CONTRE-ENQUÊTEPANORAMA

Comités ministériels : Plus de 10 milliards de FCFA gaspillés chaque année

L’argent est versé aux ministres, secrétaires généraux, directeurs… simplement parce qu’ils siègent au sein de ces instances qui, pour certaines, ne fonctionnent même pas. 

Une vue des services du Premier ministre à Yaoundé

Dans sa réforme visant les comités et groupes de travail ministériels et interministériels ad hoc, le gouvernement a maintenu les indemnités de sessions versées aux fonctionnaires lors de ces travaux. Un arrêté fixant le montant de ces paiements journaliers a été signé le 5 février dernier par le Premier ministre (voir ci-dessous). Ce choix ne va pas plaire à la Banque mondiale (BM). En effet, le même jour, lors de la présentation de la revue des dépenses publiques du pays, l’institution de Bretton Woods, qui accompagne le gouvernement dans la mise en œuvre de son programme d’ajustement avec le Fonds monétaire international (FMI), réitérait sa demande de suppression de cette « compensation informelle ».

Pour la BM, cette indemnité ne se justifie pas. Car elle est versée aux ministres, secrétaires généraux, directeurs et à une poignée d’autres agents publics, en contrepartie d’un travail pour lequel ils sont déjà payés à la fin du mois. Pour l’institution financière internationale, le travail réalisé au sein des comités et autres groupes de travail ne constitue pas un travail spécifique effectué en dehors des engagements contractuels. Ce travail est offert durant les heures de travail, et donc fait partie du quota horaire contractuel. Pour comprendre, il faut savoir que les comités ou les groupes de travail ad hoc sont des réunions de personnes chargées d’examiner certaines affaires, de donner un avis, de préparer une délibération, d’orienter une décision. Les primes devraient donc être accordées aux seuls experts, non-fonctionnaires, conviés à ces réunions.

Prime à l’inefficacité
En plus, ces avantages, non contenus dans le bulletin de paye, « encouragent des pratiques de recherche de rente », dénonce l’institution financière internationale. Le ministre des Finances l’a d’ailleurs reconnu. Selon Louis Paul Motaze, lorsqu’un comité ou un groupe de travail est créé, la pratique courante consiste à multiplier à l’infini le nombre de réunions. Les indemnités étant versées par session, l’objectif du stratagème est de se mettre plein les poches.

À en croire un expert qui a travaillé sur le sujet pour le compte de la Banque, « en général, les membres se réunissent en moyenne dix fois (réunions de compréhension du mandat, réunions de répartition des responsabilités, réunions en sous-groupes, réunions de validation…) ». Cette façon de faire « contribue à des retards dans les processus administratifs et les prises de décision», pointe la Banque. «La pratique des indemnités journalières a (également) donné lieu à une prolifération de comités et de réunions, et a causé une congestion et un double-emploi des institutions publiques, dont les mandats se chevauchent», indexe encore le partenaire technique et financier.

Selon les chiffres donnés par l’expert de la BM, en 2015, les services du Premier ministre (SPM), le ministère des Finances (Minfi) et celui de l’Économie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire (Minepat) comptaient plus de vingt comités et groupes de travail. Les autres ministères en comptent en moyenne sept. Sur cette base, et selon les calculs de notre source, ce sont plus de 10 milliards de francs CFA qui sont dépensés chaque année pour faire fonctionner ces instances. Ainsi, plus de 80% sont consacrés au paiement de primes, et le reste à la location des salles, à l’achat des fournitures de bureau et autres logistiques diverses.

Détournements
« Alors que le pays est en lutte contre son déficit budgétaire, c’est proprement ce type de dépense qu’il faut supprimer », commente un haut fonctionnaire. En plus, cet argent arrive souvent dans les poches de personnes n’ayant participé à aucune réunion. Selon l’expert de la BM, un audit a été réalisé en 2009 dans un ministère. Cette analyse a chiffré à plus de 71 millions de francs CFA le montant total décaissé entre 2007 et 2008 pour des comités qui n’avaient ni tenu de réunions, ni réalisé d’activités depuis 2007. L’ampleur des détournements peut aisément être imaginée en étendant l’enquête sur l’ensemble des administrations (SPM compris) et sur une période de 10 ans.

