En octobre 2016, la Banque européenne d’investissement a ouvert un bureau régional pour l’Afrique centrale à Yaoundé au Cameroun. Objectif : «se rapprocher de ses clients, actuels et potentiels, et de ses partenaires dans la région, ainsi que de la délégation de l’UE». Qu’est-ce que ce rapprochement a eu comme conséquence sur l’investissement de la banque? Le chef de bureau Afrique centrale répond à cette question.
La Banque européenne d’investissement (BEI) est active en Afrique centrale depuis 1965. Et à ce jour, elle a investi 853 milliards de francs CFA dans 130 projets distincts soit en moyenne 16,4 milliards de francs CFA chaque année. Lors de la réunion des ordonnateurs nationaux et régionaux du Fonds européens d’investissement de l’Afrique centrale, tenue le 07 avril dernier à Yaoundé, le taux d’investissement de la BEI dans les pays de la sous-région a été jugé «très bas, à l’exception du Cameroun où plusieurs projets ont été financé ou sont en cours de financement sur la FI (Facilité d’investissement) dans le secteur de l’énergie, du transport et de l’agro-industrie». En effet, sur les 853 milliards déjà investis en Afrique centrale, le Cameroun a consommé seul, près de 340 milliards soit près de 40% de l’enveloppe.
Deux principaux obstacles se dressent face aux acteurs économiques de l’Afrique centrale qui souhaitent recourir au financement de la BEI: le niveau élevé du montant planché de 5 millions d’euros exigé pour les projets soumis à la Facilité d’investissement, le principal instrument de financement du secteur privé et la difficulté de montage des projets bancables et rentables avec les garanties nécessaires. Ces deux obstacles sont le fait de l’environnement dominé en Afrique centrale par une économie informelle et des PME jeunes et fragiles. Cela se traduit d’ailleurs par le fait que la plus part des projets financés par BEI ont été présentés par les gouvernements ou les entreprises parapubliques.
Face à ces difficultés, la BEI ne semble pas encore avoir trouvé de solutions plus d’un an après l’installation d’une représentation régionale en Afrique centrale. Le chef de bureau Andrea Pinna n’a d’ailleurs pas souhaité s’attarder sur la question de mêmes que sur plusieurs autres préoccupations similaires comme celle de savoir comment faire pour que la sous-région tire au maximum profit du plan d’investissement extérieur de l’Union européenne nouvellement lancé. L’interview qu’il nous a accordée vaut néanmoins le détour. Car elle éclaire notamment sur le rôle que va jouer la banque dans la mise en œuvre de cet ambitieux plan qui vise à drainer vers l’Afrique et les pays du voisinage de l’UE près de 29 000 milliards de francs CFA d’investissement en trois ans, sur les investissements futurs de l’établissement et sur les instruments financiers en vigueur au sein de l’institution bancaire.
La Banque européenne d’investissement (BEI) a ouvert un bureau régional Afrique centrale à Yaoundé en octobre 2016. Un an après, ce rapprochement a-t-il permis d’améliorer votre portefeuille clients?
L’ouverture de la représentation régionale à Yaoundé a rendu plus étroit le dialogue avec le gouvernement, les entreprises et ses partenaires habituels, et permettra à la BEI de se placer en meilleure position pour offrir ses financements pour de nouveaux projets. Le bureau de la BEI est situé à l’intérieur des locaux de la délégation de l’Union européenne. Cette colocation symbolise l’étroite collaboration qui existe entre l’Union européenne et la Banque européenne d’investissement, étant entendu que la BEI est aussi reconnue comme étant la banque de l’Union européenne.
La BEI explore le potentiel du Cameroun aussi bien dans le secteur public que privé. D’ailleurs, en guise d’illustration, depuis le début de l’année 2017, le bureau régional de la BEI a facilité la visite de 11 missions d’experts au Cameroun (la dernière mission pour l’année en cours se tiendra avant fin décembre 2017, et permettra d’évaluer le projet Camwater déjà financé en 2009). Le bureau de la BEI a également organisé une table ronde sur le financement des start-up et PME (en février 2017) ainsi que 2 forums d’échanges d’experts sur la filière coton (en mai et septembre 2017).
Quelle est la valeur actuelle de ce portefeuille et quels sont vos objectifs à court, moyen et long termes ?
Le Cameroun est un partenaire de longue date de la BEI, avec une première opération signée en 1965. La BEI a signé à ce jour des opérations au Cameroun pour un volume total de 519 millions d’euro (près de 340 milliards de francs CFA), dans tous les secteurs. Les derniers projets signés au Cameroun sont dans le secteur de l’eau (Camwater, signé en 2009 en cofinancement avec l’Agence française de développement) et dans le secteur de l’énergie (barrage hydroélectrique de Lom Pangar et centrale à gaz de Kribi signés 2012, en cofinancement avec plusieurs bailleurs de fonds). Des lignes de crédit ont également été accordées à plusieurs institutions financières et microfinances locales pour le financement des projets de petites et moyennes entreprises. En 2016, la BEI a financé le projet Africa Mobile Network, qui consiste à l’achat et l’installation d’équipements pour étendre la portée des services de télécommunication mobile aux communautés rurales non desservies par un opérateur.
