Pierres tombales : Comme une pierre, elles tombent sur le marché

De plus en plus, elles remportent un succès grandissant dans l’économie de la mort.

C’est un Alain Mendogo qui nous accueille, ce matin du 14 juin 2022, pour une visite guidée de son «comptoir». Il a tant rêvé de ce lieu ! Il a été si blessé, il y a trois ans, quand une coalition de lenteurs et de petites lâchetés l’a fait renoncer à son projet de mise sur le marché de pierres tombales. «Je suis est un miraculeux contrepoint à la réalité du climat des affaires dans ce pays», assume-t-il, le cœur battant et florissant. En tout cas, cette fois, c’est fait. Le voici au quartier Ahala, dans le 3e arrondissement de Yaoundé. Un atelier de conception où Alain Mendogo s’occupe justement de la conception et de la gravure des pierres à l’ordinateur. Il y passe environ dix heures par jour dans l’atelier, six jours par semaine. Il y a aussi l’espace dédié à la fabrication et quelques mètres carrés de surface d’exposition, ouverts sur la rue et le ciel. Ici, la matérialité de plusieurs pierres tombales entre en dialogue Alain Mendogo. Certaines d’entre elles ne sont constituées que d’une pièce, d’autres rassemblent plusieurs blocs et ornement. Certaines sont sombres, d’autres recrachent la lumière. Avec la dureté du marbre et de son éclat, certaines assassinent la mort; pendant que d’autres s’improvisent interprètes des hommages aux morts. Une véritable encyclopédie de la «beauté de la mort».

«En fait, c’est de l’art ! Si le rôle de l’art n’est ni d’embellir le monde ni, encore moins, de l’orner, voire de le décorer, quel est-il ?», émet le jeune homme qui confesse la quarantaine. «Depuis deux ans, je suis dedans», ajoute ce diplômé de l’École nationale supérieure des travaux publics de Yaoundé.

Business
«Dedans», c’est le secteur des pierres tombales. Depuis peu, dans la capitale, ces objets orchestrent une nouvelle dynamique dans l’économie funéraire. «La sociologie de celle-ci nous convie à une situation relativement originale, cependant moins dans ses effets que dans ses fondements», Claude Arantès Etamè, anthropologue à l’université de Yaoundé I. Selon lui, «le marché des pierres tombales est impliquant, au sens où il expose à des enjeux lourds, tant sur le plan financier que sur celui de la qualité de service. Si l’on s’attache en premier lieu à la composante économique, on peut estimer que les pierres tombales constituent une dépense conséquente, sinon très conséquente, avec un prix moyen établi aux alentours de 500 000 et 2 millions FCFA. Si l’on se situe maintenant du côté des déterminants qualitatifs, on peut considérer que le vendeur de pierres tombales est un acteur essentiel des élaborations symboliques autour du défunt».

Particularité
Seulement, nuance François Bingono Bingono, le secteur commence à remporter un succès grandissant dans l’économie de la mort. «Bien sûr avec la particularité qui est la sienne», appuie l’ancien journaliste de la CRTV, passé président de l’Association des sorciers et guérisseurs traditionnels du Cameroun. Son argumentaire laisse deviner un marché devenu concurrentiel, ignorant le tabou social qui pèse sur la mise en scène publique des pierres tombales. «Voyez-vous, à Douala, Yaoundé et dans beaucoup d’autres localités du Cameroun, leur vente commence à rentrer dans le cercle des prestations funéraires, avec des acteurs qui sont passés du statut de marchand à celui de professionnels des services funéraires», postule François Bingono Bingono.

De son côté, Lucie Mballa, sociologue voit «une économie funéraire locale avec son lot d’évolutions. «Il me semble que nous sommes loin du schéma classique vivre, mourir et enterré sans extravagance. L’après-enterrement s’est lui aussi fortement enrichi, très loin du chemin balisé domicile du défunt-église-cimetière ou caveau familial simplifié. La tendance est maintenant à orner les tombes et c’est de là que le marché des pierres tombales tire son expansion actuelle», théorise Lucie Mballa.
À ce sujet, Géneviève Ngo Mbatoum, un conseil en stratégie pronostique même que, «à l’horizon 2030, le marché des pierres tombales au Cameroun pourrait commander des investissements très importants; demander une transformation accélérée de l’hybridation des point de vente: s’implanter sur des emplacements plus stratégiques en combinant intelligemment e-commerce et magasins».

