Amadou Vamaoulké: « le Consupe n’a pas indexé ma gestion »

Monsieur le Président de la Collégialité,
Madame, Messieurs les Membres de la Collégialité,
Mesdames et Messieurs,

Recevez mes salutations déférentes et cordiales, et soyez remerciés d’avance pour l’attention qu’il vous plaira de m’accorder en ce moment particulièrement important de ma vie, au terme d’un voyage judiciaire anormalement long, éprouvant et surréaliste. Je crois que le temps des argumentations, juridiques, judiciaires ou simplement de logique pure est passé. Mesdames et Messieurs, Le septuagénaire que je suis – j’aurais 73 ans en Février prochain – voudrait plutôt partager avec vous le sentiment qui m’habite après toutes ces péripéties que j’ai vécues comme une véritable mise à mort – on dira à mort lente -, et je n’exagère pas. Car si d’éminents médecins vous diagnostiquent une maladie qu’ils qualifient de sévère et vous prescrivent des soins appropriés sous peine de paralysie, et que le tribunal, sollicité, rejette votre demande de liberté provisoire avec le motif lapidaire et peut-être méprisant de «demande non fondée», qu’allez-vous comprendre par là? Moi j’ai compris que cela veut dire: «Crève si tu veux». Donc, la mise à mort qui est bien distincte d’une condamnation à mort fait partie des choses que le Tribunal s’autorise.

Quand j’ai reçu cette réponse catégorique, j’ai pensé à ce détenu de mon quartier dont le médecin avait demandé le transfert à Douala, pour recevoir des soins de radiothérapie, non dispensés à Yaoundé. Refus catégorique. Le détenu en question est mort. Moi, Dieu merci, je ne suis pas encore paralysé, grâce à un traitement par un tradipraticien, mais l’insensibilité de ma plante des pieds persiste.

Le sentiment qui m’habite est un sentiment de dépit et de profonde incompréhension. Suis-je encore un authentique citoyen de ce pays? Ou un paria sans protection que l’on peut priver de liberté parce qu’on l’a décidé et mis en œuvre en utilisant les rouages de l’Etat ?

Et cet Etat, est-il toujours le protecteur de tous?

Dois-je admettre aujourd’hui que dans mon pays, personne n’est à l’abri d’une insécurité judiciaire quelles que soient les précautions qu’il peut prendre pour mener une existence tranquille, animé par le seul désir de guider sa famille, et d’être utile à sa communauté qu’elle soit restreinte ou élargie?

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,

Vous ne pouvez pas imaginer quelle épreuve humaine constitue le fait d’être projeté, brutalement, dans un tourbillon d’activités agressives, de calomnies abjectes colportées par des médias commandités, alors que vous croyiez être à la fois un homme honnête, et un honnête homme, les deux expressions n’étant pas équivalentes. Et quelle stupéfaction et déception de découvrir que les acteurs de ce déploiement diabolique en question sont actionnés par des personnalités insoupçonnées, des membres du Gouvernement étant du nombre. Et lorsque, contre toute-attente, vous vous retrouvez dans la destination finale de la mise en scène, la prison, vous croyez vivre un cauchemar. La prison? Mais pourquoi? Je n’ai jamais eu la réputation d’un gestionnaire indélicat, au contraire. Je crois même savoir que c’est ma probité reconnue qui a été déterminante dans ma nomination à la tête de la Cameroon Radio and Television (CRTV). Les journalistes qui ont travaillé sous mon autorité quand j’étais Rédacteur en Chef de Cameroon Tribune, il y a 40 ans, peuvent se rappeler que j’étais intolérant à la pratique du «gombo», alors embryonnaire. A l’Imprimerie Nationale, j’avais créé, d’initiative, avant même que cette pratique ne soit imposée par l’Etat, une commission des marchés quand il fallait acquérir des équipements, dans laquelle j’impliquais les techniciens des autres imprimeries (CEPER, SOPECAM) pour être certain de choisir la meilleure offre. Un rapport de la Commission Financière dont le Président est aujourd’hui Magistrat à la Chambre des Comptes avait ces mots pour clôturer son rapport: «On peut conclure à une gestion sereine de l’Imprimerie Nationale».

Comme beaucoup le savent, je m’étais volontairement éloigné des emplois étatiques depuis une dizaine d’années, lorsqu’on me sollicita pour diriger la CRTV. Ce qui est peu connu, c’est que je n’ai accepté l’offre qu’après une longue hésitation, ayant une idée des difficultés immenses que traversait cette entreprise.

