Le 26 juillet 2023, est survenu au Niger un coup d’État militaire orchestré par un groupe d’officiers à la tête duquel se trouve le Général de Brigade Tchiani, ayant abouti au renversement du Président Mohamed Bazoum.
Ce coup d’Etat a provoqué une forte réprobation sous-régionale et internationale, mais aussi des soutiens notamment de la part des Etats tels le Mali et le Burkina Faso. En dépit de sa longue séquestration, le Président Bazoum bien qu’empêché de gouverner effectivement le pays, n’a pas formellement démissionné de son poste, la situation qui au plan du droit constitutionnel nigérien pose un problème sérieux aux putschistes. La CEDEAO a pris des sanctions sévères contre la junte, suspendue le pays de ses instances, suivie en cela par l’Union Africaine, dont le Conseil de paix et de sécurité a prononcé la suspension du Niger des instances de l’Union, tout en invitant les Etats membres de l’Union à ne pas reconnaître les nouvelles autorités ou à se comporter de manière à laisser croire à une reconnaissance des autorités sur les questions du changement anti constitutionnel de gouvernement. Très rapidement, compte tenu du positionnement particulièrement hostile de la France vis-à-vis du putsch, les relations se sont raidies entre les auteurs du coup d’Etat et ce pays, qui a une présence militaire au Niger dans le cadre de l’ opération antiterroriste Barkhane. C’est dans le contexte de ce raidissement des rapports que les autorités putschistes vont le 25 août 2023 inviter l’ambassadeur de France à Niamey, M. Sylvain Itté, à quitter le Niger sous quarantaine huit heures, celui-ci ayant refusé de déférer à sa convocation par le Ministre des affaires étrangères nommé par les putschistes. La France, L’État accréditant de l’ambassadeur a rejeté cette demande de quitter le territoire du Niger, au motif que seules les autorités légitimes élues de ce pays peuvent exiger le départ des représentants de la France, et que les putschistes n’ont pas autorité pour cela. De fait, à l’expiration du délai imparti par la junte, l’Ambassadeur de France n’avait pas quitté le Niger.
C’est cette situation inédite que l’on entend aborder du point de vue du droit international. Quelles peuvent être les conséquences de la non reconnaissance des nouvelles autorités d’un pays, autorités issues d’une prise de pouvoir en violation des voies prévues par les lois et institutions de ce pays, sur le jeu des règles régissant les rapports diplomatiques entre Etats , en particulier la déclaration de personne non grata adressée à un chef de mission diplomatique assortie d’une invitation à quitter le territoire de l’Etat dans un délai déterminé ?
Il convient de rappeler que la déclaration de persona non grata du chef de mission ou de tout autre membre du personnel diplomatique de la mission vise un individu et ne vise pas l’ensemble de la mission, encore moins l’existence même des relations diplomatiques entre les Etats concernés. La déclaration de persona non gratan’est ni la suspension, ni la rupture des relations diplomatiques. C’est l’expression de ce que la personne visée n’est plus agréable aux yeux des autorités du pays, n’est plus en situation de confiance auprès de ces dernières, lesquelles ne veulent plus la considérer comme un interlocuteur valable et un représentant. acceptable de son Etat d’envoi (Etat accréditant) auprès de l’Etat d’accueil (l’Etat accréditaire). Les autorités émettent du coup d’État, pour donner l’injonction de quitter le territoire sus évoqué, se sont appuyées sur l’article 9 de la Convention du 18 avril 1961. L’alinéa 1 de cette disposition énonce que « l’État l’accréditaire peut, à tout moment et sans avoir à motiver sa décision, informer l’Etat accréditant que le chef ou tout autre membre du personnel diplomatique de la mission est persona non grataou que tout autre membre du personnel de la mission n’est pas acceptable. L’Etat accréditant rappellera alors la personne en cause ou mettra fin à ses fonctions auprès de la mission, selon le cas.(…) ». Les énoncés de cette disposition visent bien les Etats, car les relations diplomatiques sont des relations d’Etat à Etat, comme le rappelle fort clairement l’article 2 de la Convention de 1961, et non des relations liées à des individus. L’État accréditaire est libre de déclarer tout agent diplomatique persona non grata lorsque cela lui paraît opportun, de manière totalement discrétionnaire, encore qu’en la circonstance l’invitation à quitter le territoire avait été motivée explicite, ce qui en droit n’était nullement nécessaire, bien que non prohibé. L’Etat accréditaire est tenu seulement d’en informer l’Etat accréditant. Il est attendu de ce dernier, soit le rappel de son agent, soit un terme mis à ses fonctions selon le cas. Il n’est pas prévu que l’Etat accréditant puisse imposer comme agent diplomatique devant jouir de ce statut dans l’Etat d’accueil, une personne dont cet Etat a clairement dit qu’il n’en voulait plus en tant diplomate en la injecté avec précisionpersonne non grata .
