une partie du Triangle National et peuvent raffermir et reconsolider la notion du « Vivre Ensemble ». Deux aires de rapprochement avec Lom Pangar ont été choisies dans l’espace chronologique situé environ entre 2500 et 2000 ans : la zone de forêt mixte du Centre-Sud et le domaine de la forêt équatoriale dense humide de la côte.

« Nation camerounaise » et Culture des fosses
Comme dans plusieurs zones du territoire camerounais, en particulier dans celles forestières et de transition forêt/savane, les premiers villages de Lom Pangar se caractérisent par la Culture des fosses. Il s’agit de structures en creux, dont la profondeur varie généralement entre 80cm et 3m, de diamètre en moyenne compris entre 80cm et 2m. Certes, le phénomène des fosses ne se limite ni au continent africain, ni à la sous-région de l’Afrique Centrale.

Il a été aussi observé ailleurs, dans d’autres continents (Europe, Australie, Asie, Amérique du Nord) et d’autres pays africains (Ghana, Nubie, Mauritanie, etc.)(1). cependant, la singularité des fosses du Cameroun (comme celles de l’Afrique centrale en général) réside surtout dans leur forme (cylindrique, en U), leur nombre important et leur fonction primaire qui demeure jusqu’à présent inconnue. Plusieurs hypothèses ont été émises : fosses rituelles, fosses-silos, fosses-latrines, etc.

Il a été toutefois établi que les fosses du Cameroun ont été secondairement réutilisées comme dépotoirs(2); d’où l’intérêt qu’elles suscitent pour les archéologues, la poubelle permettant très facilement de reconstituer les habitudes et la vie d’un individu.

Dans le cadre du Projet Lom Pangar, nous en avons dénombré plus d’une cinquante sur les berges du Lom, où elles apparaissent vers le IVe–IIe siècles avant Jésus-Christ (datations par le carbone 14) et perdurent jusque vers le Ie siècle Après Jésus Christ. Leur nombre élevé, leur taille (allant parfois jusqu’à 4m de profondeur) et surtout leur contenu constitué d’une abondante quantité de tessons de récipients en terre cuite (poteries), associés à quelques objets en pierre, attestent que dès le IVe–IIe avant Jésus Christ, la localité de Lom Pangar a abrité très probablement des populations qui semblent s’être déjà sédentarisées. En d’autres termes, ces populations étaient probablement déjà constituées en de « petits villages/hameaux » pratiquant peut être l’arboriculture (soins, entretiens et sélection pratiqués sur certains arbres utiles à l’homme).

Le cas de l’Élémier d’Afrique (ou Canarium) trouvé dans certaines fosses en est un exemple. La cueillette et les ramassages sont également des activités quotidiennes qui ont été conférées à ces populations. Mais ce sont surtout ces récipients en terre cuite (poteries) qui nous ont permis de caractériser la tradition des fosses de Lom Pangar: forme sphérique ou ovoïdale, bords arrondis, présence à la base de pieds annulaires et d’organes de préhension (permettant de les tenir). Ils sont aussi souvent richement ornés, avec des motifs (principalement tracés) très caractéristiques. La rareté de l’outillage en pierre dans ces fosses nous a amené à penser que la pierre n’était peut-être plus qu’occasionnellement taillée dans ces premiers villages. De même, la rareté des objets en fer dans la majorité des fosses témoigne peut-être de la pratique par ces premiers villageois « lom pangariens », mais de manière plus évidente de la connaissance, de la métallurgie du fer.

Tradition culturelle des récipients en terre cuite
À se référer aux études comparatives que nous avons amorcées, nous avons posé avec forte conviction que non seulement les fosses de Lom Pangar sont pareilles à celles des premières communautés villageoises contemporaines identifiées dans d’autres contrées du territoire, notamment du Grand Centre-Sud et de la côte, en termes d’usage secondaire (dépotoirs), de forme et de contenus, mais aussi les poteries qui y sont contenues présentent plusieurs points de ressemblances. Nous avons fait ces constats pour la zone de la Haute-Sanaga, explorée pendant le Projet du pipeline Tchad-Cameroun en 2001, en particulier sur les sites de Zili, Doumba, Nanga Eboko-Ville et Meyang.

Nous observons les mêmes convergences culturelles avec les premiers villages de la zone de Yaoundé, dont ceux du site d’Obobogo (banlieue sud de Yaoundé) découvert en 1944 par un administrateur colonial français (J. B. Jauze) et fouillé par le Pr belge Pierre de Maret entre 1980 et 1983 ; ou encore ceux du site d’Ezezang, décelé et fouillé dans le cadre du Projet du pipeline en 2002. Enfin nous avons fait les mêmes rapprochements avec les premiers villages de la côte camerounaise, particulièrement sur les sites de Bissiang, de Bwambé, de Malongo, etc. dans le Département de l’Océan.

