Dans les surfaces commerciales, les prix ne cessent de grimper comme des lièvres échappés d’un champ.

À Douala, les récents troubles sociaux ont laissé derrière eux une empreinte douloureuse : l’inflation. Elle bat son plein et la vie quotidienne ressemble désormais à un véritable marathon pour le portefeuille. Dans les marchés et les boutiques de la capitale économique, les consommateurs observent, bouche bée, les étiquettes s’emballer à chaque étal. Certains se tournent vers le marché noir pour dénicher des prix plus abordables, tandis que d’autres réduisent leurs achats à l’essentiel.
Les habitudes changent : le poisson fumé du dimanche se fait rare, le manioc du mercredi l’huile et même le simple sachet de sel se négocient à prix d’or. Les légumes frais deviennent des trésors à savourer avec parcimonie. Même les repas familiaux semblent désormais dictés par la loi du portefeuille plutôt que par l’appétit. Quelques citoyens font preuve d’une créativité héroïque. Roland, chauffeur de moto, confie avoir réduit son petit-déjeuner à un seul beignet. « J’appelle ça mon régime gouvernemental », plaisante-t-il. L’humour devient un bouclier contre la peur du lendemain.
Mais derrière les sourires forcés, la tension est réelle : les revenus stagnent, les loyers flambent, et la peur d’une pénurie générale s’installe.Dans les quartiers populaires, la débrouille prend des allures de sport national. On partage le gaz, on cuisine à plusieurs, on troque le savon contre des tomates. « Ici, on n’a pas encore inventé la monnaie de la patience, sinon on serait tous riches », ironise Clarisse, mère de trois enfants.Dans cette ville qui ne dort jamais, les klaxons ont perdu de leur arrogance. Même les motos-taxis roulent plus lentement, comme pour ménager le peu d’essence encore abordable.
ce climat de gravité, certains Doualais gardent un sens de l’humour aiguisé. « On dit qu’il faut rire pour ne pas pleurer, mais à ce rythme, il va falloir rire tout en faisant attention à la facture », plaisante une mère de famille en calculant le prix de ses courses. Cette résilience teintée de malice est peut-être l’un des rares remèdes capables de traverser l’orage économique.
Du côté des commerçants, le constat est tout aussi alarmant. Plusieurs boutiques ont baissé leurs rideaux, non pas pour une sieste bien méritée, mais par crainte de pertes et de vols. « On ne sait plus si l’on vend ou si l’on brûle notre argent », soupire un marchand de quartier, l’air mi-amusé, mi-désespéré. La peur plane, et les transactions se font désormais dans un mélange de prudence extrême et de calculs dignes de financiers chevronnés.
Aujourd’hui, c’est pour la survie », lâche Mado, vendeuse de riz au marché Mboppi, en ajustant son foulard. Autour d’elle, plusieurs stands sont restés fermés. « Les gens ont peur. Entre les vols, les taxes et la colère dans les rues, beaucoup préfèrent attendre que ça passe ». Problème : ça ne passe pas. Les prix continuent de grimper comme s’ils ignoraient la gravité terrestre.
Pour les économistes, la situation est préoccupante. Elle est tout sauf anodine. « L’inflation actuelle est le symptôme d’une économie sous tension politique », analyse le chercheur Blaise Nguegang. « L’inflation à Douala n’est pas seulement un chiffre sur un graphique : elle a un impact direct sur la stabilité sociale et le moral des ménages », explique-t-il en expert pince-sans-rire mais sérieux dans son analyse.
Selon lui, si la tendance se maintient, la ville pourrait connaître une rétraction économique importante, aggravant encore les inégalités et la tension sociale.Selon Blaise Nguegang, la combinaison de la peur, de la spéculation et des troubles sociaux crée une spirale difficile à casser. Les autorités, elles, multiplient les appels au calme et promettent des mesures de stabilisation.
En attendant, les Doualais s’adaptent ou plutôt, ils improvisent. Et malgré tout, la vie continue : les rires d’enfants résonnent encore dans les ruelles, les vendeuses de plantains continuent de négocier, et les radios locales commentent avec un humour amer la « danse des prix ».Douala se trouve donc à la croisée des chemins : entre la flambée des prix et la fermeture progressive des commerces, la ville vit un épisode difficile, où la survie quotidienne devient un acte de stratégie.
Mais au milieu de ce tumulte, les habitants continuent de sourire, parfois jaune, parfois forcé, mais toujours avec la détermination de ne pas se laisser écraser par les chiffres. L’inflation peut bien grimper, Douala, elle, continue de marcher… et de se battre.
Bobo Ousmanou




