Annulation de la dette: sortir de l’utopie, travailler à un rééchelonnement efficace!

Non, les créanciers des pays africains ne sont pas des philanthropes! Les pays d’Afrique doivent écarter le scénario d’une annulation de leurs dettes.

C’est une utopie de revendiquer cette éventualité dans une globalisation aussi financiarisée. Dans son article «Qui doit payer l’ardoise des dictateurs?», Jean Merckaert prévient «qu’ils [les États] n’attendent aucune commisération de leurs créanciers. Les conflits liés à la dette des États se règlent selon la loi de la jungle».

Pour Joseph Stiglitz (prix Nobel d’économie), «le prêteur est [plus] coupable que l’emprunteur, car il est censé savoir analyser plus finement les risques».

Engagés dans des programmes d’émergence économique, les pays d’Afrique n’ont pas intérêt à trahir la confiance des prêteurs et de se priver de tout financement extérieur. L’isolement financier constituerait des représailles aux conséquences fâcheuses et douloureuses.

Equation
De nombreux pays africains étaient en crise de la dette avant le début de la crise du Covid-19. Beaucoup d’autres sortiront de cette crise avec des dettes insoutenables encore plus élevées. Car pour l’essentiel de ces pays, la résilience aux effets humains, financiers et socioéconomiques est financée par une autre dette contractée auprès des bailleurs. La dette publique moyenne des pays africains était passée de 38 à 56% du produit intérieur brut (PIB) du continent, citant les perspectives économiques pour 2020 de la Banque africaine de développement (BAD). Et la BAD s’alarme d’autant plus que les taux d’intérêt s’envolent: de 4% en 2013, ils sont passés à 12% en moyenne quatre ans plus tard. Ce qui augmente considérablement le cout de remboursement des emprunts.

À titre d’exemple, en 2020, l’Égypte devrait rembourser 100,8 milliards de dollars, soit 40% de son PIB; le Nigeria, 47,2 milliards, soit 10% de son PIB, et Madagascar 1,6 milliard seulement, mais qui pèse 10% de son PIB. L’Organisation des Nations unies (ONU) estime à 236 milliards dollars le montant qu’il faudrait apporter pour réduire ce fardeau des pays africains. Cette enveloppe ne prend en compte que les pays pour lesquels nous disposons de statistiques.

Autre situation, le report des échéances de paiement de la dette pour l’année 2020 va assurément agglutiner les échéances de remboursement sur les cinq prochaines années. D’où l’impérieuse nécessité de travailler dès maintenant à une restructuration plus efficace et plus équitable de la dette sur 5 ans.

Rééchelonner
La période post-Covid-19 sera assurément consacrée à la gestion d’une crise économique sans précédent. Pour les pays africains, il faut éviter la crise financière. Notamment la crise de l’endettement et la crise des parités monétaires du fait de l’érosion des avoirs monétaires extérieurs (réserves).

Anticiper la crise de la dette post-covid19, c’est travailler à négocier dès maintenant, et pour les 5 prochaines années, des remises d’échéances de dettes. Là est le véritable salut de l’Afrique et des autres pays du Sud.
Confiné à Addis-Abeba la capitale d’Éthiopie, et pragmatique comme à son habitude, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed Ali a appelé à l’annulation d’une partie de la dette des pays les plus pauvres, et à la transformation du reliquat en emprunts à long terme, avec un faible taux d’intérêt, et dont le remboursement ne démarrerait qu’au terme d’une «période de grâce» de 10 ans. Il a également appelé à limiter le paiement de la dette à 10% des exportations.

Monnaie d’échange
La générosité des partenaires de l’Afrique n’est pas sans intérêts. La Chine, qui détient le tiers de la dette africaine, pourrait se servir de cette opportunité pour s’arroger de nouveaux accès privilégiés aux ressources africaines, notamment les matières premières. Elle pourrait amener les pays africains à importer davantage de Chine.

Pour l’Europe, notamment la France, qui s’est constituée en paraclet du continent africain auprès du G7 et du G20, la conclusion de plusieurs accords de partenariat et l’ouverture des voies commerciales pour les entreprises seraient des options de gains. D’autant plus qu’il faudra relancer l’économie, la production, l’emploi, dès les premières phases de déconfinement. L’Union européenne pourrait d’ailleurs en profiter pour contenter politiquement certains courants, en sollicitant une action contre l’immigration irrégulière et même régulière.

Bref, pacta sunt servanda!

Zacharie Roger Mbarga

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