Ces distractions de fonds se font avec la bénédiction des chefs de département ministériel. Ils en sont d’ailleurs les plus grands bénéficiaires. Une revue des textes de création montre que les présidents et les vice-présidents des comités et groupes de travail sont généralement les ministres et les secrétaires généraux. «Une partie de nos primes est même souvent prélevée et reversée aux présidents et au vice-président. Et vous avez intérêt à coopérer si vous voulez vous retrouver dans un autre comité», indique un membre d’un groupe de travail au Minepat.

Aboudi Ottou

 

Réforme en trompe-l’œil 

Les nouveaux textes encadrant la création et le fonctionnement des groupes de travail ad hoc ne devraient pas changer grand-chose dans les dérives actuelles.

 

Deux nouveaux textes encadrent désormais la création et le fonctionnement des comités et groupes de travail interministériels et ministériels. Ils ont tous été signés par le Premier ministre. Il s’agit du décret du 30 novembre 2018, fixant les modalités de création, d’organisation et de fonctionnement des comités et groupes de travail interministériels et ministériels, et de l’arrêté du 5 février 2019, fixant les montants des indemnités de sessions versées lors des travaux dans ces instances.

Pain de paresse
Pour réduire les déperditions budgétaires notamment à l’origine de la réforme, la rationalisation des indemnités de session et du nombre de comités et groupes de travail interministériels et ministériels est cruciale. Mais à la lecture de ces textes, un haut cadre de l’administration centrale arrive à la conclusion que « le nouveau cadre juridique relatif au fonctionnement des comités présente des zones d’incertitudes ne garantissant pas la qualité de la réforme envisagée dans ce secteur ».

En ce qui concerne les indemnités, on constate que les montants sont, soit restés inchangés, soit ont légèrement augmenté pour les membres des comités et les groupes de travail interministériels (tableau 1 page 11). C’est au niveau des groupes de travail ministériels que ces primes ont été revues à la baisse (voir tableaux 2 page 11). De même, le principe de leur paiement par session a été maintenu. Il encourage pourtant la multiplication des réunions, engendrant des retards dans les processus administratifs et les prises de décision. Plus grave, une nouvelle poche de dépense a été créée. Désormais le Premier ministre (ou son représentant) et les ministres vont désormais recevoir 10 % de tous les budgets des comités et de groupes de travail interministériels dont ils assurent la supervision.

Contrôle à priori
Pour ce qui concerne les modalités de création, le nombre maximum de membres d’un groupe de travail ministériel, du groupe de travail interministériel et du comité interministériel est désormais limité à 10, 12 et 15. Toutefois, il n’y a pas de plafond du nombre de comités ou de groupes de travail par an. Bien plus, il semble curieux d’avoir laissé la catégorie de groupe de travail à la discrétion des ministres (nombre de groupes ou nombre de membres) alors que la principale dérive qu’on veut corriger a été entretenue par ces ministres (même si les ampliations sont prévues).

Pour mieux maitriser les dépenses de cette catégorie d’activités, les experts estiment qu’il aurait été bien plus efficace de plafonner les dépenses et d’assurer un contrôle d’efficacité. En plus, on aurait pu exiger, au sein de chaque ministère, d’inscrire dans le Projet annuel de performance (PPA) une rubrique Fonctionnement des comités, dont le nombre et la pertinence seraient analysés en amont, au moment du vote du budget. Ainsi, seuls les comités validés seraient alors créés au cours de l’année. En cas de situation urgente, le PM pourrait autoriser exceptionnellement la création d’un comité ou d’un groupe de travail. Ces deux propositions ont en effet l’avantage d’éviter une implication opérationnelle des instances de contrôle, et de faire uniquement une évaluation a posteriori de l’efficacité et de l’efficience des comités.

Aboudi Ottou

Fonction publique 

Une politique de rémunération injuste 

Pour compenser les bas salaires des agents publics, le gouvernement camerounais a mis en place un grand nombre d’allocations, en l’occurrence les indemnités de session. Celles-ci entrainent de larges distorsions dans le système de rémunération. 

 

Tout le monde en convient: les salaires de base des agents publics camerounais sont bas. Selon la dernière grille des salaires adoptée le 1er juillet 2014, le salaire de base mensuel le plus élevé (correspondant au grade A2) est de 342 809 francs CFA, tandis que le plus bas est d’à peine plus de 45 000. Ces salaires sont inférieurs à ceux de leurs homologues des pays pairs d’Afrique subsaharienne. À titre d’exemple, les salaires mensuels les plus élevés et les plus bas dans la Fonction publique au Rwanda sont respectivement de plus de 1,3 million de francs CFA (poste permanent de secrétaire) et de plus de 177 mille F CFA (secrétaire).

