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Crise anglophone: Paul Biya joue ses dernières cartes

Plan d’urgence humanitaire et nominations des anglophones à de hautes fonctions, tel est décliné le bouclier qu’utilise le chef de l’Etat pour contrer la violence dans le Nord-Ouest et le Sud – Ouest du pays. 

Il a encore tiré son écritoire et sorti sa plume le 05 juillet dernier. Ce jour-là, Paul Biya a décidé de porter Mme Feh Helen Kwangan -épouse Galega- à la tête du conseil d’administration de l’Ecole nationale d’administration et de magistrature (Enam) de Yaoundé. Ancienne directrice des droits de l’Homme et de la coopération internationale au ministère de la Justice, l’heureuse promue est une magistrate de 4ème grade.

A la faveur d’un décret présidentiel, cette originaire de la région du Nord-ouest élargit de fait le cercle des anglophones nommés, depuis peu, par le chef de l’Etat à des postes de poids. On cite aussi volontiers Paul AtangaNji et Pauline Nalova lyonga, respectivement propulsés ministres de l’Administration territoriale et des Enseignements secondaires. «Des anglophones titularisés à ces postes-là, c’est la première fois depuis l’indépendance», situe Elvis Ngolle Ngolle sur le plateau de «Inside the presidency», un magazine de la télévision publique camerounaise, diffusé le 02 juillet 2018. Le même jour, ce natif du Kupe Manengouba (région du Sud-Ouest) est désigné président du conseil d’administration de l’hôpital général de Douala.

A Yaoundé, au cours d’une conférence de presse qu’ils donnent le 05 juillet 2018, Issa Tchiroma Bakary et Paul Atanga Nji vantent solidement le «Plan d’urgence humanitaire» et les modalités de son financement. Le ministre de la Communication (Mincom), appuyé par son collègue de l’Administration territoriale (Minat), renseignent que ce plan budgétisé à hauteur de 12,7 milliards de francs CFA, est en train d’être mis en œuvre. Pour justifier l’opération, le site internet de la présidence de la République voit en Paul Biya un homme «soucieux du retour au calme et du bien-être des populations des régions du Nord-ouest et du Sud-ouest en proie aux troubles à causes des violences perpétrées par des terroristes depuis deux ans».

Regards

Relativement à ces actualités, la crise anglophone sert d’aiguillon à des grilles de lecture. Celles-ci s’attachent à présenter Paul Biya plaçant tout son espoir dans le bouclier construit par des nominations et le «Plan d’urgence humanitaire». D’un côté, certains qualifient cet appoint en cash «d’instrument politique». «Il (le chef de l’Etat) sait que les semaines qui s’annoncent seront fatidiques. Pour lui. Pour la présidentielle notamment. Eteindre la crise anglophone, c’est pile ou face pour lui», analyse Anemboh Monju. La communicatrice du Social Democratic Front (SDF) fait remarquer que mis sous pression par le contexte actuel, Paul Biya a missionné Philemon Yang, son Premier ministre, en parallèle d’autres tâches spécifiques pilotées sur le terrain par le Minat.

«Au-delà de toute cette agitation et autres effets de manche, il faut surtout lire le plan d’urgence humanitaire sous le prisme de l’urgence justement, c’est-à-dire celle imposée par le calendrier électoral», suggère Jean-Marc Bikoko, membre de la coalition «Tournons la page» (un consortium d’organisations de la société civile pour l’alternance pacifique). Pour lui, l’actuel locataire d’Etoudi est «suffisamment échaudé par la crise anglophone qu’il est tenu de désamorcer les tensions à l’aide de ces deux instruments». Par rapport à cela, le président exécutif de Dynamique citoyenne a des doutes. «Ce type de dispositif, dit-il, a surtout pour but d’essayer d’éteindre un incendie, mais ne traite jamais le problème à la racine. C’est juste des saupoudrages successifs au lieu de réformes profondes et utiles pour le long terme».

Sur la même veine, Josué Ngounang, le président de l’ONG «Cameroon First» croit que la pression de la crise dans la partie anglophone du pays oblige le président de la République à jouer son va-tout, en espérant obtenir des résultats immédiats. De son point de vue, le Plan d’urgence humanitaire et les nominations d’anglophones aux fonctions stratégiques se révèlent hors d’atteinte, faute d’avoir établi une stratégie de longue haleine.

Jean-René Meva’a Amougou

Plan humanitaire d’urgence

10 milliards à mobiliser en un trimestre 

Le gouvernement annonce pour cette semaine le début des premières actions de son plan d’assistance aux populations des régions anglophones. 

Pour financer son plan d’assistance humanitaire d’urgence, d’un montant de 12,7 milliards de francs CFA, en faveur des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, le gouvernement a prévu des contributions des particuliers. Dès son annonce, des quêtes ont donc commencé à travers le pays. Du pointage fait au 08 juillet 2018, 1,2 milliard de francs CFA avaient déjà été collectés repartis ainsi qu’il suit: 236 millions mobilisés par le Nord-ouest et le Sud-ouest; 21 millions collectés dans l’Adamaoua ; 120 millions atteints dans le Sud ; 152 millions récoltés par le Centre; le Littoral culmine à 230 millions; le Nord rassemble 40 millions et l’Ouest culmine à plus de 400 millions. Cette enveloppe devrait augmenter dans les prochains jours avec les collectes dans les deux régions restantes. Il faut donc mobiliser environ de 9 milliards de francs CFA pour avoir les 10,2 milliards de francs CFA nécessaires pour «les actions à mener en urgence dans les trois premiers mois». Les 2,5 milliards restants sont à dépenser pendant les cinq derniers moins.

Ce plan, conçu pour une durée de huit mois, vise à rétablir un cadre de vie propice à l’épanouissement et au développement des communautés affectées par la situation sociopolitique dans les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest ; apporter une assistance humanitaire d’urgence aux populations en détresse ; assurer la réinsertion socio-économique des populations affectées ; promouvoir la cohésion sociale et le vivre-ensemble ; réhabiliter les infrastructures détruites. L’accès au logement, la fourniture des denrées alimentaires et des produits de première nécessité, l’éducation, le logement, la protection et la reconstitution des documents individuels sont d’autres domaines couverts par cette initiative qui intègre également des visites d’assistance et de réconfort aux populations réfugiées au Nigeria.

«Toutes ces activités seront précédées par les descentes sur le terrain auprès des populations directement concernées et des leaders d’influence communautaire, afin de leur permettre de s’approprier à la fois la consistance et le bien-fondé de ce programme d’assistance», explique le ministre de la Communication Issa Tchiroma Bakary. Ces décentes sur le terrain devraient débuter cette semaine, précise pour sa part Paul Atanga Nji. «Les activités du comité vont débuter dès la semaine prochaine sur le terrain. Il s’agit des instructions du chef de l’Etat en vue de la concrétisation du plan d’assistance humanitaire d’urgence», indique le ministre de l’Administration territoriale, au sortir de la première réunion du comité interministériel ad-hoc en charge de la mise en œuvre du plan gouvernemental d’assistance humanitaire d’urgence, le 04 juillet dernier.

Bobo Ousmanou

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