PANORAMAPORTRAIT DÉCOUVERTE

Winnie Mandela… Une vie, une anthologie

Femme adulée puis controversée, l’existence de cette combattante de l’apartheid n’a pas été un long fleuve tranquille.

Le couple Mandela, légendaire pour l’éternité.

«Winnie Madikizela-Mandela. C’est le nom. C’est aussi la femme. Rebelle et désormais une légende planétaire en pointe». Le Pr Laurent Zang qui a côtoyé l’ex-femme de Nelson Mandela lors de ses multiples séjours en Afrique du Sud, veut d’emblée se défaire du contre-emploi que certains médias font du portrait de la combattante, au lendemain de son décès survenu le 1er avril 2018 en Afrique du Sud. Toutefois, l’enseignant de l’Institut des relations internationales du Cameroun (Iric) sait suffisamment varier ses emprunts à une pléiade de biographes ayant collectionné des clichés et qui les redistribuent aujourd’hui comme un jeu de cartes.

«Certainement que ceux qui ont écrit sur cette dame ont trouvé quelque chose ou plusieurs choses positives. Et parce qu’il est évident qu’on apprend rien des idiots, il y a de la matière en Winnie, même morte. Dans un monde où la sensibilité s’émousse, Winnie est un cadeau à offrir pour tous ceux qui souffrent de leur intelligence », suggère l’enseignant.

Amour éperdu ?

La réponse est évidente. Surtout pour quiconque cherche à interpréter les tableaux à l’aune du passé tragique de cette femme née le 26 septembre 1936 dans la province du Cap oriental. Et si le Pr Laurent Zang préfère cet angle, c’est que jusqu’au bout, «Mama Winnie» est restée fidèle au township noir de Soweto, le cœur de la lutte antiapartheid. Là où elle avait rencontré Nelson Mandela en 1957, devant un hôpital. D’ailleurs, ils se sont mariés très vite, dès 1958.

Dans les townships. Elle a continué à y vivre quand ses frères de combat l’avaient quitté. Mandela aussi. A son retour, ce dernier est arrêté le 05 août 1962… Jeté en prison pendant 27 ans. Calcul rapide : Winnie n’a véritablement vécu auprès de son époux que deux ans au maximum. Dans les lettres de son prisonnier d’époux qu’elle reçoit, il y a beaucoup de tendresse. Et quand Winnie arrache l’autorisation de venir rendre visite à son mari, le couple n’a que 40 minutes pour se dire tout ce qu’ils ont à se dire.

Trop peu, trop frustrant ! Mandela réclame ce qu’on appelle des «visites de contact». Mari et femme peuvent être dans la même pièce et se parler directement, se toucher, à tous les sens du mot. Ce sont des visites qui durent deux heures. Le temps qu’il faut, écrit Mandela dans ses lettres, pour parler des problèmes de famille, de l’éducation de leurs deux filles. Mais les autorités refusent obstinément. Ce qui explique la réponse bouleversante que Mandela a faite à un journaliste le surlendemain de sa sortie de prison.

Celui-ci lui demandait quel fut son plus grand choc en redécouvrant le monde après avoir vécu vingt-sept ans derrière les barreaux. Mandela lui avait répondu que ce fut de se retrouver avec sa femme dans la chambre à coucher de leur maison à Soweto, le premier soir. Ils étaient devenus deux étrangers.

Clash

Mariée en 1958 avec Mandela, bannie en 1977 dans le petit village de Brandfort dans l’Etat libre d’Orange, elle est divorcée depuis 1996. Son attitude est telle que Nelson Mandela l’homme qui a su engager le dialogue avec le régime raciste qui l’avait emprisonné pendant 27 ans disait d’elle à l’époque: «Même si l’univers entier me pressait à une réconciliation, je ne pourrais pas». De fait, Winnie était séparée de Nelson depuis déjà quatre ans. Mandela voulait une séparation à l’amiable. Winnie l’a acceptée. Cette séparation était autant sentimentale que politique.

Winnie Mandela qui était proche de la sensibilité de la frange de l’extrême gauche du parti n’a eu de cesse de critiquer son illustre mari pour l’accord historique passé avec les Blancs pour mettre fin à la ségrégation. Les années de prison de Nelson Mandela l’avaient aussi éloigné sentimentalement de son époux. Ils ont payé tous les deux un très lourd tribut à l’Histoire. Leur amour est sans doute l’une des plus grandes victimes de l’apartheid.

En 1992, elle était démise de toutes ses fonctions dirigeantes au sein du Congrès national africain (ANC) après des accusations de corruption dans son département des Affaires sociales. Limogée en 1995 du gouvernement où elle occupait le poste de ministre des Arts, de la Culture, de la Science et de la Technologie, elle engage un conflit ouvert avec la direction de l’ANC qu’elle accuse de «trahison» du peuple. Laquelle lui reproche son «populisme» et son «charlatanisme». Dans l’Afrique du Sud raciste, durant l’état d’urgence, un groupe de jeunes assuraient la sécurité de Winnie Mandela.

Au plus fort de l’insurrection contre le régime de l’apartheid, ils choisirent de dissimuler leur activité en se présentant comme une association à vocation sportive. Censé servir également d’officine de recrutement pour la branche armée de l’African National Congress, le Mandela United Football Club (MUFC) naviguait entre culte de la dissimulation et religion du secret. Ses membres s’épiaient et se tenaient à l’œil les uns les autres. Très vite, le soupçon et la fébrilité prirent le pas sur la confiance et la sérénité.

Comme il fallait le redouter, tout cela dériva progressivement vers une sorte de coterie criminelle sans grand rapport avec la lutte contre l’oppresseur. Accusées de servir les intérêts de la police ou d’être des «infiltrés», plusieurs personnes passèrent de vie à trépas, victimes de simples rumeurs ou de règlements de compte.

Héritage

Où situer la responsabilité de Winnie Mandela ? Victime de nombreuses trahisons, l’ex-épouse de Nelson Mandela redoutait particulièrement les Noirs alliés à la police. Ses déclarations maladroites sur la nécessité de leur faire subir «le supplice du collier» traduisaient un ras-le-bol. Nombreux parmi ses compagnons de lutte se rendirent, effectivement, complices des brimades à son encontre.

D’autres contribuèrent à orchestrer une campagne de diffamation. De sa vie intime à sa vie professionnelle en passant par sa vie familiale, rien ne lui fut épargné. Dans sa cellule de Robben Island, son époux retrouvait régulièrement des coupures de presse évoquant ses liaisons amoureuses. Fouilles vaginales, isolement et tortures furent son quotidien durant ses 491 jours de prison.

S’étant séparée de ses filles, parties étudier au Swaziland, elle dut aussi accepter de ne plus travailler. Pouvait-elle subir tout cela sans se radicaliser ? Pouvait-elle le vivre sans nourrir des ressentiments voire un sentiment de vengeance? De telles mesures pouvaient-elles être mises en œuvre sans complicité dans son environnement immédiat ? L’image du couple Mandela, marchant main dans la main à la libération du héros anti-apartheid en 1990, a fait le tour du monde. Image écornée.

Mais les époux ne se sont jamais retrouvés. Ils ont fini par divorcer en 1996 à l’issue d’une sordide procédure qui a révélé les infidélités de Winnie. Leur animosité a continué même après la mort de Nelson Mandela en 2013. Il ne lui a rien légué. Furieuse, elle a engagé une bataille pour récupérer la maison familiale de Qunu (sud). La justice l’a récemment déboutée. Une mort avant la lettre.

Jean-René Meva’a Amougou

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