Par contre, le salaire de base au Cameroun est complété par une pléthore d’avantages complémentaires. Il s’agit, d’une part, des dotations en carburant et lubrifiant véhicule, des indemnités de mission à l’intérieur et à l’étranger et d’autre part, des heures supplémentaires, des gratifications, des indemnités spécifiques, des indemnités forfaitaires de tournées et de risques, des indemnités de permanence, des primes de rendement, des primes pour travaux spéciaux et des primes spécifiques. Entre 2006 et 2015, ils ont représenté au moins 10% de la masse salariale globale de l’État tous les ans avec un pic à 25% en 2009 et 2012.

Inégalités
Ces avantages ne profitent qu’à une poignée d’agents publics. «Très souvent, il s’agit des agents qui sont en A2 et qui occupent des postes de responsabilité ou gèrent des projets», détaille un expert. Ces distorsions dans le système de rémunération de la Fonction publique sont encore aggravées par les indemnités de session versées aux participants à des comités, des commissions ou des réunions spéciales qui sont pour l’essentiel des ministres, des secrétaires généraux et des directeurs. Ceux-là mêmes qui captent déjà la quasi-totalité des avantages complémentaires. Cette pratique leur offre par session près de 70 à 100 % du salaire de base mensuel des fonctionnaires (graphique 1).

Du coup, «90 % du personnel (en particulier ceux qui n’ont pas de poste d’encadrement et les agents contractuels) ne sont pas satisfaits de leur niveau de rémunération», indique la Banque mondiale. Pour le partenaire technique et financier, cette réalité invite à une réforme sur la politique globale de la rémunération dans la Fonction publique. Il s’agira d’harmoniser les statuts (qui procurent des avantages différents et pas toujours justifiés, d’un corps à l’autre), les primes au sein des ministères (qui varient d’un ministère à un autre), de réduire les disparités entre contractuels ou fonctionnaires (voir graphique 2) ou entre les fonctionnaires des administrations centrales et ceux des établissements publics ou des entreprises publiques.

 

Tableau 1. Indemnités de session des membres d’un comité ou d’un groupe de travail interministériel

Tableau 2. Indemnités de session des membres d’un groupe de travail ministériel

Graphique 1. Comparaison indemnité journalière – salaire mensuel de base

Graphique 2. Niveau du salaire de base des fonctionnaires et des agents contractuels (FCFA)

 

Les solutions de la Banque mondiale

Pour la Banque mondiale, le système actuel de rémunération nécessite des réformes majeures, en particulier pour fournir de façon transparente et équitable d’adéquates incitations qui amélioreront les performances de la Fonction publique. Ci-dessous les options politiques proposées par l’institution de Bretton Woods pour améliorer la situation.

 

À courts et moyens termes (un an à trois ans) :
• Procéder à un examen détaillé de la structure de classification et de rémunération; effectuer une analyse du revenu réel des fonctionnaires ; développer un nouveau système de rémunération qui intégrera dans le salaire de base certaines indemnités et paiements ad hoc, afin d’aboutir à un système de rémunération équitable et transparent;

• Clarifier et reclasser les dépenses budgétaires ayant nature de rémunération, comme les indemnités journalières, et les inclure dans la masse salariale, conformément aux directives de gestion des finances publiques ;

• Suspendre le paiement des indemnités journalières pour les participants aux réunions, vu que celles-ci devraient être partie intégrante de la fonction et qu’elles ne sont pas juridiquement autorisées ;

• Rationaliser et réduire les dépenses non essentielles qui ne sont pas consacrées aux fins prévues, mais offertes comme une incitation à l’augmentation des revenus (carburant et frais de déplacement), et réaffecter les économies potentielles au budget programme qui contribuera directement à améliorer la prestation des services.

À moyen terme (deux à trois ans) :
• Continuer à renforcer la traçabilité, le contrôle et la responsabilisation des dépenses de carburant et de déplacement. Redéfinir les critères d’allocation de ces ressources entre les ministères et en leur sein ;

• Expérimenter un système de primes basées sur la performance, et classer la ligne budgétaire dans la masse salariale.

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