Cette acceptation n’avait été déterminée que par mon désir d’être utile à mon pays, et, d’avantage, par l’honneur que j’éprouvais à être choisi par le Président de la République. Le challenge était immense: presque tous les émetteurs étaient essoufflés, les images étaient invisibles dès qu’on sortait de Douala. Les villes de Ngaoundéré, Garoua, Maroua, Yagoua, Abong-Mbang, Kribi, Ebolowa et d’autres n’étaient pas couvertes. Il n’y avait que deux (02) bancs de montage à Mballa II, moins de six (06) cameras fonctionnelles (on utilisait des cameras amateurs qu’on louait à des privés. Les véhicules de reportage manquaient et les journalistes empruntaient des taxis, ou sollicitaient les créateurs d’évènement qui leur envoyaient une voiture. Les émissions de la télé s’arrêtaient à minuit parce qu’il n’y avait pas assez de programme, des rediffusions étaient programmées plusieurs fois dans la semaine. Toutes ces tares qui faisaient de la CRTV le dernier de la classe, surtout à Douala, à force de discipline personnelle et d’implication de toutes les compétences, ont été jugulées.

Mais qui se souvient aujourd’hui de ces péripéties? Qui se souvient des résultats probants qui ont été obtenus alors que les ressources provenant de la Redevance Audiovisuelle, qu’on me reproche d’avoir gonflées, ont diminué de 40%. C’est comme si un employé gagnant 100 000 Francs CFA par mois apprend qu’il n’a plus droit qu’à 60 000 Francs CFA. Il faut évidemment un miracle pour qu’il se nourrisse normalement, paye son loyer, ses factures, eau et électricité etc. Eh bien, ce miracle, nous l’avons réalisé en veillant à la qualité de la dépense, en accordant la priorité à la production, en décentralisant les budgets au maximum, et en nous assurant que les postes étaient occupés par ceux qui le méritaient, qui étaient choisis après appel à candidatures. C’est dans cet environnement que j’ai renoncé au salaire de Huit Millions neuf cent mille (8 900 000) Francs CFA par mois pour me contenter de Trois Millions Six Cent Mille (3 600 000) Francs CFA, avec l’accord du Chef de l’Etat, créant un tollé que je ne m’explique toujours pas.

Pour les onze (11) années que j’ai passées à la CRTV, cela fait plus de Six Cent Millions (600 0000 000) Francs CFA qui ont été ainsi économisés par l’Entreprise et qui ont probablement servi à des activités essentielles. Les budgets de production ont été substantiellement améliorés et les stocks de programmes ont permis de passer à une diffusion 24h/24. La CRTV disposait à nouveau d’émetteurs, de bancs de montage, de moyens de locomotion, tandis que la climatisation a été rétablie à Mballa II et à la Maison de la Radio où certains se mettaient torse nu pour présenter leur émission tant il faisait chaud en studio.

D’autres faits majeurs méritent d’être signalés.

L’Agence de Régulation des Marchés Publics (ARMP) avait entrepris d’évaluer et de classer six cent (600) Maîtres d’Ouvrage, en examinant tous les marchés qu’ils ont passés. Le Directeur Général de la CRTV avait été classé 1er, et le Directeur Général de l’ARMP, Monsieur NDOUDOUMOU à l’époque, s’était déplacé personnellement avec son staff, pour annoncer la bonne nouvelle et me remettre un beau trophée devant tout le personnel, qui apprenait de sa bouche que sur les critères de transparence, de publicité des marchés, respect des délais, etc, la CRTV était la plus conforme à leurs attentes.

De même, l’Agence Nationale des Technologies de l’Information et de la Communication (ANTIC) est venue nous attribuer un trophée pour notre site Internet, en hibernation à mon arrivée, mais qui est devenu le deuxième site le plus visité selon les dires de son Directeur Général.

Autre trophée, celui que nous avons reçu de l’Hôtel du Mont Fébé venu nous récompenser pour avoir été son meilleur client institutionnel aussi bien par les fréquentations dont nous étions à l’origine, que par le volume de recettes encaissées à ce moment-là.

La crédibilité de la signature de la CRTV était assurée. Nos banquiers n’hésitaient pas à nous accorder les facilités que nous leur demandions.

Même le Ministère des Finances, qui nous poursuit aujourd’hui peut reconnaître ce fait majeur qui en a étonné plus d’un en son sein. De quoi s’agit-il? Ayant obtenu du Chef de l’Etat des ressources pour des opérations précises, ces ressources n’ont pas été entièrement dépensées. Il restait environ Deux Cent Millions (200 000 000) de Francs CFA, cantonnées à la banque. Lorsqu’une autre urgence s’est signalée, au lieu de redemander un concours, j’ai juste écrit au Ministre des Finances, pour signaler l’existence du reliquat dont je sollicitais une autorisation pour l’utiliser. Surprise! C’est une équipe lourde qui a été envoyée, par des gens qui soupçonnaient qu’il n’y a probablement plus d’argent, et que ma démarche pouvait cacher quelque chose. Le compte d’emploi leur a été présenté, et le solde qui y apparait a été retrouvé tel quel à la banque. «Renvoyez-nous rapidement cet argent», c’était la réponse à notre sollicitation. Il faut espérer qu’on l’a destiné à un usage louable, à défaut de servir la CRTV.

