Abbas Mahamat Tolli, Gouverneur de la Béac : Pourquoi la nouvelle réglementation des changes est vitale

A fin mai 2019, les rétrocessions de devises ont atteint 1 376,1 milliards de FCFA pour les cinq premiers mois de l’année, contre 605,2 milliards de FCFA sur la même période de l’année précédente, en hausse de 127 %. De plus, le Compte d’opérations, a connu une forte hausse (+32 %) entre 2017 et 2018 passant de 2 552 milliards de FCFA au 31 décembre 2017 à 3 360 milliards de FCFA à fin 2018 ; et, à fin juin 2019, il s’est situé à 3 822 milliards de FCFA.

Abbas Mahamat Tolli, le gouverneur de la Beac

Lors de leur sommet du 23 décembre 2016 à Yaoundé, les Chefs d’Etat avaient arrêté une stratégie de sortie de crise. Le cadre juridique des transactions avec l’extérieur étant un élément fondamental de cette stratégie, il était apparu nécessaire de réviser la réglementation des changes en vigueur dans la Communauté. La nouvelle réglementation des changes de la CEMAC a été adoptée par le Comité Ministériel de l’UMAC en date du 21 décembre 2018. Elle a été élaborée dans le cadre d’une approche participative associant toutes les parties prenantes, dont le FMI, les Ministères en charge de la monnaie et du crédit de la CEMAC et la profession bancaire.

Conscients de ce qu’une application stricte de ce nouveau texte conditionne fortement la soutenabilité externe de notre monnaie, la Conférence des Chefs d’Etat de la CEMAC a, lors de sa session du 24 mars 2019 tenue à N’Djamena, insisté sur l’impérieuse nécessité d’un strict respect de la réglementation des changes par toutes les parties concernées que sont notamment les grandes entreprises minières et pétrolières, les entreprises opérant dans le secteur extractif, l’industrie bancaire et les autres secteurs économiques.

La présente réunion de lancement de la campagne de sensibilisation sur les dispositions de la nouvelle réglementation des changes de la CEMAC s’inscrit dans ce cadre. La sensibilisation est en effet rendue nécessaire à la fois par les nombreux changements qu’impliquent l’application de la nouvelle réglementation des changes dans la réalisation des opérations internationales et par la complexité des activités des entreprises pétrolières et minières.

Cette réunion regroupe les Ministres en charge de la monnaie et du crédit des États membres de la CEMAC, le Président du Comité de Pilotage du Programme des Réformes Économiques et Financières de la CEMAC (PREF-CEMAC), le Fonds Monétaire International à travers ses résidents pour le Cameroun et pour le Gabon, le Président de la Commission de la CEMAC, le Président de la Commission de Surveillance du Marché Financier de la CEMAC (COSUMAF), les représentants des entreprises minières et pétrolières opérant dans la sous-région, les représentants des Associations Professionnelles des établissements de crédit de la CEMAC ainsi que des organisations patronales.

Les échanges autour de ce nouveau dispositif tournent autour de trois principaux points :

i) La présentation du nouveau dispositif.

ii) Les modalités et les résultats escomptés de sa mise en œuvre.

iii) Les critiques enregistrées relatives au nouveau dispositif.

I- Présentation du dispositif

Cette présentation fait ressortir le fait générateur de la réforme, les objectifs poursuivis et les principales modifications introduites.

I.1. Fait générateur de la réforme

Trois facteurs ont justifié la refonte du cadre réglementaire existant, afin de le rendre plus efficient dans la gestion des transactions financières extérieures.

Premièrement, le constat avait été fait d’un faible rapatriement des recettes d’exportation dû principalement à l’ineffectivité de la mise en oeuvre du cadre réglementaire et opérationnel de la réglementation des changes.

Deuxièmement, la réglementation des changes communautaire ne reflétait pas les évolutions intervenues dans les sphères économiques et financières mondiales et sous régionales, caractérisées par le développement des systèmes et moyens de paiement électronique, la consolidation des marchés boursiers ainsi que les exigences internationales et communautaires en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.

Troisièmement, le diagnostic de la situation macroéconomique réalisé par les hautes Autorités de la CEMAC et le Gouvernement de la BEAC faisait ressortir que la politique monétaire n’était pas sous-tendue par une règlementation des changes adaptée à l’évolution de notre environnement et conforme aux engagements internationaux de nos Etats.

