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Compétition sur le marché européen et britannique: La banane africaine à un doigt du boycott et de l’exclusion

C’est le risque commercial encouru en cas de non-conformité aux exigences de Fairtrade et de Rainforest Alliance, ou de mise en œuvre par le gouvernement britannique de la mesure querellée de baisse des droits de douanes. 30 000 emplois sont menacés

Au vu des nombreuses critiques formulées contre la proposition de salaire décent de Fairtrade et de Rainforest Alliance, il y a fort à parier que les producteurs africains ne s’y conformeront pas. Le risque réel est que «dans cette espèce de complot commercial, ces deux organisations poussent à ce que la grande distribution puisse déréférencer les produits africains». Joseph Owona Kono croit cela faisable simplement «en leur donnant la possibilité de dire qu’ils ne prennent plus de notre banane, puisque que nous ne sommes pas conformes». Aux yeux du président d’Afruibana, il s’agit en clair «de quelque chose qui nous pend au nez».

Le Mincommerce pour sa part relativise et relève à cet égard que «de telles prises de position idéologique ne sauraient être contraignantes. Je vois mal la Commission de l’Union européenne (UE) aller jusque-là. Ce qui signifierait alors l’éviction du marché européen des producteurs africains et appellerait un contentieux». De l’avis de tous, une telle perspective ne peut s’opérer qu’au bénéfice des producteurs d’autres continents. Luc Magloire Mbarga Atangana constate par exemple que «le marché de la banane s’est retourné entre le marché américain et le marché européen. L’écart est aujourd’hui trop important au détriment du marché européen. Alors que c’était l’inverse». La responsabilité d’un tel état des choses est à la charge exclusive de l’UE. Puisqu’«en ouvrant le marché et en oubliant les engagements qui sont les siens dans le cadre des conventions successives avec nos États, l’UE a conduit à une érosion des parts de marché, mais également des revenus des producteurs africains», explique le membre du gouvernement.

Londres
La décision du gouvernement britannique en vue de lutter contre la vie chère présente aussi le risque de produire le même effet. Les échanges entre Afruibana et les différents membres du gouvernement camerounais permettent cependant d’arriver à une certitude. «Cette décision est contraire aux règles du commerce multilatéral. C’est pourquoi elle ne peut être que ponctuelle», est-il expliqué. «En attendant de savoir si véritablement, la banane fait partie en Grande-Bretagne des produits de première nécessité devant bénéficier des baisses de droits de douanes», précise encore le Mincommerce. Et le chef de la délégation des producteurs et exportateurs africains de banane de s’interroger: «qu’elle est en réalité le poids de notre production face à la banane subventionnée qu’ils peuvent avoir ailleurs?». Avant d’indiquer que «c’est aussi cela le risque et je pense qu’effectivement, on doit pouvoir monter au créneau pour que cette tentative-là ne prennent pas corps».

Directive de l’UE
Lorsqu’il parle du salaire décent, Jean-Marie Kacou-Gervais évoque surtout «le risque de contamination». À en croire le vice-président, «l’exigence de Fairtrade et de Rainforest Alliance n’est peut-être pas contraignante. Mais le fait de le répéter pourrait à la longue intéresser l’Union européenne». Il se trouve d’ailleurs, selon Jean-François Billot, qu’il y a «un mouvement qui s’organise actuellement autour de la directive de l’Union européenne sur la responsabilité sociale des entreprises». Le secrétaire général d’Afruibana-Europe croit en plus savoir que celle-ci «associe la question de salaire décent à la méthodologie. En présentant le défaut d’un manque de lisibilité et de prévisibilité». D’où aussi les discussions menées avec la délégation de l’UE au Cameroun pour éclaircir ces points.

Délégation de l’UE au Cameroun
La question de la lisibilité et de la prévisibilité de la méthodologie était donc au menu des échanges ce 1er juillet 2022, entre les responsables d’Afruibana et le représentant de l’ambassadeur, chef de délégation de l’UE au Cameroun, Philippe Van Damme. Les exigences liées au Pacte vert et au travail des enfants conformément aux axes prioritaires de la coopération à l’ère post-Cotonou ont également certainement meublé les échanges. Étant donné qu’elles entrent en résonnance avec les mesures préconisées par Fairtrade et Rainforest Alliance. Et que l’enjeu desdites exigences est en définitive l’accès au marché européen.
Le président d’Afruibana souligne par ailleurs que «le nouvel Instrument de voisinage n’a pas pris en compte dans sa programmation les préoccupations de nos filières bananières. Il était donc bon que l’on voit avec la délégation dans le cadre de la coopération qui existe, dans quelle mesure d’autres voies sont à explorer dans cette filière». Et sur l’ensemble des préoccupations abordées, Joseph Owona Kono se dit plutôt rassuré. «Tous nos interlocuteurs nous ont écoutés avec beaucoup d’attention et nous ont promis leur entier soutien. Nous n’avons aucun doute à cet effet», a-t-il déclaré.

30 000 emplois menacés
En cas d’éviction, d’exclusion ou de boycott des productions africaines de banane, «ce sont pas moins de 30 000 emplois directs et non qualifiés qui sont menacés et qui auront envie d’aller en exil en Europe. Soit 12 000 au Cameroun, 12 000 en Côte d’Ivoire et un peu moins au Ghana», laisse entendre le ministre du Commerce. La mise à exécution par Fairtrade et Rainforest de leurs menaces en cas de non-conformité des producteurs africains est en outre «susceptible de créer des troubles sociaux dans nos pays», a également prévenu la délégation d’Afruibana en séjour au Cameroun.

Théodore Ayissi Ayissi 

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