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Abang-Minko’o: le marché de moins en moins mondial le samedi

Le « Marché Mondial », place commerciale très réputée de la zone des trois frontières, obéit à la fois aux injonctions anonymes et visibles propres aux économies frontalières.

En voyage d’études à Abang – Minko’o, cinq étudiants de l’Institut sous – régional de statistique et d’économie appliquée (ISSEA) de Yaoundé sont face à une situation plutôt réjouissante.  «Contrairement à nos craintes, l’ambiance nous a permis  d’avoir le maximum d’informations et de confirmer nos hypothèses de travail», se réjouit Ali Yaméo. Le Tchadien, qui coordonne sur place ce groupe de jeunes ingénieurs statisticiens économistes depuis deux semaines, dit que ses camarades et lui-même n’ont pas usé d’une quelconque hardiesse intellectuelle au cours de leur collecte au «Marché Mondial».

Ce 10 février 2018, leurs yeux de statisticiens et leur méthode empirique donnent une force impressionnante à un sombre verdict. «Dans ce marché,  l’inflation frémit. Depuis que nous sommes là, l’indice des prix à la consommation a bondi de 0, 8% ; c’est le niveau médian, si on ne tient pas compte des prix volatiles du transport. Et si tout cela est combiné, la hausse des prix se situe autour de 1%, soit près de 0,6 point comparativement à octobre 2017 lorsque nous étions ici. L’élasticité (rapport entre la variation des quantités demandées en pourcentage et la variation des prix en pourcentage) est de 0,3 à partir de la même période en ce qui concerne seulement les denrées alimentaires», évalue Ali Yaméo. Pour une meilleure compréhension, Gladys Ngobo Belle, l’unique fille du groupe, flashe quelques détails. Ceux-ci font la part belle aux prix définis à la fois comme indicateurs de rareté, signaux sur la situation du marché,  mécanismes incitatifs ou processus de rationnement. «A la date d’aujourd’hui, le Marché Mondial est le théâtre de convergence de tout cela», conclut la Camerounaise.

 

 Interprétation

Au «Marché Mondial», pas besoin d’appel à candidatures pour une lecture simplifiée de la hausse des prix. Clients et vendeurs se livrent volontairement à l’exercice avec une langue aiguisée. L’ensemble baigne dans de saintes colères, de nobles fulminations et de fulgurances intermittentes. «Le marché est cher parce que les produits sont là, mais en petite quantité», aborde Isabelle Mendomo. Pour légitimer cette approche (qui rejoint celle évoquée plus haut sur les prix comme indicateurs de la rareté), cette revendeuse camerounaise invite à un travelling sur les étals et les entrepôts. «Regardez, il n’y a rien !», assume-t-elle, accompagnant d’ailleurs ses dires d’un geste des deux mains. A côté, une autre voix féminine déchiffre les misères des commerçants : «Les bonnes choses n’arrivent plus ici comme avant ; tout est acheté à 10 kilomètres d’ici sur la route Ambam-Ebolowa et acheminé directement au Gabon ou stocké chez des trafiquants qui guettent la moindre ouverture de la frontière équato ; ici nous n’avons que les invendus». Pour tout couronner, la même voix  déroule un vaste lexique incriminant les Gabonais, accusés (à tort ou à raison) de tenir les réseaux de spéculation. «C’est eux !», pointe-t-elle.

Dès lors, la  véhémence et l’exécration finissent par l’emporter. Les mots et les chiffres innervent son propos. La réalité du terrain submerge la conversation lorsque quelqu’un évoque une dizaine de camionnettes chargées de bâtons de manioc en route pour Libreville, il y a deux jours. «Voyez, quand le marché doit être mondial le samedi, c’est à ce moment que les gens viennent tout prendre, surtout le bâton de manioc ; c’est comme çà !», peste un homme. «A cause de cela, les rares clients que nous avons subissent», tranche, sans appel, un autre.

