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Cameroun : Les riches font main basse sur la croissance

Depuis une décennie, la richesse créée dans le pays est captée par les plus aisés. Conséquence, le nombre de pauvres augmente.

La consommation des 20% des ménages de la tranche la plus riche représente plus de dix fois celle des 20% des ménages de la tranche la plus pauvre

La lutte contre la pauvreté est l’un des échecs cuisants du Document de stratégie pour la croissance et l’emploi (DSCE), qui arrive à échéance le 31 décembre 2019. «Entre 2010 et 2018, la pauvreté au Cameroun a reculé de moins de 3%, alors même qu’on avait espéré faire reculer ce phénomène de 10%», avoue Paul Tasong. Le ministre délégué auprès du ministre de l’Économie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire (Minepat) conduit l’évaluation du DSCE dans la perspective de l’élaboration du prochain outil de planification.

Nombre des pauvres en hausse
Plus précisément, pour les dix années (2010-2019) de mise en œuvre de la première phase de la Vision 2035 (qui vise à faire du Cameroun un pays industrialisé), le gouvernement s’est fixé comme objectif de réduire le taux de pauvreté monétaire de 39,9% en 2007 à 28,7%. Or, les projections les plus optimistes estiment que ce taux devrait se situer autour de 36% au 31 décembre 2019.

Selon la 4e Enquête camerounaise auprès des ménages (Ecam 4), rendue publique en 2016 par l’Institut national de la statistique (INS), le nombre de pauvres a même une tendance haussière. De 7,1 millions en 2007, le nombre de Camerounais qui vivent en deçà du seuil de pauvreté monétaire (fixé à 339 715 francs CFA par an, soit 931 francs CFA par jour) est passé à 8,1 millions en 2014. Cela s’explique par le fait que le rythme de réduction de la pauvreté (autour de 0,34 par an) est extrêmement inférieur à celui d’évolution de la population (en moyenne de 2,6% par an).

Les zones rurales, le Septentrion et le Nord-ouest sont les plus touchés. Ces quatre régions représentent ensemble 74% de la population pauvre. «La détérioration des conditions de sécurité depuis 2014 dans les régions du Nord et l’aggravation de la crise dans les régions anglophones pourraient avoir exacerbé la situation des pauvres, en raison de l’afflux croissant de réfugiés et de personnes déplacées », estime le Fonds monétaire international (FMI). Aujourd’hui, le Programme alimentaire mondial chiffre par exemple à plus de 440 000 le nombre de déplacés liés à la crise anglophone.

Croissance des inégalités
Et pourtant, entre 2010 et 2019, la croissance moyenne n’a certes pas atteint les 5,5% souhaités, mais la richesse a suffisamment augmenté pour entrainer une réduction significative de la pauvreté. La croissance moyenne sur ces dix années devrait se situer autour de 4,7%. Le problème, estime le FMI, est que la politique budgétaire du Cameroun est «très peu redistributive» (voir ci-dessous). Du coup, «les fruits de la croissance n’ont bénéficié qu’à une minorité», explique Paul Tasong dans une interview accordée à Cameroon Business Today, parution du 30 janvier dernier. «Les riches sont devenus plus riches et les pauvres plus pauvres», reconnait le ministre dans les colonnes de ce journal.

Selon Ecam 4, les inégalités de revenus mesurées par l’indice de Gini se sont en effet accentuées de 7 points, entre 2007 et 2014. À titre d’illustration, la consommation des 20% des ménages de la tranche la plus riche représente 10,1 fois celle des 20% des ménages de la tranche la plus pauvre. À en croire l’INS, «si les inégalités, mesurées par les écarts de consommation entre pauvres et non pauvres étaient restées inchangées, le niveau de croissance économique aurait pu permettre de ramener le taux de pauvreté de 39,9% en 2007 à 21,8% en 2014, soit un recul de 18 points».

Aboudi Ottou

 

Une politique budgétaire appauvrissante

Selon une étude du Fonds monétaire international, l’État prend plus aux plus pauvres qu’il ne leur donne.

 

Pour réduire les inégalités et par conséquent lutter contre la pauvreté, les États se servent du budget. Pour schématiser, il est question de prendre plus chez ceux qui en ont plus, pour donner plus à ceux qui en ont moins. Cette redistribution se fait à partir de la politique fiscale et des dépenses publiques. Au Cameroun, il se passerait le contraire. En effet, une étude du Fonds monétaire international (FMI), datant d’octobre 2018, conclut que «La fonction redistributive, relativement faible, des politiques budgétaires actuelles se traduit pour les ménages les plus pauvres par des avantages plus faibles que les charges fiscales indirectes sur leurs activités de consommation». En d’autres termes, l’État en prend plus aux plus pauvres qu’ils ne leur en donnent.