I.2. Objectifs majeurs de la réforme

La réforme de la réglementation des changes visait à :

i) contribuer à la stabilité externe de la monnaie à travers une optimisation des transactions financières extérieures, de manière à minimiser les sorties des devises non causées et maximiser les entrées de devises provenant des activités légales ;

ii) adapter la règlementation des changes à de nouvelles problématiques telles que l’émergence de nouveaux moyens de paiement et la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

 

I.3. Principales évolutions de la nouvelle réglementation de changes

Elles portent sur :

i) L’attribution du rôle d’administration de la réglementation des changes à la Banque Centrale, afin de s’arrimer à ses missions statutaires de conduite de la politique de change et de gestion des réserves de change de la Communauté ;

ii) La formalisation des obligations de cession et de rétrocession des devises à la BEAC dans le sens de renforcer le principe de centralisation des avoirs extérieurs auprès de celle-ci. Il est précisé que la rétrocession des devises par les établissements de crédit doit intervenir dans un délai de 5 jours ouvrés courant à compter de leur encaissement (et non plus dans un délai de 30 jours), avec la faculté d’en conserver 30 % pour la couverture de leurs besoins courants

iii) L’obligation faite aux différents acteurs d’inclure dans leurs dispositifs les diligences indispensables à la lutte anti-blanchiment, dans un environnement marqué par la montée des activités illicites et le financement du terrorisme ;

iv) L’obligation d’indication ou de justification de l’origine des fonds pour la réalisation des opérations de change ;

v) La possibilité d’ouvrir des comptes séquestres, de garantie et assimilés en devises dans les livres de la Banque Centrale pour la couverture des engagements souscrits par les États et autres personnes morales autorisées par le Conseil d’Administration ;

vi) L’insertion des mesures de sauvegardes en cas de crise affectant les comptes extérieurs de la CEMAC ;

vii) L’assouplissement des sanctions et la formalisation des procédures de constatation des infractions et d’application des sanctions.

II- Les modalités et les résultats escomptés de sa mise en œuvre.

La mise en œuvre du nouveau dispositif s’opère à travers deux méthodes :

i) les contrôles de vraisemblance auprès des établissements de crédit, par le biais de l’obligation de rétrocession à la BEAC des devises rapatriées par certains opérateurs économiques ;

ii) le déploiement des outils internes nécessaires au suivi des positions de trésoreries extérieures des établissements de crédit.

Pour ce faire, la BEAC a créé en son sein, en octobre 2017, une entité ad hoc dénommée Cellule Centrale d’Etudes des Transferts et de Suivi de la Réglementation des Changes (CCETSRC). Les travaux de cette Cellule ont efficacement contribué à la pleine maîtrise des flux de devises dans la sous-région et à l’amélioration du niveau des réserves de change de la CEMAC. Cette Cellule dispose de relais dans chacune des six Directions Nationales afin de suivre de plus près l’application de la réglementation des changes. Cette réorganisation a donné des résultats probants, caractérisés par une très forte réduction des délais de traitement des transferts. A titre illustratif, le délai de traitement des dossiers de transferts aux Services Centraux était en moyenne de 20 jours. Depuis la création de la Cellule en octobre 2017, il est passé à 1 journée. Les premiers résultats de la mise en œuvre de la nouvelle réglementation des changes font état d’une remontée des réserves de change. Ainsi, à fin mai 2019, les rétrocessions de devises ont atteint 1 376,1 milliards de FCFA pour les cinq premiers mois de l’année, contre 605,2 milliards de FCFA sur la même période de l’année précédente, en hausse de 127 %. De plus, le Compte d’opérations, a connu une forte hausse (+32 %) entre 2017 et 2018 passant de 2 552 milliards de FCFA au 31 décembre 2017 à 3 360 milliards de FCFA à fin 2018 ; et, à fin juin 2019, il s’est situé à 3 822 milliards de FCFA.

III- Critiques enregistrées relatives au nouveau dispositif.

En dépit des résultats encourageants enregistrés, l’on enregistre certaines résistances au changement dans la mise en oeuvre de la réglementation des changes.

Ces résistances trouveraient leur motivation dans :

i) les rejets des demandes de transferts par la Banque centrale. Or, entre janvier et avril 2019, 77 % des demandes de transferts présentés ont été autorisés. Les rejets observés l’ont été, dans 32,4%, pour avoirs extérieurs suffisants qui auraient dû servir à l’exécution, par les banques elles-mêmes, de ces transferts sans recourir à la BEAC ;

ii) les ouvertures des comptes en devises sans autorisation préalable de la BEAC : à cet égard, il importe de relever que la détention de ces comptes par les résidents constitue une entrave au principe de centralisation des devises à la BEAC et un moyen insidieux de spéculation contre notre propre monnaie. Il y aura donc lieu de procéder à la régularisation de tous ces comptes durant la période transitoire de six mois, à partir du 1er mars 2019, impartie par le nouveau Règlement ;

iii) les autorisations requises pour les importations de billets étrangers (achat de devises) par les banques. Ces autorisations visent un triple objectif, à savoir éviter une double circulation fiduciaire dans la CEMAC, lutter contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, limiter la détention des billets étrangers aux stricts besoins de voyage.

En violation de cette exigence réglementaire, certaines banques de la sous-région procèdent illégalement à des importations de devises. Plusieurs cas ont ainsi été observés en avril et en mai de cette année, les établissements concernés ont écopé de sanctions, conformément à la réglementation des changes en vigueur.

En définitive, la nouvelle réglementation apporte des innovations visant à stimuler l’activité économique et à favoriser la transformation profonde de nos économies, condition sine qua non de leur résilience. Le gage de la bonne application de cette réglementation reste, sans conteste, la sensibilisation, la formation et l’imprégnation de l’ensemble des assujettis, en vue de son appropriation collective.

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