De là, la pertinence de l’idée des prix comme signaux sur la situation d’un marché est étalée. «Un prix élevé signale que l’activité est rentable. Cela encourage d’autres acteurs à rejoindre le secteur. C’est une logique  effroyable, implacable, d’une brutalité et d’une soudaineté souvent sans pareille», chuchote Ali Yaméo. Eclairé par ce raisonnement, la tentation est de croire qu’en plus des Gabonais, les Equato-guinéens ont flairé le filon. «Ils achètent chez les paysans loin d’ici. Quand ils le veulent, ils nous revendent le bâton de manioc à 200 francs CFA et nous, nous détaillons à 250 francs contre 200 avant», lâche Isabelle Mendomo.

 

Encore…

La voix peu chaleureuse et le souffle précipité, elle  raconte que le contexte d’ultra sécurité en Guinée Equatoriale joue un rôle nocif autour des prix des denrées, surtout des tubercules. Parce que les clients venus de ce pays sont devenus rares, ceux qui réussissent à avoir une «piste» viennent ici proposer des prix pour le moins copieux. «A eux, se gargarise Mbi Hermanus, commerçant camerounais, je vends le filet de 100 bâtons de manioc à 50 000 francs.  Et j’ai au moins 06 à 10 clients comme çà chaque samedi depuis que la frontière est fermée. Je préfère çà que de vendre aux gens qui me proposent la moitié de ce montant. Cela m’encourage à aller chercher plus de bâtons de manioc même dans la Lékié. La demande est forte depuis qu’on a fermé la frontière».

Tout pour comprendre le mécanisme incitatif : «si la demande pour un bien augmente, le prix va donc augmenter incitant les vendeurs à s’en procurer coûte que vaille», abrège Gladys Ngobo Belle. L’étudiante en statistique en profite pour s’étendre sur le processus de rationnement: «si la demande pour un bien augmente, le prix va donc augmenter et la quantité demandée va être réduite dans certains marchés et c’est le cas ici», enjoint-elle, prenant soin de ne pas évoquer la pénurie. A son avis, comme tout lieu de confrontation entre l’offre et la demande d’un ou de plusieurs biens, le «Marché Mondial» d’Abang-Minko’o est un espace où se déterminent les quantités échangées et le prix de leur cession.

Si la preuve de cette assertion ne s’affiche pas d’emblée, Gladys Ngobo Belle tient le «secteur vin» du «Marché Mondial» pour témoin. Ici, les étals semblent dire que «l’Operacion Seguridad» agit comme une mécanique de tri permanent sous l’effet de la forte demande en vins de table, canettes de bière et spiritueux. Venue de tous les pays de la zone Cemac, cette demande a favorisé la hausse des prix. «Le moindre vin qu’on prenait ici à 700 francs, nous l’achetons maintenant à 1 300 francs CFA pour le revendre à 1 500», débite Ymeli Amadou, président du Collectif des grossistes et semi-grossistes de vins du «Marché Mondial» depuis 2016. Du haut de ce profil, il ne peut opposer les actualités peu réjouissantes à la frontière et les quantités, la qualité et les prix actuels des vins et liqueurs. «Tout çà se tient», soutient-il. Par peur de vrais mots, ce Camerounais se contente de fournir des éléments comparatifs. En fin 2015, le prix le plus élevé d’une palette de vin rouge (12 briques) venue de Guinée Equatoriale via Kyé-Ossi caracolait à 7 000 francs Cfa.  Avec le léger «relâchement» survenu à la frontière en fin 2017, le même produit a atteint, en mi-janvier 2018, le pic de 11 000 francs CFA. «La fermeture de la frontière amène les gens (les passeurs, NDLR) à sous-traiter et à proposer leurs produits à qui ils veulent. Pour fructifier leur capital dans un tel contexte, ces gens évoquent de nombreux risques. Et parce qu’il n’existe pas  d’institutions internationales à caractère politique, économique ou juridique en mesure de réglementer efficacement leur comportement, ils font tourner le marché à leur guise. En fait, la hausse des prix ici a des facteurs qui sont connus et d’autres non», polémique une cadre de la délégation régionale du Commerce du Sud. Pour les jeunes statisticiens, «le Marché Mondial obéit à la fois aux injonctions anonymes et visibles propres aux économies frontalières».

 

Evolution des prix au « Marché Mondial »

 

 

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