À en croire certains fiscalistes, cela est en partie dû à la structure fiscale du Cameroun. En 2017 par exemple, près de 60% des recettes non pétrolières de la direction générale des impôts provenaient de l’impôt sur la consommation. Or, ce prélèvement est considéré comme aveugle, frappant de la même façon le riche et le pauvre. Et l’impôt sur le revenu des personnes physiques (qui concernent les revenues et donc davantage les personnes aisées) n’a représenté que 17% des recettes.

Mauvais ciblage
En plus, constate le FMI, les dépenses effectuées par le gouvernement, prétendument pour lutter contre la pauvreté, sont captées en majorité par les riches. À titre d’illustration, les exonérations de Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et les subventions énergétiques bénéficient davantage aux ménages les plus aisés. Ainsi, à titre d’illustration, en 2014, respectivement 94,5% et 86,3% des dépenses totales (exonération de TVA) de consommation de poissons congelés et de riz ont profité aux ménages non pauvres, et 50% des ménages (représentant les tranches les plus aisées) ont reçu environ 78% des subventions sur l’électricité, 96% des subventions sur l’essence et 67% des subventions sur le kérosène.

En cause, selon le FMI, «la faible couverture des transferts en espèces et quasi-espèces (comme le programme des filets sociaux NDLR), le mauvais ciblage des transferts indirects comme les subventions énergétiques et les exonérations de TVA et la dépense encore insuffisante et relativement inefficace dans l’éducation et la santé».

Bien qu’inefficaces, ces subventions génèrent des coûts budgétaires non négligeables en termes de manque à gagner de recettes pour l’État. D’après une étude des autorités, en 2016, les dépenses fiscales ont totalisé 2,6% du PIB, et en 2014, les subventions sur l’électricité et le carburant ont représenté plus de 2% du PIB. Pour le FMI, il est donc urgent de réformer la politique budgétaire du Cameroun pour la rendre plus redistributive.

Aboudi Ottou

Les solutions du FMI 

Dans son étude, l’institution de Bretton Woods propose des réformes qui devraient améliorer l’impact redistributif de la politique budgétaire du Cameroun.

 

Pour réduire significativement la pauvreté, le FMI propose de supprimer les transferts indirects (exonérations de TVA, subvention à l’énergie…) qui profitent principalement aux plus aisés. Ces mesures devraient engendrer plus d’argent pour les caisses de l’État. Le Fonds conseille d’orienter une partie de ces ressources vers les dépenses qui bénéficient le plus aux pauvres (transferts directs en espèces ou quasi-espèces et transferts en nature comme les services publics gratuits ou subventionnés d’éducation et de santé, voir simulation page 11).

À ce jour les dépenses totales en protection sociale représentent moins de 0,1% du PIB. On pourrait y consacrer davantage de ressources, en mettant par exemple en place un système de minima sociaux. Les minima sociaux visent à assurer un revenu minimal à une personne (ou à une famille) en situation de précarité. Ce sont des prestations sociales non contributives, c’est-à-dire qu’elles sont versées sans contrepartie de cotisations. Il pourrait s’agir d’une allocation chômage ou d’une indemnité versée aux personnes vivant dans des régions où la pauvreté est endémique, comme l’Extrême-nord. Le défi, à ce niveau, est de concevoir un outil qui limite les abus.

À en croire le FMI, les transferts en nature sont actuellement les instruments de réduction des inégalités et de la pauvreté les plus efficaces. «Au niveau du revenu final, où la valeur des services d’éducation et de santé en nature est comptabilisée, la réduction de la pauvreté et des inégalités est plus importante. La pauvreté a baissé de 5 points de pourcentage au niveau national, et le coefficient de Gini est passé de 44 à 41», constate l’institution de Bretton Woods. Ici, le Fonds propose de faire deux choses : d’abord améliorer l’efficacité des dépenses par une réorientation des ressources des secteurs éducatifs vers les régions et les ménages qui en ont le plus besoin et décentraliser les dépenses de santé vers les établissements de soins primaires des régions les plus pauvres ; ensuite, augmenter les dépenses d’éducation et de santé.

Aboudi Ottou

 

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