Avec un meilleur tracé des frontières, les pays d’Afrique centrale vont améliorer l’attractivité des zones frontalières pour l’intensification des échanges.
L’Afrique centrale a mal à ses frontières. Elles sont soit trop rigides pour fluidifier les échanges soit sources de tensions entre les populations riveraines, entre les États et les bandes criminelles et entre les États. La récente explication entre le Cameroun et la Guinée équatoriale est à ranger dans ce registre.
Une mauvaise maitrise du tracé des frontières et une gestion inadaptée des zones frontalières constituent des accélérateurs naturels de la montée des tensions. Il n’est un secret pour personne que plusieurs conflits en Afrique centrale, comme le confirme le dernier rapport du secrétaire général de l’ONU sur l’Afrique centrale, ont pour foyer les zones frontalières.
Selon la GIZ, agence de développement de la République fédérale d’Allemagne, 65% des frontières des onze pays membres de la communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) sont délimitées de manière trop rudimentaire.
Des risques considérables en découlent pour les populations locales. Elles finissent généralement par s’y établir et mener des activités légitimes en totale méconnaissance des limites territoriales. Les États, souvent sans précaution, finissent par intégrer ces parcelles de terre dans leur patrimoine foncier. Au passage, il y aura peut-être eu altercation entre deux communautés vivant de part et d’autre de la frontière, car l’une aura empiété sur le domaine de l’autre. C’est généralement le phénomène du pastoralisme transfrontalier.
Le tracé arbitraire des frontières sépare trop souvent des communautés ethniques et des familles entières. C’est le cas depuis la colonisation. Le tracé imprécis des frontières génère des tensions entre États et conduit à l’escalade. À cela s’ajoute le fait que les autorités chargées de la gestion des frontières se laissent fréquemment corrompre et prennent souvent des mesures arbitraires. Il en découle des risques significatifs en termes de droits humains et de liberté de circulation, en particulier pour les populations défavorisées.
Solution
Pour enrayer la situation, l’Union européenne, l’Allemagne à travers la GIZ et la CEEAC en qualité d’organe sous-régional de coordination, lancent le programme frontières de la CEEAC. Il prévoit l’amélioration de la gouvernance régionale et nationale des frontières, favorise la paix, la sécurité, la prévention des conflits et la coopération économique dans la région de l’Afrique centrale.
Dotée de 6,5 milliards FCFA, l’enveloppe de cette phase couvre sept pays et sept frontières. Ces frontières, désignées comme pilote sont: Gabon-Cameroun; RD Congo-Congo; Tchad-Cameroun; Congo-Cameroun; Rwanda-RD Congo; Gabon-Congo; Cameroun-République centrafricaine. Présent sur plus de 57% des frontières ciblées, le Cameroun devrait tirer son épingle du jeu. À la cérémonie de lancement du projet, le 18 novembre dernier à Yaoundé, le ministre de l’Administration territoriale du Cameroun, n’a pas caché sa satisfaction.
Devant les gouverneurs des 10 régions, il a insisté: «le gouvernement camerounais ne ménagera aucun effort afin que la mise en œuvre de cet important projet connaisse le succès escompté. C’est le lieu pour moi, d’émettre le vœu que les gouvernements des quatre pays limitrophes du Cameroun, concernés par cette phase pilote, nous accompagnent dans cet élan pour donner l’impulsion nécessaire aux administrations de chacun des États suscités, afin que ce projet puisse être exécuté de manière concertée et sans heurts. Il en va de notre crédibilité auprès de nos partenaires techniques et financiers, voire de la communauté internationale».
Bobo Ousmanou
Gestion des frontières
Une affaire de tous!
L’implication effective de l’ensemble des parties prenantes au développement des zones frontalières est un gage de développement de celles-ci.