Le Chef de la Mission de Vérification et du Contrôle du Conseil Supérieur de l’Etat (CONSUPE) auprès de la CRTV, après quelques semaines de séjour, s’était exclamé devant un journaliste de la CRTV qu’il connaissait et qui m’a rapporté ses propos, en ces termes: «Mais votre maison est une maison de verre!» Et malgré ce qu’on peut faire croire au public, le CONSUPE n’a pas indexé ma gestion car ce n’est pas cette Institution qui a saisi la justice pour qu’elle m’inculpe pour des raisons n’ayant aucun rapport avec la gestion. On ne sait d’ailleurs toujours pas qui l’a saisie.

Comme cela a été dit hier par un des Avocats de mon Co-accusé, le Ministre ABAH ABAH, nous sommes tous les deux, avec tant d’autres, des victimes du fameux «Rouleau Compresseur», concocté par de très hautes personnalités pour écraser ceux qu’ils désignent comme étant des ennemis à neutraliser absolument.

Ennemi? De qui suis-je donc l’ennemi?

A cet égard, le Philosophe Julien Freund a écrit que pour être ennemi, on n’a pas besoin d’avoir commis quoi que ce soit. Car, dit-il, c’est l’ennemi qui vous choisit, «et dès qu’il vous a désigné, vous pouvez lui faire les plus belles protestations d’amitié, du moment qu’il veut que vous soyez son ennemi, eh bien vous l’êtes».

La leçon que je tire de cette histoire d’ennemis désignés malgré eux c’est que lorsque des personnes intrinsèquement mauvaises disposent de moyens officiels leur permettant d’assouvir leurs tendances de misanthropes, c’est-à-dire de gens sans empathie, elles installent le malheur autour d’elles et créent ce genre de situation que nous déplorons tous.

Classé à Kondengui «prisonnier signalé», j’ai droit à une escorte serrée lorsque je suis extrait pour le TCS ou l’hôpital. Les bandits de grand chemin ne sont pas surveillés comme je le suis.

J’ai perdu mon frère cadet, mon principal soutien depuis mon incarcération et mon impécuniosité subséquente. Je n’ai pas été autorisé à assister à son enterrement ici à Yaoundé. Dans les mêmes conditions, d’autres ont bénéficié de permission.

C’est le règne du mal absolu, cette disposition mentale qui pour certains, selon Alain EHRENBERG, servent à agresser et à torturer leur prochain sans autre raison que la jouissance qu’ils éprouvent quand leur victime manifeste de la souffrance et de l’effroi.

Cela explique qu’on ait voulu m’incarcérer dès le lendemain de mon limogeage de la CRTV. On m’a rapporté qu’une âme bienveillante a obtenu qu’on m’accorde un sursis d’un mois. Qu’elle soit remerciée.

Qu’adviendra-t-il de moi au moment du verdict? L’insensibilité et le cynisme que j’ai subis suffisent à me rendre sceptique quant au verdict, et je retiens pour moi le proverbe peuhl qui dit :

«Si vous évoluez parmi des anthropophages et que vous prétendez ne pas manger de la viande humaine, eh bien, c’est vous qui serez mangé». Je ne sais pas s’il y a des anthropophages, mais s’il y en a, eh bien, bon appétit.

Cela ne m’empêche pas de me demander ce que pourrait cacher la suite de l’histoire, même lorsque j’aurai été mangé.

Je me console en pensant à ce qui est écrit dans la Bible que je lis parfois : «Car on vous jugera du jugement dont vous jugez et l’on vous mesurera avec la mesure dont vous mesurez». (Matthieu 7:2)

En pensant aussi au caractère imprescriptible des crimes dits Internationaux des Droits de l’Homme (DIDH), j’ose croire que mon enterrement, symbolique ou réel, aura des conséquences. Le groupe de travail des Nations Unies avait déjà émis un avis sur ma détention qui, selon lui, n’a pas de base légale, et demandé, malheureusement sans suite, ma libération immédiate.

J’espère enfin que mes compatriotes seront de plus en plus nombreux à prendre conscience des dérives d’une justice qui contribue davantage au délitement du lien social qu’à son renforcement.

Je vous remercie.

Amadou Vamoulké

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