En termes de perspectives, la BEI entend se positionner dans le projet du barrage hydroélectrique de Nachtigal aux côtés d’autres bailleurs de fonds, également dans le Plan directeur électrification rurale, dans les voies de contournement de Yaoundé ainsi que dans le projet de réhabilitation Pangar-Ngaoundéré. Le refinancement du Capex d’Eneo est aussi en étude. En ligne avec les objectifs de l’Accord de Cotonou, la banque envisage également d’intensifier le financement du secteur privé (SMEs et corporates) ainsi que les infrastructures de base indispensables à l’essor du secteur privé. Un des projets les plus innovents, c’est Boost Africa, une initiative conjointe entre la BEI et la BAD qui vise à promouvoir l’entrepreneuriat et l’innovation en Afrique d’une manière commercialement viable. Plusieurs des projets de la BEI bénéficient d’une subvention de la Commission européenne. Le mélange de ses prêts avec des subventions de la Commission européenne permet à la BEI de fournir des financements très attractifs pour le développement durable du Cameroun.
En avril dernier, il est apparu lors de la réunion des ordonnateurs du Fonds européen d’investissement (Fed) de la sous-région Afrique centrale que la BEI disposait de plusieurs instruments de financement du développement (Facilité d’investissement du 11e Fed, Fonds fiduciaire pour les infrastructures en Afrique…) peu connus. Afin que nul n’en ignore, pouvez-vous sommairement présenter ces différents mécanismes de financement?
En plus de fournir des prêts souverains, la BEI peut accorder des prêts à de grands projets, à des entreprises et à des banques (lignes de crédit). Mais la palette d’outils de financement de la BEI est plus vaste que cela. Nous pouvons fournir des prêts en monnaie locale dans certains pays (y compris le Cameroun); mobiliser des subventions d’investissement pour des projets ayant un impact social ou environnemental élevé; fournir et / ou mobiliser des subventions pour la préparation de projets et le renforcement des capacités; financer de projets à haut risque et à faible rendement ayant un impact social élevé; fournir des garanties; des prêts subordonnés et, à titre exceptionnel et des participations dans des fonds d’investissement.
On sait que l’Union européenne vient de lancer un plan d’investissement extérieur qui vise à mobiliser 44 milliards d’euros d’investissement à destination de l’Afrique et des pays voisins de l’UE d’ici 2020. Quel rôle va jouer la banque dans la mise en œuvre de ce plan?
Le plan européen d’investissement extérieur représente un grand potentiel pour concrétiser davantage l’action commune de la BEI et l’Union européenne et faire une différence matérielle dans la vie de beaucoup en stimulant les investissements en Afrique. En collaboration avec nos institutions financières partenaires européennes, la BEI s’engage à en faire un succès. Le plan pourrait être un ajout complémentaire important à la boîte à outils du financement du développement de l’UE en Afrique. Il s’appuie sur le succès du plan d’investissement pour l’Europe au sein de l’Union (dans lequel la BEI joue un rôle central) et permettra de contribuer encore mieux au développement durable de la région y compris et particulièrement celui du secteur privé.
Vous avez récemment effectué une mission conjointe avec l’ambassadeur- chef de délégation de l’Union européenne au Cameroun à Kribi (centrale à gaz et au port autonome), à Douala (sortie est et ouest, chantier du pont sur le Wouri et port autonome), à Tiko (CDC et BPL) et à Njombé (PHP). Quels sont les premiers enseignements tirés de cette mission?
Du 30 novembre au 03 décembre 2017, avec le chef de la délégation de l’UE, l’ambassadeur Hans-Peter Schadek, nous avons entrepris une mission conjointe de diplomatie économique européenne au Sud Cameroun. L’objectif de la mission était de visiter les projets et programmes d’infrastructures bénéficiant des prêts BEI et / ou du soutien de l’UE, ainsi que d’aider le Cameroun à développer un secteur privé dynamique et construire une infrastructure moderne. La mission a aussi offert l’opportunité d’explorer les possibilités d’activités opérationnelles conjointes BEI-UE à l’avenir. La BEI serait intéressée à poursuivre son partenariat avec les opérateurs du secteur privé et public au Cameroun, y compris dans le secteur de l’agro-industrie (banane, mais aussi coton dans le Nord), les infrastructures portuaires de Kribi et de Douala, la Phase 2 de l’entrée-Est de Douala etc.
Interview réalisée par Aboudi Ottou