EDITORIAL

Que l’Afrique ait son blé !

«Vingt-cinq pays africains ont importé plus de 33% de leur blé depuis l’Ukraine et la Russie en 2020». «Vingt pays africains, à des degrés divers, dépendent pour leurs importations de blé de la Russie et de l’Ukraine. Seize pays africains qui représentent 374 millions d’habitants dépendent à plus de 56% de la Russie et de l’Ukraine». Tirés de deux articles parus respectivement les 12 et 17 juin 2022 sur les sites internet de Jeune Afrique et de EcoActu.ma (site marocain d’informations économiques), ces deux extraits ne méritent pas, à notre avis, une considération élémentaire. Ils devraient former un soubassement important pour la réflexion, au vu de leur caractère panoramique.

Dans les usages qui nous intéressent, nous avons repéré à partir des années 1960 des occurrences très instructives. «En 1960, aux temps de l’horrible exploitation coloniale, l’Afrique était autosuffisante et exportait des aliments. Depuis, la situation s’aggrave d’année en année. Ainsi: En 1980, elle importait 11 millions de tonnes de céréales. En 1995, c’est de 45 millions de tonnes dont elle eut besoin. En 2002, 30 Africains sur 52 connurent une crise alimentaire permanente et 30 millions d’Africains eurent besoin d’une aide alimentaire. En 2007, ce chiffre bondit à 135 millions. En 2010, 30 pays africains connurent la disette. En 2013, plus de 25% de la population, soit environ 250 millions d’Africains étaient sous-alimentés. En 2021, plus de 280 millions d’Africains étaient sous-alimentés, soit 90 millions de plus qu’en 2014 et 452 millions étaient en situation d’insécurité alimentaire modérée. 44% des sous-alimentés vivent en Afrique de l’Est, 27% en Afrique de l’Ouest, 20% en Afrique centrale, 6,2% en Afrique du Nord et 4% en Afrique australe» (1).

En ces temps où l’Afrique mendie le blé d’Ukraine et de Russie, ces considérations (ainsi que leurs perspectives énonciatives) doivent être mobilisées dans le contexte de l’action et du management des politiques agricoles en Afrique. Depuis plusieurs semaines, on entend et on voit des reportages sur les boulangers qui, au Cameroun, fabriquent du pain à base de farine de manioc. Au Sénégal ou ailleurs, ils fabriquent du pain à base de farine de mil, de maïs ou de niébé. Ces reportages sont sympathiques et utiles, mais c’est un peu déprimant de faire semblant de redécouvrir les céréales locales à l’occasion de chaque crise internationale majeure, qu’il s’agisse de crise sanitaire ou de choc géopolitique. Alors même qu’on sait par ailleurs que ces céréales sont pour la plupart plus riches du point de vue nutritionnel que le blé importé de très loin. Depuis des années, des entrepreneurs courageux innovent et proposent du pain composé au moins en partie de diverses céréales locales, sans bénéficier de la moindre politique publique de soutien. L’enjeu, c’est de passer d’un marché de niche à une production à grande échelle et cela ne peut passer que par des politiques publiques, notamment agro-industrielles qui en font un objectif stratégique pour les économies nationales. Les campagnes en faveur de la consommation locale resteront anecdotiques si elles ne sont pas accompagnées par des politiques économiques nationales et régionales cohérentes. Il s’agit de stimuler l’investissement dans des secteurs prioritaires pour la réduction des dépendances, le développement du tissu productif local et la création d’emplois. C’est de cela qu’il s’agit !

(1) Aperçu régional de l’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition. Statistiques et tendances pour l’année 2021. ONU, Accra, 2021.

Jean René Meva’a Amougou

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