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À Kolofata: les oreillettes sans fil des cambistes

Bien que théoriquement illégale, leur activité de change est tolérée au point qu’elle est exercée à la vue et au su de tout un chacun.

Abdallah dans son “bureau”

La scène est un rond noir à la circonférence minuscule. De nombreux commerçants l’encerclent à la manière d’une coquille d’escargot. Ici à, la gare routière de Kolofata, Abdallah bien connu pour être le premier à avoir ouvert un «bureau de change» depuis 1987, joue son rôle de cambiste. Jamais, l’administration ne l’a perturbé étant donné le rôle capital qu’il joue dans les échanges marchands entre le Cameroun et le Nigéria. Vieux de près de 70 ans (selon lui-même), Abdallah manipule de l’argent, beaucoup d’argent. «Ici à Kolofata comme dans nombre de villages camerounais frontaliers du Nigéria, le Franc CFA et le Naira circulent indifféremment, il faut un bon professionnel comme moi», fait-il valoir.

Tout-venant
Pris sur la base du critère du «professionnalisme», Abdallah n’est pas seul. Dans la ville, dans chaque quartier, le marché de change dispose d’un «cadre». «Ils sont Nigérians, Camerounais, Sénégalais, Béninois, Nigériens et Tchadiens», confie un douanier en service au poste de Douanes de Kolofata. À suivre nos efforts pour comprendre les structures et dégager d’autres éléments de différence, l’on réalise une chose: ceux qui tiennent le marché de change sur la base frontalière avec le Nigéria disposent d’une surface financière conséquente. Reliées aux grandes villes du Nigeria par un bon réseau routier et basés au cœur de zones très actives du point de vue marchand, ces cambistes constituent de véritables plaques tournantes dans les échanges entre les deux pays et sont le berceau de commerçants dynamiques dont l’activité est tournée vers le puissant voisin. De ce fait, c’est qui traitent la quasi-totalité du change résultant des flux marchands entre le Nigéria et le Cameroun.

Réseaux
Ici à Kolofata, les cambistes sont organisés en syndicat (avec un président, un vice-président et un trésorier) qui règle les usages de la corporation et qui défend ses intérêts face à l’administration. À les écouter, il s’avère qu’ils ont tissé des réseaux horizontaux; avec des correspondants et fournisseurs de plusieurs monnaies (nairas, dollar, euro, shilling, FCFA d’Afrique de l’Ouest…) installés sur d’autres places et des réseaux verticaux composés d’une multitude de dépendants qui travaillent pour eux. Selon un recensement fait par la mairie de Kolofata, c’est une quinzaine d’opérateurs qui domine le marché du change ici. Ils ont en charge de fournir en monnaies diverses les gros importateurs camerounais de ciment, de matériaux de construction, de céréales et d’hydrocarbures.
Bien que concurrents, ces patrons de change sont très solidaires. Leur activité est organisée, comme dans le commerce, de façon pyramidale. Chaque patron est assisté de quelques adjoints, souvent des parents, qui gèrent des points de vente éparpillés dans la ville et les villages frontaliers voisins. Ces dépendants se déplacent fréquemment vers les autres villes de change pour transmettre des informations ou transférer des fonds. Ces, adjoints ont eux-mêmes parfois des dépendants -détaillants, rabatteurs- qui sont rémunérés en fonction des affaires qu’ils traitent. Quelques rabatteurs sont employés à la journée et sont chargés de se rendre chez les clients habituels pour leur proposer leurs services ou récupérer un crédit. Dans leurs habitudes, les patrons de change les utilisent le samedi et dimanche. La stratégie commerciale des grossistes consiste à étoffer leur réseau de dépendants afin d’augmenter leurs points de vente au détail et d’accroître le volume des affaires qu’ils traitent.

Spécificités
Outre ces grands cambistes, l’activité de change revêt des formes très variées et regroupe une multitude d’agents opérant à des échelles différentes. On peut établir la typologie suivante: Des agents de change qui sont en quelques sortes des détaillants travaillant à leur compte avec un faible capital. Ils achètent ou empruntent aux grossistes avant de revendre, au taux en vigueur, à des particuliers et petits commerçants. Ces agents qui effectuent des opérations de petite et moyenne importance, sont présents sur toutes les places, mais ils tendent à être les seuls sur les marchés secondaires où les monnayeurs traitent des montants peu élevés. Leur fonds de roulement qui dépasse rarement un million de francs CFA, est suffisant pour satisfaire la clientèle citadine et non pour répondre à une demande importante d’un gros opérateur économique comme ceux qui se livrent aux activités de transit de bétail.
Il y a des opérateurs occasionnels qui tentent de se défaire de nairas sans avoir à payer la commission de change aux professionnels. C’est le cas par exemple des vendeurs de bétail qui peuvent s’improviser cambistes quelques temps ou aller trouver des commerçants qu’ils savent demandeurs de nairas (marchands de céréales) pour traiter avec eux, les deux partenaires gagnant sur le taux puisque se passant d’intermédiaires.
D’autres transactions ne passent pas par le marché des changes car elles font l’objet d’opérations de troc: les exportateurs de bétail ou de niébé, par exemple, rapportent, du Nigeria, des céréales dont la revente au Cameroun leur permet de récupérer des francs CFA. De même, les opérateurs du transit peuvent se faire rémunérer leurs exportations de cigarettes contre des citernes d’essence voire des céréales.

On a également des cambistes ambulants qui sont des petits détaillants de nairas et d’autres monnaies parcourant les rues à la recherche de clients. Ils peuvent exercer pour leur propre compte ou pour celui d’un patron qui leur confie quotidiennement une somme à changer et sur laquelle ils ont une commission. L’élément discriminant dans cette multitude d’agents de change est le capital circulant. Les grands patrons, disposent d’une somme allant jusqu’à 30 millions de francs CFA dont ils injectent une partie dans leurs réseaux. Leurs adjoints se voient confier l’équivalent de 500.000 à un million de francs CFA en nairas, les comptes étant apurés chaque soir ou en fin de semaine selon les cas, le dépendant ayant une commission fixée au préalable (une à deux nairas pour 1000 francs CFA changés). Les détaillants, quant à eux, travaillent le plus souvent avec un capital guère supérieur à un ou deux millions de francs CFA tandis que les cambistes ambulants ne disposent que de quelques dizaines de milliers de francs CFA. Contrairement aux activités commerciales, le marchandage n’est ici guère de rigueur et seul un léger rabais peut être obtenu sur le change d’une grosse somme.

Il est, d’autre part, hautement spécialisé et les cambistes n’exercent une activité marchande que si une opportunité s’offre à eux (cofinancement, par exemple, d’une importation de céréales). Abdallah faisait remarquer que son fonds de roulement était composé de nairas tandis que sa capitalisation s’effectuait en francs CFA «parce qu’il est dangereux de thésauriser en nairas car elle ne cesse de se dévaluer depuis plusieurs années». Ces surplus sont souvent investis dans le transport, l’immobilier (construction de villas ou de logements à usage locatif) voire l’agriculture et l’élevage comme le font beaucoup d’autres opérateurs économiques.

Jean-René Meva’a Amougou

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