Le pays de Paul Biya ne pourrait pas relever le défi de l’évaluation ciblée prévue dans 18 mois
Le 1er mars 2024, une décision du Conseil d’administration de l’ITIE depuis Oslo déclarait que, «conformément à l’Article 5 de la Section 4 de la Norme 2019 de l’ITIE, le Cameroun fait l’objet d’une suspension pour avoir partiellement respecté l’Exigence 1.3 relative à l’engagement de la société civile et d’autres exigences de la norme.» Dans ce rapport de la plus haute instance de surveillance de la transparence, la Validation a relevé l’existence de contraintes de la part du gouvernement sur la capacité de la société civile à s’exprimer et à participer librement au processus de l’ITIE ainsi qu’au débat public. Ces contraintes enfreignent le Protocole de l’ITIE (Participation de la société civile) et justifient la suspension du Cameroun jusqu’à sa prochaine Validation. Le gouvernement devra résoudre rapidement ces problèmes pour veiller à ce que la société civile puisse jouer son rôle dans la promotion de l’amélioration de la gouvernance des industries extractives et de la gestion des finances publiques.
Certes, un nouveau décret a été publié: le décret N°2024/ 00165/PM du 31 janvier 2024. Il semble indiquer des avancées relativement à la désignation par les pairs de la société civile de leurs représentants au groupe multipartite. Mais au regard de certaines de ses dispositions, l’on se demande si ce décret a fait l’objet d’une discussion et d’un consensus ou même d’un compromis au sein du Comité ITIE Cameroun. Le moment de sa publication (à la veille ou au lendemain de la suspension) en dit long sur les méthodes et pratiques qui ont cours au Comité depuis la conformité du Cameroun en octobre 2013, pour faire tourner le peuple en rond tout en recherchant des boucs émissaires.
Propension
En effet, le décret en vigueur vient confirmer la propension du Secrétaire Permanent à s’autonomiser du Comité voire à le subordonner. Ce qui est un handicap réel à la performance de l’ITIE au Cameroun. Ce décret n’améliore pas la situation. Il ne pourra aucunement faire évoluer la gouvernance du Comité. En plaçant le Secrétariat Permanent directement sous le Ministre des finances, Président du Comité, qui le nomme (Article 9 et 12), le Comité perd tout contrôle sur son travail et l’on peut comprendre pourquoi les décisions prises peuvent ne jamais être respectées ni exécutées tant qu’elles ne vont pas dans le sens souhaité par l’occupant du poste de Secrétaire Permanent.
Disposition
Au demeurant, aucune disposition du décret ne montre en quoi et comment le Secrétariat Permanent est comptable devant le Comité, ni ne donne la possibilité à ce dernier d’évaluer le Secrétaire Permanent. Par voie de conséquence, le Secrétaire Permanent n’est pas tenu de s’exécuter devant le Comité. Une telle situation déjà vécue par le passé (référence faite à l’adoption du plan de travail, du plan de communication et du suivi des recommandations de l’administrateur indépendant en charge de la conciliation des données et des chiffres) va continuer de rendre la société civile coupable de complicité devant la faible performance de l’ITIE. Surtout si celle-ci ne saura pas faire corps pour lever le véto en se désolidarisant ouvertement et publiquement, sur une base factuelle, de la contre – performance du groupe.
Faut-il encore rappeler que pour un processus tripartite comme l’ITIE, l’efficacité du Comité est intrinsèquement liée à la confiance que témoignent toutes les parties au Secrétariat Permanent? Si donc le Secrétaire Permanent n’est pas redevable vis-à-vis du Comité, comment cette confiance adviendrait-elle lorsque le décret porte les germes d’une tendance accrue à l’affranchissement, la superposition des postes et l’augmentation des effectifs et au cumul des fonctions? N’a-t-on pas dans la précipitation induit le Premier Ministre à signer un décret qui enfonce davantage le Comité ITIE Cameroun en renforçant l’inertie du Comité?
Notre expérience en tant que ancien membre du Comité ITIE suggère de reconnaître que le Comité ne peut être efficace que si le Secrétariat permanent est occupé en plein temps par un personnel que le Comité doit évaluer en commençant par le Secrétaire Permanent. Sans cette possibilité, les mêmes habitudes vont s’installer, surtout si les mêmes acteurs actuels sont maintenus.
Au regard de ce qui précède, et sans être un prophète de malheur, il sera très difficile pour le Cameroun de travailler à lever sa suspension à court terme.
Dupleix Kuenzob
COPIL Provisoire Plateforme OSC-ITIE Cameroun
Secrétaire Exécutif, DMJ