Si l’Etat accréditant, informé par l’Etat accréditaire de ce que son chef de mission diplomatique est déclaré persona non grata, refuser de prendre des dispositions pour son rapatriement dans les délais impartis ou surtout, selon les termes de l’article 9 alinéa 2 « dans un délai raisonnable », « l’Etat accréditaire peut refuser de reconnaître à la personne en cause la qualité de membre de la mission » et, donc , le retrait du bénéfice des privilèges et immunités attachés à cette qualité en vertu de la Convention de 1961 et du droit coutumier. La formule de l’alinéa 2 de l’article 9 de la Convention semble souple : l’Etat accréditaire « peut refuser », ce qui signifie qu’il peut ne pas aller directement, automatiquement, à cette extrémité, compte tenu des données du contexte relationnel entre les deux Etats, de la volonté d’aller vers un apaisement ou du souci de ne pas offrir un casus belli. Mais si cette décision de ne plus reconnaître la personne concernée comme membre de la mission est prise, alors ladite personne se retrouve dans une situation juridique délicate, celle d’un étranger, situation régie désormais par la réglementation sur le statut des étrangers et de l ‘immigration, avec les garanties mais surtout les vulnérabilités qui l’accompagnent. En tout état de cause, suivant les termes de l’article 43 b) de la Convention de 1961, les fonctions d’un agent diplomatique prennent fin, entre autres, « par la notification de l’Etat accréditaire à l’Etat accréditant que , conformément au paragraphe 2 de l’article 9, cet Etat refuse de reconnaître l’agent diplomatique comme membre de la mission ». Comme la France a refusé d’exécuter la déclaration de persona non grataservie à son ambassadeur à Niamey, il appartenait aux autorités nigériennes, si telle était réellement leur volonté, de notifier à la France qu’elles ne considéraient plus M. Sylvain Itté comme membre de la mission diplomatique de la France au Niger. Cette notification est distincte et autonome de la déclaration de persona non grata. Si elle n’était pas faite formellement, le Niger continuait d’être soumis aux obligations qui lui incombent en tant qu’Etat accréditaire vis à vis d’un chef de mission diplomatique étranger. En l’occurrence, les nouvelles autorités ont formellement notifié à la France qu’avec l’expiration du délai impparti à l’ambassadeur Itté pour quitter le territoire nigérien, elles lui retiraient ses visas et immunités, ainsi qu’aux membres de sa famille , ordonnant dans la foulée aux autorités de police de procéder à son expulsion en quelque sorte manu militari .