En résumé, les 4 principaux phénomènes culturels qui semblent caractériser les premiers villages des régions de l’Est, du Centre-Sud et du Littoral camerounais paraissent être : la pratique des fosses, l’apparition de l’art céramique, du Canarium (à l’Est) et du palmier à huile (au Centre et au Littoral) signes probables de la pratique de l’arboriculture (présence du Canarium et du palmier à huile), et le recul du matériel en pierre qui caractérisait les chasseurs-collecteurs nomades de l’Âge de la Pierre.

Quoique contemporains de la période où le fer semble peut-être déjà connu dans la sous-région, comme certaines découvertes récentes (par exemple en République Centrafricaine) paraissent le montrer, aucune preuve n’a cependant jusqu’ici été trouvée, ni dans les fosses de Lom Pangar, ni dans celles des 2 autres aires de comparaisons. Cette dégénérescence des vestiges en pierre dans ces fosses nous a amené à supposer que ces communautés connaissaient certainement déjà ce métal (fer) dans leur culture, mais ne le fabriquaient très probablement pas encore.

Un Passé qui parle au Présent
Qu’est ce qui peut alors expliquer de telles parentés culturelles (et peut-être cultuelles) entre des groupes géographiquement si distants, il y’a environ 2000 ans ?
Il est plausible de présumer que dans l’espace chronologique qui se situe globalement entre au moins 500 ans avant Jésus Christ et 100/200 ans après, les communautés villageoises des actuelles régions de l’Est, du Centre-Sud et du Littoral atlantique du Cameroun aient entretenue de solides contacts et/ou d’échanges harmonieux, dans le cadre d’un « vivre ensemble » « primitif » propre à leur époque.

Des données récentes de l’ethnographie et de l’ethnoarchéologie africaine(3) attestent en effet que le style (culturel) d’une région peut changer, tant à la suite de simples échanges d’idées que de l’implantation d’artistes/d’artisans « étrangers », ou d’un phénomène de mode. Ainsi, avec des populations qui, par rapport à celles d’aujourd’hui, devaient certainement être plus en phase avec la nature (qui ne représentait certainement pas une barrière physique pour elles), le scénario que nous imaginons ici met volontairement en relief à la fois les mouvements de populations, les déplacements des techniques, les échanges (matrimoniaux, biens, etc.) et les emprunts transculturels qui eux, n’entrainent pas forcément les flux humains. Dès lors, l’on peut conjecturer que depuis des temps immémoriaux, sur de vastes territoires de ce qui deviendra plus tard Cameroun, il se soit réalisé des melting pot culturels et humains, pour des populations dont le but était certainement d’augmenter leurs capacités de survie.

Comment donc admettre que des Hommes anciens, d’il y’a 2000 ans, aient compris plus aisément ce qui, pour certains parmi les « modernes » que nous prétendons être aujourd’hui, relèvent encore de l’impossible: composer avec les différences, les cultures des autres, fondement de la vie sociale, condition de la cohésion d’une société dans un espace déterminé, le «Vivre ensemble»?
Toutes proportions gardées, Lom-Pangar apparait, aujourd’hui comme un registre paléoanthropologique et archéologique accompli, riche et témoignant de presque toutes les périodes du passé de l’Afrique et du Cameroun. Sur les cinq attestées dans la zone, seule la période dite de « Transition Âge de la Pierre/Âge du Fer » (souvent appelée aussi « Néolithique ») a été prise en compte ici.

Mais la finalisation, bientôt, des travaux de valorisation des travaux archéologiques de Lom Pangar (expositions, Bande Dessinée, etc.) prévus dans le cadre de la restitution des résultats et des collectes du Projet à l’état via le Ministère des Arts et de la Culture, permettra de préserver davantage cette MÉMOIRE COLLECTIVE. Source de COHÉSION NATIONALE, la Mémoire collective est hautement nécessaire dans le contexte sociopolitique trouble actuel, où des replis identitaires tendent à diviser classes politiques et entités ethniques.

Grâce à un Projet hydroélectrique, notre passé nous éclaire. Le présent doit s’instruire de ces lumières d’espérances que nous envoient nos lointains « ancêtres ». C’est aussi cela que peut apporter l’archéologie des projets de développement aux politiques.

Dr Bienvenu GOUEM GOUEM,
Archéologue, Chef de Mission archéologique
Projet Lom Pangar

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