Les bailleurs de fonds du programme frontières de la CEEAC insistent sur l’implication des communautés locales, de la société civile et des autres acteurs privilégiés. Certes les questions de frontières relèvent de la compétence des États, mais pour la dynamisation de la coopération transfrontalière, les peuples devront avoir leur mot à dire.
Corrina Fricke, ambassadrice et chef de la mission diplomatique d’Allemagne au Cameroun, y a mis de l’emphase dans sa prise de parole: «toutes les parties prenantes du projet doivent s’engager fortement dans la mise en œuvre. Je suis convaincue qu’avec un effort commun, ce projet sera un véritable succès».
Pour la GIZ, le projet doit relier la gouvernance régionale des frontières avec les projets locaux en vue d’une coopération transnationale. Les processus de planification communs et les mécanismes communautaires pour le traitement des conflits favorisent l’intégration régionale, ainsi que des approches durables dans des domaines tels que le pastoralisme nomade, le commerce, la culture et la sécurité.
Aujourd’hui, la faiblesse des structures étatiques dans la région ne permet guère d’assurer la sécurité. De surcroit, la coopération transfrontalière, faiblement développée, n’est pas formalisée ou se caractérise par la méfiance. L’implication de l’ensemble des acteurs permettra de faire tomber la méfiance, raviver la confiance et faire baisser les tensions.
Risques
Il y a bien évidemment des risques en l’absence d’une large participation sociale: le manque de soutien de la population locale, caractérisé par une faible durabilité des solutions de délimitation & démarcation et l’aggravation des conflits locaux. Autre risque, le manque de consensus de la population, déterminé par des conséquences judicatives en termes de droit international et une perte de réputation pour le gouvernement (niveau international et national). Enfin, l’absence de la population aux opérations de ce projet se répercutera en implémentation insuffisante des mesures, ce qui engendrera des pertes économiques et financières pour les mesures, une intensification des activités criminelles dans les zones frontalières et une détérioration des relations intergouvernementales.
Optimisation
Le projet ambitionne de favoriser les dynamiques transfrontalières d’intégration portées par les acteurs locaux, la société civile et la coopération transfrontalière de proximité ou d’initiative locale. Les collectivités territoriales décentralisées, la société civile et ses initiatives sont donc des interlocuteurs directs de ce projet.
Bobo Ousmanou
Le casse-tête des frontières fluviales
Le ministre Paul Atanga Nji l’a martelé: «s’agissant du cas particulier des frontières fluviales, il est de toute évidence nécessaire de réitérer les règles qui encadrent le tracé des frontières, de sensibiliser les populations, ainsi que les autorités frontalières sur la nécessité de respecter lesdites règles».
Plusieurs experts camerounais l’ont dit en coulisses «le casse-tête quotidien, c’est les frontières maritimes». Dans ce sens, pour plusieurs d’entre eux, il faudra intégrer la Guinée équatoriale dans ce mécanisme mis en place par l’UE et l’Allemagne. D’où l’invitation du ministre de l’Administration territoriale: «au Cameroun, lesdites activités sont focalisées particulièrement sur les frontières avec le Congo, le Gabon, la RCA et le Tchad avec une possibilité, nous le souhaitons vivement, d’extension à la frontière avec la Guinée Équatoriale».
De toute évidence, à la GIZ, on assure que tout cela sera pris en compte. Le projet veillera à faciliter le dialogue entre les États membres, encourager leur participation pour une appropriation du programme. L’assistance et les conseils de la GIZ viendront soutenir la planification et la mise en œuvre des activités de gouvernance des frontières, en collaboration avec les points focaux des organismes nationaux de gestion des frontières des États membres.
Il revient donc aux États de jouer leur partition pour mieux s’approprier et pérenniser ce programme. Cela passe par la désignation de bons points focaux.