Si le problème de M. Itté se posait en temps normal, le proposition qui précède suffirait amplement à la compréhension de la situation juridique. On ne peut cependant s’en contenter au regard de l’argument opposé par la France pour ne pas exécuter la déclaration de persona non grataservie à son ambassadeur, à savoir l’illégitimité des autorités issues du putsch ayant renversé un président démocratiquement élu, qui du reste n’a pas démissionné formellement de ses fonctions de Chef d’Etat. En d’autres termes, M. Itté ayant reçu son agrément du gouvernement de M. Bazoum, ayant été accrédité en sa qualité de diplomate de la première classe des diplomates auprès du chef de l’Etat légitimement élu Bazoum, ayant remis ses lettres de créance comme ambassadeur au président constitutionnellement reconnu Bazoum, lequel n’a pas démissionné de ses fonctions malgré le putsch et sa séquestration par les militaires qui ont mis en place une équipe gouvernementale et exercent de fait et en fait l’autorité de l’Etat, forts de leur force militaire, M. Itté ne saurait être déclaré persona non gratapar un pouvoir illégitime qui ne reconnaît pas la France, et ne sait pas quitter sur les injonctions de ce pouvoir ses fonctions d’ambassadeur de France auprès de l’Etat du Niger.
Deux arguments au moins se mêlent ici. D’abord la non démission de M. Bazoum , expression de la continuité formelle d’un pouvoir constitutionnellement et régulièrement octroyé, continuité qui détéindrait selon la France sur les situations rattachées à cette légalité et à cette légitimité constitutionnelles. Autrement dit, si M. Bazoum avait démissionné ou démissionne un de ces jours, cette continuité serait interrompue et il devrait bien continuer à traiter avec ceux qui, bon an mal an, exercent en fait l’autorité de l’Etat du Niger et parlent qu’on le veille ou non en son nom. Ensuite l a non reconnaissance des autorités putschistes par la France comme fondement du refus de leur reconnaître toute légitimité à déclarer persona non grataun diplomate accrédité auprès du président démocratiquement élu Bazoum.
Cet argumentaire à double détente est juridiquement fragile et intenable. Les diplomates sont accrédités comme agents et représentants de leurs Etats auprès des autorités d’autres Etats. Si les fonctions de représentation sont naturellement exercées par des individus, c’est pour le compte des Etats, personnes morales de droit public, institutions qui subsistent par-delà les individus qui passent. La non reconnaissance d’un gouvernement arrivé au pouvoir par un procédé anticonstitutionnel peut se traduire par le rappel de son ambassadeur, la suspension voire la rupture des relations diplomatiques. Elle ne peut juridiquement se traduire par l’imposition d’un ambassadeur, lequel ne pourra en aucune manière remplir dans ces conditions les fonctions des missions diplomatiques énumérées à l’article 3 de la Convention de 1961. De manière générale,quelle que soit la diversité de leurs régimes constitutionnels et sociaux ». S’il est vrai que, dans l’ordre juridique de l’UA, et dans l’ordre juridique sous-régional de la CEDEAO, la question de la légitimité démocratique a pris un essor important en tant que principe juridique obligatoire, il reste que cette démarche ne s’est pas généralisée au niveau des Nations Unies et, en tout état de cause, est absente de l’esprit de la Convention de 1961, laquelle semble s’en tenir à l’effectivité de l’autorité exerçant le pouvoir au sein de l’État, modifiant les aspects de sa légitimité constitutionnelle ou démocratique. Ce serait une situation étrangement chaotique si chaque Etat devait, dans la conduite de ses relations diplomatiques, se permettre de juger discrétionnairement le degré de légitimité démocratique des autorités des Etats auprès desquels ses diplomates sont accrédités. De ce point de vue, le droit diplomatique brille sagement par sa neutralité et son pragmatisme. Il est bon qu’il en soit ainsi, car de même que l’on enseigne que la reconnaissance (d’Etat ou de gouvernement) n’a pas une portée constitutive de la réalité reconnue, laquelle existe déterminant de ladite reconnaissance, de même la non reconnaissance ne peut avoir une portée de réification ou méconnaissance d’une réalité incontestable, même hideuse aux yeux de celui qui refuse de reconnaître. Il y a eu un coup d’Etat au Niger depuis plus d’un mois déjà. La preuve en est précisément que ce fait a retenu des condamnations