Jean-René Meva’a Amougou

 

Alain Mendogo

«C’est une bonne façon d’honorer la personne décédée»

Fabricant et vendeur de pierres tombales, l’ingénieur de travaux publics parle de sa «marchandise» et des perspectives du secteur.

Comment définissez-vous ce que vous vendez ?
Je vends des pierres tombales. Pour moi, une pierre tombale est la dalle en marbre ou en granit qui recouvre une sépulture. C’est la partie visible qui donne à la tombe son apparence. Il est possible de réaliser des gravures sur la pierre tombale selon les souhaits de la famille et les dernières volontés du défunt, ou en cas d’absence de stèle. Après un décès, la famille peut décider de mettre en place un monument funéraire pour matérialiser la tombe du défunt et créer un lieu de recueillement pour les proches. Ce dernier est constitué de plusieurs éléments, dont la pierre tombale et la stèle. Si on a tendance à confondre ces deux éléments, ils sont bien différents l’un de l’autre.

Quels sont les modèles que vous vendez ?
Ici chez moi, vous pouvez trouver de nombreux modèles de pierre tombale, des plus simples aux plus détaillés. Le choix peut dépendre du goût de la famille ou des recommandations laissées par le défunt de son vivant dans un contrat de prévoyance obsèques.

Quels matériaux utilisez-vous pour fabriquer une pierre tombale ?
Il existe différents types de matériaux pour la conception de la pierre tombale. Bien qu’on parle de marbrerie, le matériau le plus répandu est le granit. Ce type de matière est particulièrement résistant aux agressions extérieures et ne demande que très peu d’entretien. Effectivement, le marbre est une matière noble mais il résiste mal aux intempéries, notamment en raison de sa faible porosité. Quant à la pierre, elle est moins coûteuse mais se noircit plus rapidement et requiert des entretiens plus poussés. La couleur de la pierre tombale dépend de son matériau de conception. Le granit offre un large choix de couleurs: noir, blanc, gris, bleu, vert, rose, marron… Les familles choisissent souvent la couleur selon la personnalité du défunt.

Quelle est votre clientèle ?
C’est globalement celle qui n’a plus peur de prendre des risques.

C’est-à-dire ?
Ceux qui n’ont pas pitié de l’argent.

Que répondez-vous à ceux qui contestent l’utilité d’une pierre tombale ?
Pour moi, c’est une bonne façon d’honorer la personne décédée en rendant hommage à son vécu. Elle permet également de marquer l’apparence de la tombe pour que les familles et les proches puissent se recueillir en toute sérénité. C’est au niveau de la pierre tombale que les fleurs sont placées aussi bien pendant l’enterrement que lors des visites à l’occasion de la Toussaint ou d’autres moments. La pierre tombale permet aussi de matérialiser la sépulture et de protéger le corps des agressions extérieures. Et en plus, la pierre tombale permet de réduire la pénibilité des ouvriers qui travaillent dans les cimetières. Moi-même, j’ai posé des monuments et c’était souvent assez pénible.

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez au quotidien ?
Avec la guerre en Ukraine, c’est devenu un peu compliqué. Les importations de marbres dont la grande majorité sont fabriqués en Inde ou en Chine, sont devenues très compliquées et leurs prix se sont envolés. Avec un marché international sous tension, le prix du granit s’est envolé et se répercute sur les nous aussi.

À côté de tout cela, il y a le problème de la rencontre entre clients et des fabricants. Ce problème résulte principalement du déficit de représentation publique des professionnels. On ne nous connaît pas assez. Nous sommes encore des figures professionnelles marginalisées parce que, comme tous les métiers du funéraire, la vente des pierres tombales conserve un arrière-goût de déclassement social. On est accusés d’oser tirer quelque bénéfice économique du commerce d’un objet de la mort.

Il y a aussi que, dans ce secteur, publicité et démarchage commercial ne sont pas autorisés. Cela est un peu bizarre si l’on considère notre activité comme une activité commerciale comme toutes les autres.

Comment entrevoyez-vous l’avenir du secteur que vous avez choisi ?
Plein de promesses ! Je pense que c’est un bon business, les gens vont toujours avoir besoin de ça Avec des confrères ici à Yaoundé, nous avons lancé des démarchés pour la constitution d’un syndicat. Nous avons écrit aux autorités et nous pensons que les choses vont aboutir.

Propos recueillis par JRMA

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