Bobo Ousmanou
Attentes des acteurs
Paul Atanga Nji, ministre camerounais de l’Administration territoriale
«Une imprécision des tracés, source potentielle de tensions entre les populations frontalières»
Au niveau de la sous-région Afrique centrale, le projet d’appui au programme frontières de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) a été élaboré pour accélérer le processus de mise en œuvre du programme frontières de la communauté. Sous-projet du programme d’appui aux réformes et au renforcement des capacités institutionnelles de la CEEAC (Parcic), ce projet bénéficie de l’appui financier et technique de l’UE et de la République fédérale d’Allemagne.
Au Cameroun, les activités sont focalisées particulièrement sur les activités avec le Congo, le Gabon, la RCA et le Tchad, avec une possibilité, nous le souhaitons vivement, d’une extension à la frontière avec la Guinée Équatoriale. Ces activités visent les opérations ci-après: la démarcation, la réaffirmation ou la réhabilitation des frontières, la densification des bornes frontières, la coopération transfrontalière, le renforcement des capacités en matière de gestion des frontières.
Concernant les opérations de démarcation et de réaffirmation des frontières, il convient de noter que les frontières du Cameroun avec les pays limitrophes ont été délimitées et démarquées pendant la période coloniale, il y a plus de 100 ans. Aujourd’hui, de nombreuses bornes implantées pour marquer la position des frontières sur le terrain ont disparu du fait du temps ou de l’homme. Il en résulte une imprécision des tracés, source potentielle de tensions entre les populations frontalières.
Corinna Fricke, Ambassadrice et Chef de la mission diplomatique d’Allemagne au Cameroun
«Au lieu de considérer les frontières comme des barrières, elles peuvent servir de facteurs de stabilisation et de ponts entre les communautés»
L’Allemagne soutient l’approche choisie par les gouvernements membres de l’Union africaine pour la clarification et une meilleure affirmation des frontières dans le but de prévenir les conflits. Le programme frontières vise la promotion de la prévention des conflits et de l’intégration continentale à travers des frontières sures, pacifiques et prospères. Le programme se base sur les principes de la subsidiarité et du respect de la souveraineté des États. Les Communautés économiques régionales jouent un rôle important en tant qu’organe de coordination et de soutien stratégiques.
La lutte proactive des services, en coopération étroite avec les communautés locales et la société civile, permettent aux régions frontalières de prospérer. Au lieu de considérer les frontières comme des barrières, elles peuvent servir de facteurs de stabilisation et de ponts entre les communautés. Toutes les parties prenantes du projet doivent s’engager fortement dans sa mise en œuvre. Je suis convaincu qu’avec un effort commun, ce projet sera un véritable succès.
Sébastien Bergeon, chargé d’affaires à la délégation de l’UE au Cameroun
«Les menaces sécuritaires et les maladies ne s’arrêtent pas aux frontières»
Ce projet vise absolument la paix et la sécurité dans la sous-région Afrique centrale. L’UE est très engagée dans la consolidation de la paix et la prévention des conflits. La particularité des crises aujourd’hui c’est qu’elles n’ont pas de frontières et elles nous obligent à chercher des voies de coopération commune, tout en assurant d’ailleurs la souveraineté des États. Toutes les coopérations transnationales dans le domaine de la sécurité sont donc nécessaires. Depuis de nombreuses années, l’UE est un partenaire solide sur le plan sécuritaire dans l’espace de la CEEAC qui inclut le Cameroun. Cette coopération sécuritaire avec la CEEAC s’articule principalement autour de trois axes: la coopération maritime et la lutte contre la piraterie maritime et d’autres actes criminels en mer; la lutte contre la criminalité liée aux expressions majeures de trafics illicites des ressources naturelles dans la sous-région d’Afrique centrale; et enfin ce projet d’appui au programme frontières de la CEEAC. L’ensemble de ces composantes se base sur le constat que la paix, la sécurité et la stabilité ainsi que la santé publique [comme nous l’avons vu récemment] ne peuvent plus être garanties par les États seulement. Les menaces sécuritaires et les maladies ne s’arrêtent pas aux frontières