et des sanctions concrètes, de la part de l’UA et de la CEDEAO. Ces sanctions ne visent pas une abstraction. Une menace militaire est même brandie, comme solution ultime éventuelle pour mettre fin à cette prise (inconstitutionnelle certes) de pouvoir. Le Président Bazoum n’a pas démissionné, mais n’a posé aucun acte d’autorité en tant que chef d’Etat depuis lors. En revanche, des putschistes, arrivés au pouvoir en violation flagrante de la Constitution et des engagements internationaux du Niger, occupent le devant de la scène, nomment des gens qui acceptent ces nominations et qui sont accueillis çà et là pour des concertations et discussions, dénoncent des engagements internationaux, prennent des actes juridiques dont ils imposent l’obéissance et qui impactent les autres pays, etc. Ces putschistes s’adressent même à la France, qui leur répond même si c’est pour les vitupérer. Leur non reconnaissance par la France ne change rien à cette réalité. arrivés au pouvoir en violation flagrante de la Constitution et des engagements internationaux du Niger, occupant le devant de la scène, nomment des gens qui acceptent ces nominations et qui sont accueillis çà et là pour des concertations et discussions, dénoncent des engagements internationaux, prennent des actes juridiques dont ils imposent l’obéissance et qui impactent les autres pays, etc. Ces putschistes s’adressent même à la France, qui leur répond même si c’est pour les vitupérer. Leur non reconnaissance par la France ne change rien à cette réalité. arrivés au pouvoir en violation flagrante de la Constitution et des engagements internationaux du Niger, occupant le devant de la scène, nomment des gens qui acceptent ces nominations et qui sont accueillis çà et là pour des concertations et discussions, dénoncent des engagements internationaux, prennent des actes juridiques dont ils imposent l’obéissance et qui impactent les autres pays, etc. Ces putschistes s’adressent même à la France, qui leur répond même si c’est pour les vitupérer. Leur non reconnaissance par la France ne change rien à cette réalité. prendre des actes juridiques dont ils imposent l’obéissance et qui impactent les autres pays, etc. Ces putschistes s’adressent même à la France, qui leur répond même si c’est pour les vitupérer. Leur non reconnaissance par la France ne change rien à cette réalité. prendre des actes juridiques dont ils imposent l’obéissance et qui impactent les autres pays, etc. Ces putschistes s’adressent même à la France, qui leur répond même si c’est pour les vitupérer. Leur non reconnaissance par la France ne change rien à cette réalité.
Les relations diplomatiques sont certes des rapports normés, mais ce sont des rapports assis sur des réalités politiques étatiques et non sur des souhaits et des abstractions. Si la France ne veut pas cautionner le putsch, il lui est loisible de rappeler son ambassadeur, de suspendre ses relations diplomatiques avec le Niger ou même de les rompre. Elle ne peut à la fois refuser de reconnaître les nouvelles autorités en coopérant d’une quelconque manière avec elles, et maintenir en cette qualité son ambassadeur dans un pays étranger sous contrôle effectif de ces autorités malgré son hostilité déclarée à leur égard. Un tel comportement est incohérent, dangereux pour la sécurité des diplomates. La protection qui leur est due par l’Etat d’accueil est liée à leur statut, lequel ne peut demeurer qu’avec le consentement mutuel des deux Etats, et particulièrement de l’Etat accréditaire sur le territoire duquel se trouve le diplomate accrédité. Hors de cette construction, sur laquelle le consensus des Etats est non équivoque, il ne s’agit plus de droit diplomatique, mais d’une logique capitulaire et de force d’un autre âge. M. Itté est l’otage, la victime et l’instrument d’une bagarre géopolitique, géoéconomique et géostratégique entre la France et le Niger.
Il faut espérer, dans le cas du Niger, que l’éventuelle atteinte imprudente à l’intégrité physique de M. Itté et des membres de sa famille dans la phase d’expulsion manu militari ordonnée ne soit pas le casus belli qui servira de base à un débordement incontrôlable (et peut être recherché) des rapports entre le Niger et la France. La belle construction du droit diplomatique, instrument des relations pacifiques et amicales entre les Etats, ne mérite pas une instrumentalisation aussi amusante.
Jeudi, 31 août 2023 Pr OLINGA Alain Didier/ IRIC/Université de Yaoundé II