PANORAMAPORTRAIT DÉCOUVERTE

Calvaire à vif sur la Nationale N°1

A cause de la monstruosité de la route, rallier la capitale régionale de l’Adamaoua à celle du Nord en voiture relève d’un vrai parcours du combattant. Reportage. 

A Ngaoundéré (région de l’Adamaoua), une plaque orne le hall-passagers d’une compagnie de transport interurbain. Visible au premier regard, elle renseigne sur les prix et les différentes dessertes. Dans le gazouillis des personnes en quête de tickets d’embarquement, un militaire y jette un coup d’œil et ne manque pas de partager ses observations avec ses deux collègues. «Ngaoundéré-Garoua, là, c’est juste un trait net sur la carte », dit-il, un brin amusé par les indications sur la distance et la durée maximale pour la couvrir en voiture. «287 kilomètres, 4 heures 30 mn», reprend le bidasse visiblement contraint d’intégrer la vieillesse de ces détails. «Ça, c’était au temps d’Ahidjo», rectifie l’homme en tenue.

«On n’a encore rien vu»

Telle que thématisé, l’axe Ngaoundéré – Garoua (et inversement) masque encore son identité. A écouter une speakerine de la compagnie, l’affaire se raconte dans une langue cursive sur fond commercial. «Passagers à destination de Garoua, nous vous souhaitons un agréable voyage et revenez-nous bientôt», entend-on depuis les haut-parleurs. Avec un sens aigu de fantaisie, la même voie ajoute: «A bord, wifi disponible, juste quelques heures et nous vous déposons à destination». Il est 12 heures.
Sur le coup, le plus difficile est de cerner l’état de la route. Dès la sortie nord de la capitale régionale de l’Adamaoua, le ton est donné. Et parce que la veille, il a plu, des camions téméraires ont défoncé la chaussée, laissant des fondrières. L’autobus chancelle. Chez quelques passagers, les nerfs sont à la pelote. Chez d’autres, des militaires notamment, rien n’interdit d’aimer çà. D’ailleurs, quelqu’un parmi eux s’amuse diablement en avisant qu’«on n’a encore rien vu». Le tableau suivant lui donne raison.

Avant la «falaise», c’est le lieu-dit «Wack». Il y a quelques années, c’était un cocon paradisiaque, écolo-chic, pour une destination tropicale. Grâce à ses longs rubans de plaines verdoyantes, ses bougies artisanales et son grand savoir-faire en poterie, Wack triomphait, en ces temps-là, au hit-parade des lieux touristiques de l’Adamaoua. Aujourd’hui, le segment de la Nationale N°1 passant par ici est devenu une véritable adresse du pitoyable. Parce que façonnée par de monstrueuses mares d’eau et des éperons rocheux, la chaussée emprunte au décor du Paris-Dakar.

Comme alternative, les gros porteurs se perdent dans un labyrinthe de ruelles tortueuses. L’affiche enserre toutes les scènes de véhicules mis à rude épreuve. Au diable le code de la route ! On avance au hasard. On monte. On descend. On remonte. On s’essouffle. Parfois, les conducteurs arrêtent leur moteur. Ils apprécient et décident de la meilleure option permettant de continuer.

Instant de répit

En continuant, au moins on est sûr de rouler sur une route moderne sur 10 kilomètres environ. C’est à la «falaise» de Mbé. Il faut rester concentré. Le curseur de la prudence est poussé au maximum. On soupire devant de belles circonvolutions tracées entre 2016 et 2017 par une expertise chinoise. Le format de la route infuse un luxe épuré, lequel offre de multiples échappées sur un extraordinaire parc arbustif en contrebas. En plus du rechargement latéritique et du traitement des bourbiers et des nids de poules, du béton bitumeux y a été posé. Sans conteste l’adresse la plus spectaculaire de l’Adamaoua. Sur ses pentes, au gré de l’érosion et des intempéries, une structure calcaire dure s’est formée. A propos de cet endroit, quelques personnes se souviennent des thèses diverses et variées, parfois fantasques. Il n’en fallait pas plus pour générer une réputation calamiteuse. En témoignent le surnom donné à ce passage supposé hanté et maudit: «cimetière des égarés».

160 km de la mort

A Mayo Mbam, la borne kilométrique signale qu’on est à 160 km de Garoua. Comme toute histoire d’amour compliquée, celle des voitures et de la route ne l’est pas moins. C’est d’un processus de domestication des eaux et de gros nids de poule que le voyage entre Ngaoundéré et Garoua tire son ambiance herculéenne, propice à une satanée romance. Pas un mètre sans que l’acier des coques ne souffre et crisse. Parce que sur place, des ravines longitudinales ou transversales sont légions sur un linéaire de 40 km. Plus loin à Mayo Mogbé, sous l’effet conjugué de l’intense trafic, du manque d’entretien et du sous dimensionnement de la chaussée, la couche de roulement de celle-ci a totalement disparu. Un riverain indique qu’il suffit d’une simple pluie pour que les venelles du coin se transforment en bourbier.

En ce mois de juillet, «c’est le calvaire au quotidien», énonce un autre, solidaire au ras-le-bol des chauffeurs routiers. Les fortes précipitations qui déferlent sur cette contrée Mboum ont vite fait de balayer les rares oasis de bitume. Pour sauver la route de l’asphyxie, une élite locale y a lancé des travaux d’appoint. «Ça n’a pas suffi», raconte El Hadj Sidibé Lanal, l’iman de Mayo Mbam. Dans cet environnement, les automobilistes marquent lourdement l’espace, d’autres l’effleurent. Tous sont solidaires et concurrents pour se frayer le moindre passage. La situation porte un coup sur les mœurs sociales pour faire le lit de la dépossession culturelle. Sur ce chapitre, quelques habitants racontent que pour éviter d’abîmer leurs véhicules, quelques chauffeurs trouvent facilement leur voie dans les cours ou leurs arrières, profanant allègrement les tombes.

Epine de campagne

Selon une autorité municipale, ce piteux état de la route a rejailli des débats lors d’un meeting de soutien à Paul Biya, récemment tenu ici. A l’occasion, apprend-on, les populations décontenancées ont fait part de leur étonnement et demandé des précisions aux élites locales.

C’est également le cas à Mayo Lagwaka, Mayo Djaba, Mayo Gon, Mayo Salah et Mayo Bocki, contrées situées le long du tronçon Ngaoundéré-Garoua. Ici, pas de monde à comprendre ou à interpréter, pas d’écriture à déchiffrer, mais une invitation à se perdre dans l’état de la route selon sa forme. Là, le voyage est devenu un écheveau de débats et de problèmes, une épiphanie à la gloire du temps passé. «Il y a dix ans, ce n’était pas comme ça», se souvient un homme. Partout ici, la tension ravage les habitants. Leurs complaintes auscultent un écho assourdi par le temps qui passe sans que rien ne soit fait dans le sens de la réfection de la route. Les uns et les autres supputent que l’état de celle-ci consiste non seulement à montrer l’échec des politiques publiques, mais aussi à appréhender la réalité sur fond d’insultes. Puisqu’en fin de compte, Garoua est rallié 15 minutes après 22 heures. Soit plus de… 10 heures de route.

Jean-René Meva’a Amougou,

de retour de Maroua

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *